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Aide au développement versus aide humanitaire : Haïti doit faire un choix

Par Michel Lominy [1]

Soumis à AlterPresse le 5 décembre 2004

Conçue au départ pour venir en aide aux populations sinistrées en cas de catastrophe naturelle frappant les pays pauvres, l’Aide humanitaire s’est installée confortablement en Haïti depuis des années, à travers une myriade d’ONG de toutes sortes et de tout acabit. Malheureusement cette aide, essentiellement ponctuelle ou conjoncturelle, est devenue, au fil des ans, une aide perpétuelle, sans fin ni cesse qui, à l’évidence, n’a fait et ne fait que maintenir Haïti dans un état permanent de pays assisté et de dépendance avilissante.

A dire vrai, l’aide humanitaire représente une aubaine, une solution facile pour la communauté riche internationale et pour tous les donateurs qui, interpellés par l’état de misère et de pauvreté qui règne en Haïti, se sentent obligés de lui venir en aide.

Et pour cause, l’aide humanitaire leur donne l’occasion, à grand renfort de publicités dans les forums internationaux, à l’ONU en particulier, de se donner bonne conscience et de s’en laver les mains, avec des débours tout à fait insignifiants et même dérisoires face à nos énormes besoins. M. Latortue parle, avec raison, de saupoudrage.

Son seul mérite, tout au plus, et à quelques rares exceptions près, est qu’elle fait vivre grassement tous ceux, haïtiens et étrangers, qui ont la charge de la gérer.

La faute, avouons-le, n’est pas seulement aux pays donateurs. Car, nos gouvernants, par manque de solution de remplacement et de vision de l’avenir, s’y sont toujours complus et s’y sont engouffrés la tête baissée. Alors que, ce n’est un secret pour personne, l’aide humanitaire n’a jamais aidé aucun pays à se développer durablement.

Pis encore, l’aide humanitaire à Haïti est, à la limite, contre-productive, puisqu’elle contribue à tuer le goût de l’effort chez tous les haïtiens qui en bénéficient.

En vérité pourtant, il faut le reconnaître, Haïti a vraiment besoin de l’aide des pays riches. Non pas de l’aide humanitaire mais bien de l’Aide au développement. Développement durable [2] s’entend.

Car, même avec la meilleure volonté du monde, Haïti ne peut pas sortir, seul, de son état de misère et de pauvreté, n’ayant pas les moyens de financer un programme de développement durable.

Entendons nous, Ce développement, pour être durable, nécessitera des sommes considérables en termes de plusieurs milliards de dollars pour :

1) Construire le réseau routier national : 5000kms de routes revêtues faisant le tour du pays et reliant entre elles toutes les villes et les communes, de la périphérie comme de l’intérieur afin de désenclaver, de rompre l’isolement de toutes les régions du pays, et faciliter la commercialisation de nos produits agricoles, denrées alimentaires, fruits et légumes, faciliter l’accès à nos belles plages, à nos lacs, à nos sites à la fois historiques et touristiques, et aussi en vue de pouvoir exploiter éventuellement d’autres ressources locales. (US $2.5 milliards)

2) Construire l’autoroute de l’électricité, tout le long du réseau routier, c’est-à -dire des lignes fiables et sécuritaires de transmission, le réseau à haute tension, couvrant le pays de l’est à l’ouest et du nord au sud, de telle sorte qu’il soit possible d’installer à l’avenir une grande centrale à n’importe quel point du pays et amener le courant dans les coins les plus reculés du territoire selon les besoins. On évitera ainsi le morcellement de la production en de petites centrales au diesel peu performantes avec un coût de fonctionnement très élevé et dont la durée de vie est relativement très courte. (US $150 millions).

3) Equiper tous les cours d’eau et rivières de barrage-réservoir de retenue d’eau, servant soit à en assurer la régulation, soit à pourvoir à l’alimentation des villes en eau, soit à l’irrigation des cultures, soit à l’alimentation des nappes phréatiques, soit à produire de l’électricité. Aucune goutte d’eau ne devrait aller se perdre inutilement dans la mer.

