Par Dr Jean Ford G. Figaro
Soumis à AlterPresse
« On ne naît pas femme, on le devient »
Simone de Beauvoir
A l’initiative des Nations-Unies, la journée internationale des droits des femmes est devenue incontestablement une date historique depuis le 8 mars 1977, l’occasion de faire un bilan sur la situation des femmes, sans égard aux divisions sociaux-économiques ou politiques. En plus des complexités liées au droit à la santé en général, l’analyse du droit à la santé des femmes en Haiti nécessite de prendre en compte l’émergence de nouvelles pathologies, comme le zika, considéré par l’OMS, une « urgence de santé publique de portée mondiale ». La santé est un état de total bien-être physique, psychologique et social et non pas seulement l’absence de maladies ou d’infirmités. Le bien-être affectif, social et physique est déterminé aussi bien par le contexte social, politique et économique que par la biologie.
En Haïti, le panorama n’est pas discordant, malgré les multiples discriminations et violations répétées des droits des femmes, on assiste annuellement à des cérémonies festives, organisées le plus souvent par ceux qui devraient garantir ces droits. Et pourtant, les besoins de santé des femmes haïtiennes sont tout à fait négligés et l’accès aux soins médicaux se met à dépendre de la capacité de ces dernières à payer, les patientes sont transformées, de personnes qui ont des droits fondamentaux et inaliénables, en clientes et consommatrices. Une bonne santé est essentielle pour mener une vie productive et épanouissante et le droit de toutes les femmes à contrôler tous les aspects de leur santé, notamment leur fertilité, est crucial pour leur existence.
Je voudrais profiter, pour dénoncer le fait que les organisations internationales font toujours mention de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 pour énoncer les droits nouveaux des hommes, selon les nouveaux principes égalitaires. Car même si, la révolution française du 14 Juillet 1789 a accouché des « droits de l’homme », il est impérieux de rappeler au monde entier que ces droits ne concernaient ni le nègre ni la femme. La révolution haïtienne est la seule parmi les trois plus grandes à affirmer au sens le plus profond du terme les droits de l’homme. Donc, nous autres haïtiens, nous sommes les pro géniteurs des droits réels de l’homo sapiens.
Aujourd’hui, il est temps de saluer la première femme impératrice haïtienne, celle qui a lutté pour le droit à la santé des femmes et hommes de son pays, madame Marie-Claire Heureuse Félicite Bonheur Dessalines, la première infirmière de guerre de l’histoire d’Haïti et l’une des premières connue de l’histoire moderne. Il est aussi un devoir de mémoire d’honorer les femmes haïtiennes, pionnières des grandes libertés universelles et des droits de l’homme telles que : Suzanne Louverture, Sanite Bélair, Marie Louise d’Haïti, Cecile Fatima, Marie Jeanne Lamartiniere, Défilée la Folle, Ida Salomon Faubert, etc...
La déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 aborde également la santé comme partie intégrante du droit à un niveau de vie suffisant. Le droit à la santé a été distingué comme un droit de l’homme, par le pacte international de 1966 relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Depuis lors, d’autres traités ou conventions internationaux relatifs aux droits de l’homme ont évoqué le droit à la santé, notamment le droit aux soins médicaux.
De plus, les États-nations se sont engagés à protéger ce droit dans les déclarations internationales et dans les législations et les politiques nationales. Dans son article 19, la constitution haïtienne de 1987 fait injonction à l’État haïtien de garantir le droit à la santé du peuple haïtien. Cependant, il est important de rappeler les caractères interdépendants et indissociables des droits de l’homme. Une violation des droits à l’éducation, à l’alimentation ou au logement compromet automatiquement le droit à la santé et vice versa.
Selon les dernières estimations démographiques, la population féminine représente un peu plus de la moitie (52%) en Haïti. Elle constitue 48% de la population économiquement active, principalement dans le commerce. Par rapport aux autres pays de l’Amérique latine et des Caraïbes, Haïti accuse le taux de mortalité maternelle le plus élevé, environ 600 décès maternels pour 100 000 naissances. Cela signifie en d’autres termes, qu’une femme haïtienne actuellement court un risque de 1 sur 39 de décéder de cause maternelle pendant les âges de procréation. Ce niveau est d’environ 18 fois supérieur à celui que l’on observe dans les pays développés.
Nous sommes en 2016, la santé est-elle un droit en Haïti ? Si tous les pays du monde travaillent pour améliorer la santé publique au profit de leurs citoyens, en tout cas, pas en Haïti. L’État haïtien apporte seulement 7% de fonds dans le système sanitaire. Les ménages contribuent à hauteur de 29% et le support externe de l’ordre de 64 %. Plus de 60% des femmes haïtiennes sont privées de soins médicaux appropriés. L’État n’investit pas dans la santé. Dans le budget 2015-2016, seulement 5% est alloué au ministère de la santé publique.
Environ 90% de cet argent est utilisé pour payer les fonctionnaires et le 10% restant est investit pour acheter des appareils et médicaments pour les hôpitaux et centres de santé. Dans ce contexte triste et délétère, comment satisfaire les facteurs déterminants pour la santé de la femme tels que :
Une alimentation saine
L’approvisionnement en eau potable et assainissement
Un logement décent
Un environnement sain, etc.. ?
Début février 2016, une nouvelle épidémie vient troubler le sommeil des femmes haïtiennes. Une maladie qui n’est pas virulente, mais ses complications neurologiques sont graves. Le Zika menace les femmes haïtiennes et leurs foetus si l’État continue de faire fi des déterminants de la santé en Haïti. Protégeons les femmes du Zika passe par une politique d’investissement social. Elles ont droit à un environnement sain, libre d’ordures et d’eaux stagnantes capables de produire des moustiques tigres, nuisibles à leur bien-être sanitaire.
Les femmes ont droit à la contraception pour éviter des grossesses non-planifiées et le droit à l’avortement si le produit est attaqué par le virus Zika. Cette épidemie atteste de la nécessité de promouvoir les visites prénatales et d’augmenter l’accessibilité aux soins de santé. La prévalence parmi les femmes de la pauvreté et de la dépendance économique, l’exposition à la violence, les discriminations raciales, le manque de pouvoir sur leur vie sexuelle et leur fécondation et leur manque d’influence sur les décisions sont autant de réalités sociales qui nuisent à leur santé.
Une femme meurt toutes les minutes de complications liées à la grossesse ou à l’accouchement. La plupart de ces décès peuvent être évités. Ces accidents résultent du fait que les femmes ne disposent pas d’un accès égal aux soins de santé et, plus particulièrement, à des soins obstétriques, permettant de leur sauver la vie. La réalisation du droit à la santé est étroitement liée à la réalisation des autres droits de la femme. Si nous protégeons les droits des femmes, elles seront toutes protégées contre le virus Zika.
*Msc-HEM,
Gestion des Urgences Medicales de Santé Publique
Boston University School of Medicine.
Boston, Massachusetts
President of Kolera Jistis Projet
jeanfordfigaro@gmail.com