Par Gotson Pierre
Repris de "Le journal des alternatives" [1]
P-au-P., 5 avril 2016 [AlterPresse] --- Des pas importants ont été franchis ces derniers jours en vue de résoudre la crise politique majeure à laquelle est confrontée Haïti depuis la fin de l’année dernière. Des élections considérées frauduleuses ont plongé le pays dans le chaos politique et une formule en dehors de la constitution a été trouvée pour combler le vide au départ de l’ex président Michel Martelly, le 7 février dernier.
Au bout d’un mois et demi de tractations et de polémiques, le président provisoire Jocelerme Privert a pu nommer un premier ministre, former un gouvernement et mettre en place un nouveau Conseil électoral. Mais Haïti n’est pas encore véritablement sortie de la zone d’instabilité et le débat sur l’avenir immédiat demeure ouvert.
Depuis le début de l’année, au moins 9 policiers ont été abattus par balles, tandis que plusieurs millions de compatriotes seraient menacés par l’insécurité alimentaire. La dépréciation de la gourde par rapport au dollar américain continue (environ 65.00 gourdes pour un dollar américain à la fin du mois de mars) et les caisses de l’État auraient été vidées par l’administration précédente, selon des informations communiquées par la présidence.
Un gouvernement et un conseil électoral en place après des semaines d’attente
Le nouveau gouvernement a été intronisé le 28 mars par le président Privert. Dans son discours d’investiture, le premier ministre Jean-Charles jure de mener à terme le processus des élections présidentielles, législatives et locales, initiées l’année dernière et entourées de controverses.
En plus des élections à achever, il y a aussi des défis majeurs à relever en rapport à la sécurité publique, la lutte contre la faim, la vie chère et la corruption, reconnaît-il.
Malgré les besoins pressants à plusieurs niveaux, on n’a pas vu de diligence dans la mise en place du nouvel appareil gouvernemental. Le parlement incomplet, irrégulièrement installé en janvier et dominé à la Chambre des députés par des parlementaires de l’ancien parti au pouvoir « Tèt kale » et ses alliés, n’a voulu concéder aucun cadeau à l’exécutif.
Un mois s’est écoulé entre la nomination comme premier ministre de l’économiste Fritz-Alphonse Jean, rejeté par la Chambre des députés, et le vote de la politique générale de Jean-Charles dans la nuit du 24 au 25 mars, après une vaste opération de marchandage de postes ministériels, sévèrement critiquée par de nombreuses voix citoyennes.
Cette mise en place se fait dans le cadre de l’accord du 6 février 2016, un document signé au palais présidentiel à quelques heures de la fin du mandat du président Martelly, entre le chef de l’État sortant et les présidents des deux branches du parlement, dont Jocelerme Privert, à l’époque numéro un du sénat.
Cet accord fixe 120 jours à l’administration provisoire. Celle-ci doit réaliser les élections le 24 avril.
Les 9 membres, dont 3 femmes, du nouveau Conseil électoral provisoire (Cep) ont prêté serment le 30 mars et ont été installés le même jour dans leurs fonctions, en vue de poursuivre le processus électoral tourmenté de 2015. Mais, personne ne croit à la possibilité de la tenue d’élections dans moins d’un mois.
Très lente modification des rapports de forces et scepticisme
L’installation du nouveau Cep fait remonter la pression en faveur de la création d’une commission de vérification des joutes de l’année dernière avant toute poursuite de ce processus controversé.
Partis politiques et organisations de la société civile ne voient pas comment avancer sur la voie électorale sans cette évaluation, qui amènerait à déterminer les « élus » qui l’ont réellement été et à libérer au parlement les sièges occupés par ceux-là qui auraient bénéficié de fraudes diverses.
Haiti doit rompre une fois pour toutes avec la fraude et l’impunité électorales, clament plus d’un. Quoique ce ne soit pas l’avis des secteurs liés à l’ancien pouvoir et de la communauté internationale, le président Privert y voit encore « une nécessité » et reconnaît que c’est une demande de la majeure partie de la société.
Autre revendication adressée au pouvoir : la mise en place d’une commission d’audit de l’administration Martelly des 5 dernières années, durant lesquelles des scandales de corruption ont été souvent dénoncés.
La très lente modification des rapports de forces sur le terrain suscite le scepticisme de la plupart des secteurs sociaux, qui souhaiteraient voir le gouvernement provisoire prendre des mesures célères, quand les partisans de l’ancien pouvoir disposent encore de leviers importants.
Le problème du pays ne se résoudra pas avec des parades parlementaires et un président provisoire indécis, soutient Nixon Boumba, membre de la coordination du Mouvement démocratique populaire (Modep).
Ce pouvoir ne peut pas résoudre cette crise politique, croit Rosnel Jean Baptiste, coordonnateur de l’organisation Tèt Kole ti peyizan ayisyen. Le gouvernement pourra encore moins travailler dans l’intérêt des masses populaires, s’inquiète-t-il.
L’attente d’une vraie transition
L’accord du 6 février, ne vaut plus grand chose, car, entre autres, un de ses signataires, Michel Martelly, est redevenu un simple citoyen 24 heures plus tard. Cette entente « n’est plus applicable, il faut un nouvel accord politique en vue de redéfinir la transition et sa durée », estime le dirigeant de la plateforme Justice, Michel André.
Point de vue similaire du candidat à la présidence et ex sénateur Jean Charles Moise, qui appelle le président Privert à s’entretenir avec l’ensemble des forces politiques et les organisations de la société civile pour une nouvelle entente. Si non, on ne sait pas quelle sera la situation politique lorsque l’accord du 6 février sera bientôt périmé sans avoir été complètement mis en œuvre.
Les forces sociales doivent se mobiliser à nouveau dans la perspective d’une autre transition, souhaite John Picard Byron professeur à l’Université d’État d’Haïti (Ueh).
Il encourage l’implication des divers protagonistes politiques et des classes populaires.
« Pour rétablir l’ordre constitutionnel, il faut une pause. La transition devient plus que nécessaire », souligne l’anthropo-sociologue. Sauf que « les forces politiques ne se sont pas concertées pour définir clairement cette transition » et improvisent un « colmatage » qui tend à favoriser l’instabilité. [gp apr 05/04/2016 13 :00]