« Au niveau religieux, la situation des femmes est surtout déterminée par l’attitude conservatrice vis-à-vis des rôles traditionnels des femmes », fustige la Misseh, qui préconise de « promouvoir l’émancipation et la participation des femmes protestantes dans la construction d’une société haïtienne plus juste et plus équitable ».
Soumis à AlterPresse le 10 mars 2016
La Mission sociale des églises haïtiennes (Misseh) face à la problématique du genre en Haïti
C’est au cours de l’année internationale de la femme, en 1975, que les Nations Unies ont commencé à commémorer la Journée internationale de la femme, tous les 8 mars, avant de l’officialiser deux ans plus tard, soit en 1977.
Cette journée internationale des femmes, qui trouve son origine dans les luttes des ouvrières du début du XXe siècle, en Amérique du Nord et dans toute l’Europe, pour de meilleures conditions de travail et le droit de vote, devient une journée de manifestations à travers le monde : l’occasion de faire un bilan sur la situation des femmes, des progrès réalisés, d’appeler à des changements et de célébrer les actes de courage et de détermination, accomplis par les femmes ordinaires, qui ont joué un rôle extraordinaire dans l’histoire de leurs pays et de leurs communautés.
Aujourd’hui, en 2016, près de quatre décennies après l’officialisation de cette journée, alors que des progrès sont déjà réalisés, il reste encore beaucoup à faire pour que les femmes parviennent à la jouissance de tous les droits, inhérents à l’être humain, à travers le monde.
En Haïti, la situation des Femmes et des Filles, par rapport à leurs Droits, a toujours été une source de préoccupation majeure.
En effet, les Femmes et Filles, étant considérées comme catégories vulnérables, ont dû toujours faire face à de sérieuses difficultés.
Les stéréotypes, à savoir la représentation sociale du rôle des femmes et des hommes, imprègnent encore considérablement les mentalités en Haïti. Intériorisés souvent par les femmes elles-mêmes, ces stéréotypes sont ancrés dans des comportements discriminatoires, desquels résultent des violations spécifiques à l’égard des femmes.
C’est pourquoi, la lutte en faveur de l’égalité et du respect de la dignité humaine reste une constante dans notre histoire de peuple.
Cette lutte a été renforcée par des revendications spécifiques, relatives à l’émancipation des femmes à partir du XXe siècle à l’initiative de la Ligue d’Action Féminine.
Celle-ci a conduit à un ensemble de mouvements et d’initiatives, qui ont, d’abord, abouti à la reconnaissance de l’égalité sociopolitique, en 1950, et ensuite à la reconnaissance et à la consécration, par la Constitution du 29 mars 1987, de l’égal accès des composantes des deux sexes de la société aux droits fondamentaux de la personne.
Cet acquis démocratique a été concomitamment complété par un ensemble d’instruments juridiques internationaux, dont Haïti est signataire.
Malgré ces progrès indéniables, les inégalités entre les femmes et les hommes demeurent bien réelles dans notre société. Elles se manifestent dans tous les domaines de la vie sociale, politique, économique et culturelle du pays, et ont des répercussions sur le bien-être des femmes.
A titre d’exemples, sur un total de six cent quinze (615) juges, répartis à travers les dix-huit juridictions du pays, on ne compte que trente-deux (32) femmes et, sur les 179 tribunaux de paix existants dans le pays, on ne dénombre que cinq femmes responsables, selon les données du service du personnel du Ministère de la justice pour l’année 2013.
Les femmes, d’une manière générale, n’administrent pas les tribunaux [1].
De même, la sous-représentation des femmes dans les instances décisionnelles de l’enseignement, en général, met à nu les discriminations de genre du système éducatif.
Elles sont surreprésentées au niveau préscolaire, et leur présence diminue au fur et à mesure que le niveau augmente. Elles se retrouvent, de plus, cantonnées dans l’enseignement des matières dites féminines. Le taux d’analphabétisme se révèle important chez les femmes. 42.0% de celles-ci sont analphabètes [2].
Si les femmes forment la majorité de la population avec 51.8%, leur participation aux instances décisionnelles est faible [3].
Peu représentées dans ces espaces, elles ne peuvent pas influencer les discours et les programmes concernant l’orientation de la société.
Elles participent très peu, en tant que candidates, aux joutes électorales. Leur présence est faible aux postes nominatifs. Elles sont surreprésentées aux postes administratifs et de soutien.
Alors que, pour la 49e législature, en 2011, on comptait 5 députées sur 99 députés (soit 5.05%) et une sénatrice sur 30 sénateurs (soit 3.33%), aujourd’hui, en 2016, le parlement haïtien ne compte aucune femme. C’est tout simplement 0%.
Il en est de même pour toute la sphère économique.
Au niveau religieux, la situation des femmes est surtout déterminée par l’attitude conservatrice vis-à-vis des rôles traditionnels des femmes.
