Débat
Par Panel Lindor*
Soumis à AlterPresse le 16 avril 2016
« Insulte à la mémoire collective », « révisionnisme » et « négationnisme » ont été mes mots après la lecture de la fameuse lettre ouverte [1] de Michèle Bennett à Marc Antoine Acra. En effet, dans cette lettre, on peut lire que cette ex première dame à vie s’est sentie offusquée parce que le présumé narcotrafiquant Marc Antoine Acra a écrit : « de constater qu’un commissaire du gouvernement de transition, prônant la transparence et la justice, agisse comme au temps du régime totalitaire des Duvalier en posant des actes arbitraires, anarchiques et totalement illégaux » [2]. Cette phrase ne choquerait pas Michèle Bennett si elle ne contenait pas ce membre de mots « régime totalitaire des Duvalier ». Ce qui nous interpelle ici ce n’est pas le conflit entre les nantis d’Haïti que représentent Acra et Bennett mais la volonté de cette dame d’occulter la mémoire des victimes du régime presque trentenaire de son beau-père et de son mari. Pour moi, cette lettre serait un drame bourgeois exposé au grand jour si Michèle Bennett ne se sentait pas blessée par ces mots très simples de Marc Antoine Acra.
Au-delà des reproches « ou sou do chwal la wap pale li mal » adressés à Acra, il faut voir que Bennett ne démorde pas depuis 30 ans même lorsqu’elle n’est plus au pouvoir en Haïti. Elle n’a pas perdu son audace. Ouf ! On a tellement qualifié ce régime de « dictature sanguinaire » que je croyais qu’en cas de défaut de mémoire on pourrait remplacer les mots « dictature » et « totalitarisme » par François et Jean-Claude Duvalier. Qu’est-ce qu’il y a de choquant dans la phrase de Marc Antoine Acra ? Sa lettre sert-elle d’occasion à Michèle Bennett de faire un « come back » sur la scène politique après la mort du tyran ? Cela fait très longtemps qu’on n’a pas entendu parler de cette dame depuis l’apparition de ses photos (cigarettes pendues aux lèvres) aux funérailles de son ex mari dictateur.
La lettre de Bennett est révélatrice d’un certain malaise du coté de ceux qui ont toujours vécu à l’intérieur des pouvoirs peu propres ou qui se trouvent associés aux pratiques de certains clans politiques. En ce sens, on peut se rappeler des sorties médiatiques de Marine Le Pen lorsque celle-ci voulait trainer en justice ceux qui qualifiaient le Front National d’extrême droite. Ayant compris que cette plaisanterie ne passera pas, elle a enterré cette idée. Il s’agit ici de gens qui n’ont jamais eu à diriger la France en réalité et qui ne font que propager un discours de haine envers les étrangers. Alors que, dans le cas de Michèle Bennett, il est question de clan. Un clan qui était réellement au pouvoir. Cette dame représentait, du temps de son mari, l’une des figures de proue du régime des Duvalier. Michèle Bennett est-elle devenue amnésique au point d’oublier les exactions commises par le régime de son mari ? Doit-on lui rappeler le nombre de gens réduits au silence et le nombre d’assassinats politiques commis à la fois par le régime de son beau-père et de son mari ?
Je me suis demandé ce qui se passe dans la tête de Michèle Bennett quand elle a écrit cette lettre. Normalement, elle aurait pu régler ce problème avec Marc Antoine Acra en lui adressant une lettre privée puisque les deux familles se sont toujours bien entendues, surtout dans des combines au niveau de l’Etat. D’ailleurs, Acra l’a lui-même écrit dans sa réponse [3]. Ouf ! Bennett devient hystérique en lisant que le régime des Duvalier était un régime totalitaire !
Bien avant le départ des Duvalier au pouvoir, des chercheurs de tous les coins du monde avaient commencé à décrire le caractère totalitaire de ce régime. Michèle Bennett avait-elle pensé à trainer l’économiste Gérard Pierre-Charles en justice pour son livre, publié en 1973, Radiographie d’une dictature ? Avait- elle pensé à rédiger une réponse aux descriptions et aux chiffres avancés par Claude Rosier dans son livre Triangle de la mort publié en 2003 ?
Il est important de rappeler que Claude Rosier a passé 11 ans (1966-1977) en prison sous le régime des Duvalier. De plus, celui-ci n’avait même pas eu le droit de se présenter devant un tribunal impartial à l’époque. Aujourd’hui, il est curieux de voir Michèle Bennett afficher un certain respect pour le poste de commissaire du gouvernement. Elle croit désormais à l’indépendance de la justice et au procès équitable. Alors que les Duvalier ont tout fait pour paralyser le système judiciaire haïtien au point que 30 ans après leur départ la justice n’a pas pu fonctionner réellement. Le fait est que Jean-Claude a su retrouver les juges qu’il avait lui-même nommés, faisant ainsi trainer le dossier des victimes de la dictature !
La lettre de Bennett veut nous faire croire que son mari avait laissé le pouvoir après la fin d’un mandat qui serait arrivé à termes. Là encore, l’histoire récente d’Haïti est passée sous silence. Duvalier a été chassé du pouvoir par une révolte populaire. Le mot même de « dechoukay » date de ces événements qui ont mis fin au règne des Duvalier.
La prochaine fois, Michèle Bennett doit faire un courrier privé à ses anciens alliés bourgeois ou bien elle doit se taire. On a envie de lire autre chose qu’une lettre ouverte de cette ex première dame à vie au moment où Haïti peine à trouver la stabilité politique.
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* Juriste