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Haïti : Le 8 mars, une fête hypocrite et sans effet (dernière partie)

Par Nancy Roc

Soumis à AlterPresse le 9 mars 2016

Dans notre premier et second article, nous avons vu à quel point la femme haïtienne est toujours considérée comme un citoyen de seconde zone, tant par les textes de lois absents pour la protéger et en faire la promotion que par le manque de moyens accordés à l’État pour faire avancer la cause des femmes.

Aujourd’hui, après avoir eu, pendant cinq ans, un président montrant publiquement son mépris profond de la femme et avec un parlement exclusivement masculin, le recul de la condition féminine a, sans doute, de beaux jours devant lui.

Après ce bilan, il est clair que le 8 mars en Haïti demeure une « fête » sans effet, dans un pays où les droits les plus élémentaires de la femme haïtienne sont constamment violés.

Or, la qualité et la modernité d’une société est proportionnelle à l’importance et au comportement envers les femmes de cette société.

En dehors de la responsabilité de l’État et du parlement, en quoi l’hypocrisie d’une société basée sur le mensonge est-elle mortifère pour 52 % de la population et, par effet boomerang, pour l’ensemble du pays ?

La bigoterie des partis politiques

Comment oublier qu’un chef de parti politique, lorsque Mme Michèle Pierre-Louis avait été choisie comme Première ministre sous Préval, a pu sortir publiquement à la radio que ce choix était une punition, qui avait causé le séisme de 2010 ?

En faisant référence, de façon immonde, au choix sexuel de Mme Pierre-Louis, comme la cause du tremblement de terre et punition divine contre ce qu’il considérait comme une « dégradation des mœurs », ce chef de parti politique a démontré son obscurantisme abyssal. Son devoir aurait été de faire l’effort d’expliquer ce qu’est la tectonique des plaques et comment des pays où le risque sismique est plus grand ont appris à vivre avec, en faisant l’effort de rechercher comment adapter les normes de construction à ce péril permanent.

L’acharnement des partis politiques et même d’une partie de la presse contre Mme Pierre-Louis, à l’époque, relève d’une bigoterie digne des imams islamistes radicaux.

Pourtant, ni ce chef ni les autres partis politiques n’ont fait entendre leur voix contre la nomination, deux ans plus tard, d’un ministre connu comme pédophile à la tête du Ministère de la Jeunesse et des Sports.

Quand le champion de la dégradation des mœurs, Michel Martelly, est arrivé au pouvoir, qu’avons-nous vu ? Ce même chef de parti politique a accepté de devenir son ministre de la Jeunesse des Sports et de l’Action civique !

Cet exemple, à lui seul, démontre l’hypocrisie des hommes politiques en Haïti.

En effet, si l’identité, l’orientation et la vie sexuelles sont des aspects des droits de la personne et du droit à la vie privée - droits protégés au niveau international -, par contre, la pédophile est un crime.

Cet exemple illustre aussi toutes les discriminations fondées sur le sexe, l’orientation sexuelle et le genre. Comment s’étonner alors que seules seize (16) femmes occupent des postes d’une certaine importance (secrétaires, coordinatrices ou porte-paroles) au sein de cinquante-cinq (55) partis politiques ? [1]

Quant à la dévalorisation des femmes, ces dernières années, elle a enfanté un parlement exclusivement mâle.

Les femmes moins présentes dans la presse

Globalement, les femmes sont moins représentées dans la presse que les hommes et, souvent, elles sont reléguées au domaine culturel, en particulier dans la presse écrite.

Le Nouvelliste, doyen de la presse haïtienne, n’a pas tracé l’exemple : tous ses chroniqueurs et éditorialistes sont des hommes.

On note aussi une sous-représentation des femmes en tant qu’« expertes », « intervenantes » et « invitées politiques » dans la plupart des radios et à la télévision.

On ne saurait taire, qu’à l’instar de beaucoup des patrons haïtiens, les hommes occupant de hautes fonctions dans la presse se servent de leur pouvoir et de leur influence pour exiger des rapports sexuels avec des subalternes ou d’autres femmes dans la presse. Tout ceci est pourtant passé sous licence par les mêmes médias qui s’érigent en défenseurs des droits de la femme ou, carrément, en donneurs de leçons.

D’ailleurs, on ne retrouve aucun article à cette pratique honteuse dans le Code de déontologie des médias et des journalistes d’Haïti de 2011.

L’article 21 sur « médias et genre » stipule simplement que « les médias et les journalistes doivent faire preuve d’une sensibilité particulière en ce qui concerne les problèmes se rapportant aux stéréotypes sexuels. Les médias et les journalistes s’assurent qu’ils reflètent l’égalité intellectuelle et émotive des hommes et des femmes. Ils doivent encourager la participation des femmes dans les médias, y compris à des postes de responsabilité. [2] »

Quant aux femmes présentatrices ou journalistes spécialisées en politique, elles se comptent avec les doigts d’une main. Ces femmes, qui affrontent constamment des situations périlleuses ; sont sujettes aux traumatismes et au danger toute leur vie.

