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Haïti-Santé : Ethique, conscience citoyenne et crise des valeurs

A propos de la grève sauvage des résidents

Par Myrtha Gilbert*

Soumis à AlterPresse le 20 mai 2016

Ce pays vit un gros mensonge. Que dis-je ? Il est tout entier un mensonge.
Anthony Lespès

Je promets et je jure d’être fidèle aux lois de l’honneur et de la probité dans l’exercice de la médecine, je donnerai des soins gratuits aux indigents…
Que les hommes m’accordent leur estime si je suis fidèle à mes promesses. Que je sois couvert d’opprobre et méprisé de mes confrères si j’y manque.

Extraits du serment médical, inspiré du serment d’Hippocrate

1-Kachkach li ben, sere li ben ou des médecins pour quoi faire ?

Parce que les résidents n’ont pas le courage de faire la grève pour exiger une augmentation de leurs frais d’apprenants, ils se cachent derrière les mauvaises conditions de travail pour s’excuser de laisser mourir les pauvres qui, de toute façon argumentent-ils, allaient mourir, non pas faute de présence médicale, mais faute de l’essentiel dans les centres hospitaliers. Depuis quand ont-ils découvert cette dure vérité ?

Les médecins de service (on peut se demander de quel service s’agit-il ?) n’ayant pas le courage d’exiger une révision salariale, se cachent derrière les résidents pour profiter sans risque, d’une probable augmentation de salaire. Font-ils la grève eux aussi ? Personne n’en est tout à fait sûre. Leur absence étant plutôt une constante, selon les connaisseurs du système.

Après avoir fait le tour de la question, lu les journaux, entendu les nouvelles, partager opinions et commentaires, nous n’avons encore trouvé personne à donner raison aux grévistes. Nous avons plutôt senti beaucoup d’indignation au sein de la population.

2-Cautionner l’irresponsabilité plurielle ?

Est-ce à dire que nous excusons l’irresponsabilité de cet Etat antinational, irresponsable et ses brasseurs d’affaires » ? Il ne saurait en être question. Nos combats depuis une cinquantaine d’années prouvent clairement le contraire.

Mais nous ne saurions cautionner, sous quelque prétexte que ce soit, les basses manœuvres de ceux et celles qui ont joui de leur longue formation médicale gratuite, à la sueur des couches qu’ils pénalisent aujourd’hui.

Laisser souffrir un bébé pendant qu’on discute hausse de frais et de salaire, laisser mourir une femme enceinte parce qu’on est en grève, c’est une posture indécente, voire criminelle, quand il est question de la vie d’un être humain. Un médecin n’est pas un mécanicien ; une voiture tombée en panne peut toujours attendre, mais une femme en détresse ne peut pas attendre le bon vouloir du médecin. Ce sont les contraintes de la profession et sa grandeur aussi. Ce n’est donc pas un biseness

Il est vrai hélas, que nous assistons écœurés, à une banalisation accélérée des valeurs profondes qui ont soudé notre société. C’est une raison de plus pour refuser l’inacceptable.

3- Quand l’AMH (Association Médicale Haïtienne) se rappelle à nos bons souvenirs

Nous disions n’avoir trouvé presque personne à donner raison aux grévistes, sauf les signataires d’une note de L’AMH (Association Médicale Haïtienne) les docteurs Gréta Lataillade Roy et Yolène Surena qui ont crû devoir-au nom de leurs pairs- ( ?) se solidariser avec les grévistes et féliciter « la détermination » des résidents. Vous dites détermination ??? A laisser souffrir et mourir les pauvres ? Ceux qui n’ont ni visa, ni moyens de se payer des soins dans le privé.

Tous les membres de l’AMH se retrouvent-ils dans cette note ? Personne ne sait. Dans notre milieu hélas, l’indifférence se la dispute si souvent à l’omerta.

Nous voulons rappeler aussi que l’AMH, « supporter » inconditionnelle des grévistes a célébré son 60ème congrès en 2012 sous le titre pompeux de « Défis, enjeux et perspectives de la pratique médicale haïtienne ». Un congrès célébré en présence de la Ministre de la santé d’alors, qui a rappelé que « l’accès à la santé » constituait un droit fondamental et combien son gouvernement s’attelait « énergiquement » à concrétiser une telle priorité. Quels sont donc aujourd’hui, les résultats de cette titanesque bataille, à part une présence remarquée à la télé ?

En tout cas, le 62ème congrès de l’AMH (Association Médicale Haïtienne) célébré du 9 au 11 avril 2014 prévoyait entre autres objectifs, la présentation d’un cahier de charges au Ministère de la Santé Publique et de la Population. Serait-ce pour promesses non tenues ? Ce cahier a-t-il été effectivement transmis au MSPP ? Quelles furent les stratégies mises au point par cette association pour en faire le suivi ? Le chronogramme d’activités ? Les résultats ?

