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Aux racines de la corruption en Haïti

Par Gotson Pierre

« Propension à la corruption » est le titre d’un ouvrage qui sort sous la plume de l’économiste et spécialiste en administration publique Gary Olius. En attendant que le livre, édité par C3 Éditions, soit disponible en librairie, AlterPresse en publie la préface rédigée par Gotson Pierre.

La corruption est l’un des thèmes les plus présents dans l’actualité haïtienne depuis les années 2000. La publication annuelle de l’Indice de Perception de la Corruption de l’organisme Transparency International y est pour quelque chose. Elle rythme à chaque fois un ensemble d’interventions médiatiques autour de la problématique et suscite de nombreuses réactions, tant de la part des autorités étatiques que de celle de personnalités civiles ou d’associations citoyennes. En général, Haïti apparaît dans ce classement parmi les 20 pays les plus corrompus de la planète, ce qui fait tiquer certains, alors que d’autres approuvent ou tentent de mettre en lumière les facteurs qui expliquent la place peu enviable occupée par notre pays dans ce palmarès.

Mais les études ou réflexions pour cerner le phénomène sont moins nombreuses. Or elles sont essentielles pour tenter de comprendre les pratiques cataloguées comme corruption et imaginer les stratégies pour les combattre, afin de stopper cette hémorragie de ressources - matérielles et immatérielles ! - qui, au lieu de servir l’intérêt général, vont, impunément, à l’avantage de particuliers.

C’est à cette analyse que se livre Gary Olius dans cet essai. Il propose de considérer la question de la corruption, non seulement dans ses manifestations récurrentes, mais aussi dans ses relations avec le contexte social national et international qui la génère ou l’alimente.

Une telle approche permet de s’interroger sur certaines méthodes de mesure de la corruption, notamment la plus médiatisée entre toutes : l’Indice de Perception de la Corruption, mentionné plus haut. En plus de se fonder sur la « perception », cet indice ne concerne que la « facette conjoncturelle » de la corruption.

L’objet de ce livre n’est évidemment pas d’indiquer l’outil qui serait le plus approprié pour déterminer l’ampleur du phénomène dans une société donnée. Il laisse cet exercice au lecteur, à qui il propose plutôt un cadre pour mettre en perspective la « facette structurelle » de la corruption et apprécier les limites des stratégies déployées pour la combattre, notamment en Haïti.

D’où l’introduction du concept « propension à la corruption », défini comme l’état d’esprit créé chez l’individu par l´éducation familiale et scolaire ainsi que les systèmes de valeurs auxquels il est exposé. L’intérêt de cet exercice est qu’il met sous la loupe, à la fois l’individu dans son acte répréhensible isolé ou en réseau et l’environnement qui constitue le terreau de cet acte. Dans le cas haïtien, il suffit d’être attentif aux expressions qui jalonnent notre discours quotidien pour avoir une idée du conditionnement dans lequel l’individu est immergé. On retiendra seulement le « plimen poul la pa kite l rele » (dépouiller la poule discrètement de ses plumes).

Ce travail sur la « propension à la corruption » fait donc intervenir une analyse de la société elle-même et de ses bases idéologiques. Le cas d’Haïti est, à ce point de vue, intéressant, puisque, comme le souligne l’auteur, la formation des têtes est confiée au religieux, qui a obtenu le contrôle de l’éducatif, lequel forme des aliénés par rapport aux biens matériels.

Ici apparaissent, entre autres, les limites des stratégies de lutte contre la corruption. Combattre l’acte sans toucher « aux moules qui fabriquent les corrupteurs et les corrompus », c’est éviter de mettre en œuvre un ensemble d’actions tendant vers des résultats conséquents et durables. Il faut donc chercher à déraciner la « propension à la corruption ». Ce nouvel éclairage contribue à montrer la voie pour y parvenir. L’atteinte de cet objectif passerait, certes, par des réformes administratives, judiciaires, mais en même temps par des changements profonds au niveau du système éducatif, ce dernier devant contribuer à construire un savoir-être approprié. Ce type de mutation, dans une société comme la nôtre, pourrait facilement être assimilé à une « révolution ».

Mais, tout ne tient pas qu’à Haïti. L’auteur attire l’attention aussi sur les réseaux internationaux de corruption qui sont à l’œuvre dans le pays. La bataille contre ce fléau ne saurait être gagnée uniquement en se confinant au terrain national.