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Haïti, l’utopie malgré tout

Nouvel hommage de Suzy Castor à Gérard Pierre Charles

Extraits de l’allocution de l’historienne Suzy Castor, rendant hommage à l’intellectuel disparu Gérard Pierre Charles et remettant ses cendres le 17 décembre (veille de l’anniversaire de Pierre-Charles) au nouveau Coordonnateur Général de l’Organisation du Peuple en Lutte (OPL)

Soumis à AlterPresse le 20 décembre 2004

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Gérard Pierre-Charles aurait fêté demain, en ce l8 décembre 2004 son soixante neuvième anniversaire de naissance. Dans un départ intolérable, il nous a quittés, il y a déjà deux mois et une huitaine de jours, pour un long voyage qui l’a amené sur des rives dont nous ignorons l’existence....Cependant, aujourd’hui nous sommes certains que son esprit flotte dans cette cour et qu’il anime le travail réalisé dans le cadre de ce Congrès qui est à la fois continuité et nouveau point de départ, qui, s’ajoutant aux efforts des secteurs les plus larges du pays, doit contribuer à la construction de cette refondation nationale dont nous rêvons tant.

Gérard portait Haïti et l’OPL dans sa chair. Un certain 5 septembre, une convocation nationale de délégués devait statuer sur une question où se manifestaient de fortes divergences au sein de cette Organisation. De 10 heures du matin à 4 heures de l’après midi s’entrecroisaient en toute liberté, les divers points de vue et arguments qui aboutirent à un accord où une majorité s’était largement dégagée. Les décisions furent adoptées et acceptées à l’unanimité. Fatigué, mais aussi satisfait, sur le chemin de retour à la maison Gérard me dit "Suzy, nous avons un vrai Parti". Quelques heures plus tard dans la soirée, après certaines réflexions, il me répéta avec emphase "Suzy, nous avons un grand Parti."

Constructeur de consensus, Gérard, avec conviction, a toujours promu la réunion des efforts épars dans les moments critiques que traverse la nation. Malgré certaines incompréhensions auxquelles il se heurtait quelquefois, il a toujours suivi la ligne du dialogue, du rassemblement, évitant les luttes stériles de clans, de groupes ou de personnes. Personnellement, je peux témoigner de la force de volonté dont il a toujours fait montre pour garder le silence face à certaines attaques, calomnies, coups bas ou impostures. Il voulait éviter des confusions et des déchirements douloureux au sein des forces démocratiques ou alimenter des polémiques stériles. Des réseaux patriotiques des années 60 et 70, du Congrès de Panama en l981 à la constitution de la Convergence Démocratique en 2001, il a toujours conservé ses qualités de rassembleur à la recherche de l’efficacité dans l’action. Au moment de sa mort, dans les avances de fusion avec les partis partenaires de la même mouvance démocratique nationale et populaire, il entrevoyait avec les dirigeants de l’OPL la constitution d’une nouvelle force capable de constituer un levier et un instrument UNITAIRE pour « consolider les forces de progrès et rendre possible la perspective d’élargir l’espace de cohésion du projet national modernisateur ».

Académicien de grande stature, Gérard comme homme politique avait le grand privilège d’aborder la réalité haïtienne à partir d’une dimension théorique nourrie par l’expérience et une perspective d’évolution nationale et internationale. Homme de conviction, il est resté fidèle à ses idéaux et aux rêves d’une société de justice et de libertéÂ… Après 26 ans d’exil, de retour en Haïti, il s’était mis, avec humilité, à l’école de la réalité haïtienne et a su avec courage dans son action, allier une inflexibilité éthique à une flexibilité politique.

Nous nous devons, ses enfants et moi, de rendre hommage à un aspect de Gérard peu connu du public. Bien que la pudeur de notre vie privée nous empêche dans cette circonstance de nous étendre sur ce point, nous ne pouvons cependant, ne pas souligner qu’il n’y a jamais eu de divorce entre ce qu’il prônait publiquement et l’homme dans son intimité. Il était entier. Pour cela, nous avons eu le privilège d’avoir vécu avec un être supérieur qui aimait la vie dans tous ses aspects, qui jouissait de la vie et nous procurait des moments intenses de bonheur, de compréhension, d’orientation, d’appui et d’humour. Non seulement sa famille, mais aussi ses amis et même ses connaissances peuvent témoigner d’une certaine aura qui se dégageait de sa présence et qui remplissait de sérénitéÂ… Cet homme aux béquilles, portait à cause du déroulement de sa vie, des marques de son évolution personnelle et de ses convictions, toute une humanité de souffrance, de lutte, de joie, de compréhension, de connaissance et de tendresse.

Les enfants de Gérard, Jean, Gary, Daniel, Tania et moi, sa femme de toujours, avons décidé de remettre symboliquement ses cendres à l’Organisation du Peuple en Lutte (OPL). Nous avons voulu par ce geste, honorer et manifester notre respect pour cet être qui nous est si cher et qui a été toute sa vie un homme d’organisation, dans le sens le plus noble du terme.

Ce n’est pas par hasard que nous avons décidé que ses cendres soient remises au Secrétaire Général de l’OPL par sa petite fille, Itsel, fillette d’aujourd’hui, femme de demain, jeunesse sur les épaules de laquelle retombera l’héritage de ce pays que nous leur lèguerons.

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Gérard avait une foi incommensurable en ce pays. Haïti, l’utopie malgré tout a-t-il titré une de ses publications. Puisse-t-il continuer à nous accompagner dans la poursuite de nos utopies. Le meilleur hommage que nous pouvons lui rendre c’est de continuer la lutte, travailler ensemble pour trouver la stratégie permettant d’affronter les multiples et multiformes problèmes de notre société, pour construire ensemble un pays pour tous les Haïtiens.