Quant on sait que nombre de membres de cette association furent de hauts fonctionnaires du Ministère de la santé.

Finalement, le choléra et l’Ebola s’inviteront au 63ème congrès de l’association, célébré du 19 au 22 mai 2015. Ces maux nouveaux ont sans doute fait oublier les défis et les enjeux de toujours. Pour se rattraper, en juillet 2015, l’AMH organisait une foire médicale à Port-à-Piment, avec la participation d’une imposante délégation de 4 (quatre) médecins !

Dans un tel cas de figure et face à une telle inconsistance, l’AMH a raté l’occasion de se taire.

4- Le temps des vaches grasses et le temps des vaches maigres

Pour revenir aux grévistes, rappelons que Les résidents d’aujourd’hui sont les internes d’hier, et ces internes fréquentaient l’hôpital depuis au moins 5 ou 6 ans. Les problèmes qui ont motivé cette grève existent depuis très longtemps. La plupart des gens qui se prononcent sur la question se demandent pourquoi, des revendications aussi importantes n’ont pas été formulées durant les 5 dernières années. Et pourquoi cette levée de bouclier subite, cette grève sauvage, juste après le 7 févier 2016 ? Et comment croire que ces revendications s’adressent à un gouvernement provisoire ?

Pourtant, la valse des millions durant les cinq dernières années n’était un secret pour personne. Les informations sur des dizaines de projets et leur coût approximatif, les contrats mirobolants signés sans appel d’offres, faisaient souvent la une des médias. Où étaient-ils nos résidents-revendicatifs et l’AMH solidaire ? Rêvaient-ils en couleurs, accrochés aux lèvres d’une experte en relations publiques ?

Et comme le mouvement a fait tâche d’huile, que beaucoup d’hôpitaux de province ont aussi privé les malades de leurs services, nous nous permettons un petit retour sur certains contrats millionnaires d’hier, pour des projets d’importance douteuse (trottoirs, parcs sportifs, places publiques…) dont une partie des montants aurait pu servir à requinquer nos centres hospitaliers publics et à régler des choses autrement sérieuses.

Entre mai 2011 et février 2012, 49 projets furent approuvés en Conseil des ministres pour le modeste montant de US 329 millions de dollars américains.

Entre décembre 2012 et juillet 2014, 148 projets furent approuvés en Conseil des ministres pour la bagatelle de US 729. 3 millions de dollars américains.

De cette manne, US 5 millions furent alloués pour la rénovation urbaine de la ville de Jérémie, soit l’équivalent de 225 millions de gourdes. Quelles furent les exigences du personnel hospitalier de la ville ? Etaient-ils au courant des décaissements non suivis d’exécution ?

US 6, 2 millions furent décaissés dans le cadre de la rénovation urbaine de la ville de Port-de-Paix. Ces millions ont servi dit-on à la restauration de 2 places publiques au lieu de servir entre autre, à équiper correctement l’Hôpital de la ville. Pourquoi n’y a-t-il pas eu de protestations des médecins et du personnel médical ? Mystère.

On pourrait allonger la liste, car toutes les villes où les hôpitaux sont aujourd’hui en grève ont bénéficié de plusieurs projets millionnaires. Mais, le personnel hospitalier revendicatif n’a pas su malheureusement, saisir les opportunités offertes au temps des vaches grasses.

En conclusion, pour les torts causés à la population la plus pauvre de ce pays, déjà victime de tant de maux, les résidents, et autre personnel médical ayant adhéré à ce mouvement, devraient formuler dans le plus bref délai, leurs excuses et leur regrets pour tous les préjudices causés ; et mettre fin à cette grève honteuse.

Ils pourraient par contre, présenter un mémoire au ministère de la santé publique, exposant de façon détaillée, les problèmes auxquels se trouvent confronté nos centres hospitaliers publics, leurs griefs propres, et les propositions de solution à court et à moyen terme. Mémoire qui devrait connaître une large diffusion au sein de la population.

Une stratégie différente, qui à notre avis pourrait se révéler plus payante, celle de convertir la population en alliée plutôt qu’en ennemie et victime.

A son tour, le gouvernement haïtien devrait faire connaître à la société, un état des lieux du système de santé publique, la situation financière du ministère, ainsi que les voies et moyens d’apporter des améliorations progressives au niveau des centres hospitaliers publics. Le gouvernement devrait prendre publiquement des engagements dans ce sens.

Que les médecins comprennent une fois pour toutes, que leur rôle fondamental consiste à garantir la santé de la population et à sauver des vies. Dans ce sens, leurs revendications doivent s’adapter à l’éthique de leur profession, l’une des plus nobles.

* Enseignante, chercheure