Même si depuis le premier siècle, l’apôtre Paul écrit « Il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni libre, il n’y a plus ni homme ni femme ; car tous vous êtes un en Jésus Christ (Galates 3:28), la mentalité des leaders d’églises vis à vis du rôle de la femme dépasse peu celle de la période lévitique.
Consciente de cette situation, la Mission sociale des églises haïtiennes (Misseh) - dont les valeurs sont la Dignité, la Confiance, le Respect et l’Intégrité - croit impératif de combattre ces mentalités sexistes, sources de tant d’inégalités de genre.
En 2008, elle a lancé le programme « Équité de Genre et Droits des femmes ».
Il s’agit d’attirer, avant tout, l’attention du leadership protestant par l’intermédiaire des principales missions protestantes d’Haïti, qui sont, d’ailleurs, ses partenaires, sur la nécessité de promouvoir l’émancipation et la participation des femmes protestantes dans la construction d’une société haïtienne plus juste et plus équitable.
Ainsi, la Misseh a-t-elle débuté un travail de sensibilisation et de formation à travers les églises, particulièrement les églises protestantes, sur l’importance de l’équité de genre, les violences basées sur le genre (Vbg), les droits des femmes.
De 2008 à 2014, plus de 11,000 femmes (70%) et hommes (30%) ont été sensibilisés en ce sens.
Ce travail a été possible grâce à la formation et l’implication de 50 leaders de femmes, recrutées à travers les missions partenaires à titre de monitrices genre, dans l’objectif de dupliquer ces formations.
Jusqu’ en 2011, on n’avait que des monitrices, qui assuraient la formation en équité de genre et droits des femmes.
Mais, à partir de 2012, on compte plus d’une centaine de moniteurs et monitrices (50% hommes, 50% femmes), engagés dans la sensibilisation sur l’importance de l’équité de genre, les droits des femmes et contre les violences faites aux femmes.
Selon les témoignages recueillis, les interventions de la Misseh, à travers les églises, ont réveillé la conscience des gens sur les questions relatives au genre.
Des femmes, autant que des hommes, ont, alors, compris la nécessité de travailler à l’établissement d’un nouvel ordre à l’intérieur des églises, où les talents, le leadership des femmes seraient valorisés en vue de leur juste participation dans les affaires ecclésiales.
En 2015, l’impact des travaux, déjà réalisés à travers le programme « Équité de Genre », lancé en 2008, a conduit la Misseh à la découverte d’autres chantiers.
En effet, deux journées de formation ont été réalisées à l’intention des leaders religieux, responsables d’églises.
Tous des hommes et au nombre de trente, ils ont débattu, réfléchi et appris autour des thématiques de violence basée sur le genre, de droits des femmes et de l’importance du leadership féminin, dans l’objectif de les amener à une meilleure compréhension de ces notions, dans l’attente de nouvelle approches dans les relations hommes / femmes et d’une meilleure utilisation des compétences féminines à l’église.
Le 8 mars 2015, profitant de sa position en tant que membre active de la plateforme Religions pour la Paix, la Misseh a organisé un grand rassemblement médiatisé, composé de gens de tous les secteurs religieux (catholique, anglican, vodouisant, musulman). Ça a été l’occasion, pour ces différents secteurs religieux, de se prononcer, haut et fort, contre les stéréotypes sexistes, tout en plaidant pour une société où les femmes puissent jouir pleinement de tous leurs droits.
Tant que cette situation où les femmes sont victimes des inégalités sociales, économiques, politiques, culturelles et même religieuses persistent dans la société haïtienne, la lutte pour l’effondrement de ce statu quo continuera.
Si le 8 Mars donne l’occasion de diriger les projecteurs sur tous les aspects de la lutte pour l’égalité et l’équité de genre, toutes les actrices et tous les acteurs - conscientes et conscients de la nécessité de cette lutte - doivent continuer à agir, en vue de la garder en vie après le 8 Mars.
C’est pourquoi, la Misseh s’engage à s’impliquer, de plus en plus, dans ce vaste et urgent chantier, pour l’établissement d’une société plus juste.
Il ne faut jamais oublier que l’égalité entre les femmes et les hommes demeure un enjeu fondamental de développement durable.
Cela passe, bien sûr, par l’atteinte des objectifs du millénaire pour le développement, que sont : le respect des droits de la personne, y compris les droits économiques, sociaux et culturels, la réduction de la pauvreté extrême et l’instauration d’une gouvernance transparente, responsable et participative.
L’Etat ne peut pas, tout seul, porter ce vaste projet.
Il importe, donc, à toutes et tous, femmes et hommes, de s’impliquer dans une action citoyenne, commune et responsable, afin de contribuer à la construction de cette société juste et équitable, dont nous rêvons.
Tel est le sens de la participation et de l’implication de la Misseh.
Port-au-Prince, le 8 mars 2016
Rose Ketlyne Eliscar Ethéart
Responsable Equité de Genre, Misseh