P-au-P., 15 déc. 04 [AlterPresse] --- La situation est demeurée tendue ce 15 décembre dans le vaste bidonville de Cité Soleil, au nord de Port-au-Prince, au deuxième jour d’une opération conjointe de la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation d’Haïti (MINUSTAH) et de la police haïtienne, qui se déroule dans des conditions très difficiles.
Sur place, les autorités policières n’ont ni confirmé ni infirmé l’information diffusée par la station privée Radio Solidarité, selon laquelle, le nommé « Dread Wilmè », un des principaux chefs de bande à Cité Soleil, recherché par la police, serait tué durant l’opération.
Interrogé par AlterPresse au moment où il participait à une phase de l’intervention, le Directeur Général de la Police, Léon Charles, a affirmé que « des bandits ont été arrêtés, d’autres sont tombés et nous n’avons pas les noms ». Il a promis pour plus tard davantage d’information, en déclarant que « nous n’avons pas pour le moment un rapport détaillé de l’opération ».
Parallèlement, le Commandant militaire de la MINUSTAH, le Général Augusto Heleno Ribeiro, a affirmé en conférence de presse que l’opération a fait jusqu’à présent 4 blessés, dont un grave.
AlterPresse a constaté la présence de la police dans un poste situé à l’entrée de Cité Soleil. Des tanks de la MINUSTAH ont aussi pris position dans les parages, tandis que quelques véhicules publics et privés circulaient sur le boulevard Jean Jacques Dessalines, rue passant devant l’entrée du bidonville.
Mais la police haïtienne, soutenue par des forces brésiliennes et jordaniennes de la MINUSTAH éprouve beaucoup de difficultés à progresser dans cette opération en raison de foyers de résistance armée, selon ce qu’a pu observer AlterPresse. Des agents de la police qui ont pénétré dans le quartier par sa principale rue, ont dû échanger des tirs avec des groupes armés dissimulés dans plusieurs blocs.
« Malgré la présence de la police, des individus armés cachés à l’intérieur des corridors tirent sans cesse », a fait remarquer une mère de famille qui fuyait sous des coups de feu croisés. Essoufflée, elle s’est vite abritée dans un immeuble investi par des agents de l’ONU et de la police en position de tir.
Reprenant peu à peu son souffle, la dame a indiqué que trois mois se sont écoulés depuis que « la vie est devenue impossible ici ». La nuit a été calme, a-t-elle dit, mais, dès l’aube, la tension a recommencé à monter.
« Ce sont des tireurs isolés », a estimé Eric Mouillefarine de la Coordination civilo-militaire de l’ONU, qui participait également à l’opération. Il s’est félicité de la présence sur le terrain du Directeur Général de la police. « C’est un signe de la volonté gouvernementale de rétablir la paix à Cité Soleil », a-t-il dit. Pour lui, l’intervention militaire et policière va permettre l’accès de la population à la « satisfaction de nécessités humanitaires », le rétablissement du « calme » et de la « stabilité ».
Mais cette perspective ne va pas se concrétiser tout de suite. « Cela prendra du temps », a reconnu Mouillefarine. Ce qu’a confirmé un Lieutenant Colonel de la Gendarmerie française qui a lancé : « il faut laisser du temps au temps ». « Il faut prendre le temps » et « les jours des chimères (partisans violents de l’ancien régime) sont comptés », a renchéri le gendarme, qui n’a pas voulu s’identifier.
Entre-temps, un autre contingent de la MINUSTAH, intégré par des soldats de la Jordanie, continuait de maintenir une position tenue peu après l’entrée de Cité Soleil. « Nous voulons assurer la sécurité des gens », a déclaré à AlterPresse, le Premier Lieutenant Mohamed, tandis que jeunes entouraient les tanks dont les canons étaient dirigés vers l’intérieur du bidonville.
Ces jeunes ont déploré que des activités scolaires aient été suspendues en raison de la situation de violence entretenue par des groupes armés. Un élève en cycle secondaire a dit à AlterPresse qu’il souhaitait le maintien de la présence de la MINUSTAH pour permettre la réouverture des écoles du quartier.