4) Construire des citernes géantes, des châteaux d’eau, des lacs collinaires.

5) Curer et remettre en état les canaux d’irrigation des terres agricoles.

6) Financer les travaux de reboisement des mornes érodées, les travaux de protection des sols et des bassins versants.

7) Doter le pays d’un système moderne de télécommunications.

8) Doter toutes les villes d’un système moderne d’adduction d’eau courante.

9) Aménager et mettre en opération les différents Ports et Aéroports de province.

10) Edifier, construire de nouvelles villes et de nouveaux villages en des endroits ou sites appropriés afin de regrouper les populations rurales et faciliter leur approvisionnement en services essentiels de base.

Une mise en garde cependant : vu l’état de corruption du pays, il ne serait pas intelligent ni sage de confier tout cet argent aux haïtiens, toute classe confondue. Il nous faut un réseau routier, un réseau d’électricité, des infrastructures en général et non l’argent. A charge par nous de rentabiliser ces infrastructures pour les rendre pérennes afin de nous permettre de sortir, une fois pour toutes, de la mendicité et de l’assistanat.

S’est-on déjà posé les deux questions suivantes : Pourquoi dit-on que Haïti n’a pas la capacité d’absorber de fortes sommes d’argent ? Quand on sait que le réseau routier et le réseau d’électricité peuvent déjà , à eux seuls, bouffer US $2.65 milliards. Faux prétexte !
Comment expliquer qu’un pays comme Haïti, qui a tellement de travaux à faire, présente le plus haut taux de chômage au monde ? Etonnant paradoxe !

En effet, à partir de ces infrastructures de base modernes, fonctionnelles et rentables, on pourra libérer les forces productives, attirer les investisseurs, créer des emplois productifs, mettre les Haïtiens au travail, produire des richesses, générer et développer une économie solide, en particulier une économie de service, capable de financer les solutions à nos problèmes majeurs d’éducation, de santé et d’hygiène publique, d’environnement, de justice, de sécurité publique et de démocratie. Notre souveraineté dans l’interdépendance est à ce prix.

Avec un tel programme, le chômage sera réduit à sa plus simple expression ou tout au moins à un niveau supportable pour les dix prochaines années. Ainsi, le pays sera en mesure de garder en son sein ses ressources humaines, ses cerveaux, ses cadres, ses bras. Finis les « boat people » sur les côtes de la Floride, des Bahamas et de Cuba. Finis les « braceros » dans les bateys dominicains. Fini l’exode de nos cerveaux vers les pays déjà développés. Nous avons besoin d’eux pour nous développer, Nous avons du travail pour eux.

Haïti a donc un choix à faire

En dehors des catastrophes naturelles, tout gouvernement responsable, toute société civile responsable, devrait avoir le courage de refuser toute aide humanitaire,_ qui ne fait que prolonger l’agonie de la nation,_ et insister, avec humilité et sans arrogance, pour que toute l’aide disponible aille vers l’implantation d’infrastructures de base essentielles et indispensables au développement, au progrès économique, en vue d’atteindre les objectifs, chers à nous tous, d’emplois productifs, de création de richesses et d’éradication de ce mal absolu qui a pour nom : pauvreté, infortune, et exclusion sociale.

Il ne peut pas y avoir de progrès social sans progrès économique.

Il ne peut pas non plus y avoir de démocratie sans progrès économique. La démocratie a un coût. La démocratie n’est pas un produit bon marché.

Conclusion : Il faut mettre Haïti au travail afin qu’une majorité d’haïtiens, en âge et en condition de travailler, puisse avoir un revenu suffisant pour faire d’eux des agents économiques, c’est-à -dire des consommateurs, des contribuables, des épargnants et des investisseurs. Alors et alors seulement, on verra poindre à l’horizon les premiers rayons de soleil de la démocratie. En dehors de cela, point de salut.


[1Médecin, ancien ministre

[2Le développement durable suppose qu’un pays se dote de toutes les infrastructures essentielles aux investissements capables de protéger son environnement et de mettre ses citoyens au travail pour produire des richesses et accumuler du capital.