Des petits commerçants établis non loin de là ont estimé que la tension a été moindre ce 15 décembre, en comparaison avec la situation la veille. Ils ont applaudi la présence de la police.
AlterPresse n’a pu interroger des riverains à l’intérieur des corridors. Dans des communications téléphoniques diffusées à la radio, des proches de « Dread Wilmè » ont condamné l’intervention de la police et de la MINUSTAH à Cité Soleil.
Dans les environs de Cité Soleil, peu d’activités commerciales ont été remarquées. « Il n’y a pas d’achat » a dit à AlterPresse un petit vendeur de glace. Cependant quelques activités ont été constatées au niveau de la gare routière desservant le nord du pays. Des passagers prenaient place à bord de plusieurs camions en stationnement sur lesquels on arrimait des marchandises.
Alors que l’opération de la police et de la MINUSTAH se poursuivait à Cité Soleil, on apprenait que des anciens militaires commandés par l’ex sergent Ravix Remissainthe occupaient depuis tôt dans la matinée la résidence de l’ancien Président Jean Bertrand Aristide à Tabarre (périphérie nord-est).
En début de soirée, le gouvernement leur a demandé d’abandonner le bâtiment. Dans un communiqué signé par le Président provisoire Boniface Alexandre et le Premier Ministre Gérard Latortue et cité par Radio Métropole, le gouvernement a « condamné » cette occupation, considérée « hors la loi ».
L’exécutif haïtien a annoncé qu’il prendra « toutes les mesures nécessaires », avec l’appui de la MINUSTAH et de la police, pour résoudre cette situation.
Dans la soirée, les militaires démobilisés, estimés à plus d’une cinquantaine, occupaient encore le bâtiment, où ils ont reçu une délégation de la MINUSTAH. Ravix Remissainthe a réaffirmé qu’il n’avait aucune intention d’abandonner les lieux.
La situation demeurait calme autour de la résidence de l’ex Chef d’Etat que les anciens militaires veulent transformer en base militaire. « C’est un espace approprié pour entreprendre la formation de militaires », a déclaré Remissainthe à AlterPresse.
Il a, par ailleurs, minimisé la création par le gouvernement d’un Bureau de Gestion des Militaires Démobilisés. « Le gouvernement n’a pris aucune responsabilité et n’a offert aucune occasion de résoudre le problème des militaires », a affirmé Remissainthe. Il a renouvelé son appel aux militaires qui ont rejoint les rangs de la police à « réintégrer leur base ».
L’ex sergent, qui se proclame « Commandant en chef des Forces Armées d’Haiti », avait reçu l’aval du maire de Tabarre, Jean Hilaire Lundi, pour occuper les locaux de l’ancienne résidence d’Aristide. Lundi a été révoqué et remplacé par Eugenie Suzie Julien, selon un arrêté gouvernemental rendu public dans la soirée.
En milieu de journée, la MINUSTAH avait lancé une mise en garde à peine voilée aux anciens militaires. « Le fait que nous soyons engagés (à Cité Soleil) ne devrait pas être mal compris et donner l’occasion à d’autres groupes armés, quels qu’ils soient, de penser qu’il y avait maintenant des occasions supplémentaires d’occuper des espaces publics ou privés ou encore, d’êtres impliqués dans des actions de maintien de l’ordre qui ne sont pas légitimement les leurs », avait prévenu l’Adjoint principal du Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies en Haïti, Hocine Medili.
Depuis plus de deux mois, une situation de violence règne dans quelques quartiers du centre-ville ou de la périphérie, affectant de manière significative les activités économiques et sociales. Une psychose est perceptible au niveau de la population, fatiguée de subir quotidiennement des assauts et désireuse de bénéficier de la sécurité et la paix.
Cette vague d’agitations et de violences, ayant fait des dizaines de morts, a commencé avec le lancement, le 30 septembre dernier, par les partisans d’Aristide d’un mouvement en faveur du retour physique en Haïti de l’ex Président, dont ce 16 décembre marque le 14ème anniversaire de sa première élection au pouvoir. [gp apr 15/12/2004 23:30]