Avec l’avènement des médias sociaux et en particulier sous le régime Martelly-Lamothe, le lynchage d’une personnalité médiatique a atteint un niveau sans précédent et était exercé en toute impunité.

J’en ai vécu la douloureuse expérience, notamment à travers les écrits mensongers, diffamatoires et fielleux des sbires de ce régime, en particulier de la part de Cyrus Sibert du Réseau Citadelle, pourfendeur zélé de Laurent Lamothe.

Pourtant, aucune association de journalistes n’a pipé mot.

Il en a été de même lorsque j’ai démissionné de Métropole pour cause de censure illégale : l’Association nationale des médias haïtiens (Anmh) s’est tue et a préféré protéger le Pdg de Métropole, connu pourtant comme étant un ami personnel du président Martelly que cette radio défendait.

Pire ! Les femmes comme les hommes fanatiques du régime néo-duvaliériste Martelly-Lamothe ont partagé des attaques ordurières contre mon identité féminine, à travers les réseaux sociaux. Même la mairie de Pétionville, sous Yvanka Jolicoeur, a posté ces horreurs.

Mon seul tort ? Avoir décrypté les dits et non-dits de Martelly et Lamothe lors du passage du premier à TV5 et lors du discours d’adieu du second. Ceci, pour ne pas avoir encensé le Chef de l’État et son gouvernement, pour avoir osé dénoncer ses dérives dictatoriales ainsi que sa manipulation propagandiste. Comme a eu à le dénoncer le Professeur Auguste D’Meza récemment, « il y a deux dangers dans ce pays : être honnête et savoir lire ». [3]

La méringue carnavalesque et misogyne du président Martelly contre ma consœur, Liliane Pierre-Paul de Radio Kiskeya, illustre l’apogée de cette barbarie à connotation sexuelle. « Ba’l bannann lan » a fait le tour du monde et fait honte à tout le pays. Pourtant, là encore, le montage d’une vidéo obscène montrant Liliane et le président dansant lascivement sur cette musique a inondé les réseaux sociaux. De plus, l’animateur Carel Pèdre a fièrement reconnu avoir diffusé cette méringue 106 000 fois en 24 heures [4]. Je ne sais d’ailleurs pas par quelle magie il a obtenu ce chiffre qui défie l’arithmétique élémentaire. Il n’en demeure pas moins que son attitude est une insulte à une icône de la presse telle que Liliane Pierre-Paul.

La responsabilité des femmes

Dans un tel contexte salace de la société haïtienne, la Journée internationale de la femme en Haïti restera une fête hypocrite et sans effet. Il faut désormais insister pour que le 8 mars devienne la Journée internationale des droits de la femme, une journée de revendication pour la défense et la promotion des droits des femmes en Haïti.

Il faut que chaque Haïtien condamne toute atteinte aux droits des femmes comme il le ferait pour sa mère, son épouse ou sa fille. Il faut aussi que les mères haïtiennes changent l’éducation qu’elles donnent à leur fils car c’est aussi par cette éducation perverse que leurs fils sont devenus aussi peu respectueux envers les femmes. Il faut le reconnaitre : il y a des femmes actrices et « transmettrices » de la haine et du mépris des femmes, surtout dans un pays où elles sont économiquement dépendantes des hommes. Dès le plus jeune âge, les mères doivent donc s’attacher à combattre les stéréotypes car l’éducation joue un rôle clef dans les différences entre les femmes et les hommes.

« Toutes les tendances égoïstes qu’on trouve chez les hommes, le culte de soi et le mépris des autres, prennent leur source dans l’organisation actuelle des relations entre les hommes et les femmes. » [5]

Il en est de même en Haïti. Ainsi, si ces relations changent pour et vers le meilleur, c’est tout le pays qui y gagnera.

Nancy Roc, Accra, le 9 mars 2016

N.B : Une erreur s’est glissée dans la 2e partie de ces articles. Mes excuses à Adeline Chancy qui est bien vivante. C’est Nicole Magloire qui est décédée


[1Juno Jean Baptiste, « Il est inconcevable qu’il n’y ait aucune femme siégeant au Parlement en 2016 », Le Nouvelliste, 9 mars 2016.

[2AlterPresse, Le Code de déontologie des médias et des journalistes d’Haïti, 15 décembre 2011.

[3Radio Métropole, Le Point, 8 janvier 2016.

[4Roberson Alphonse, Martelly, l’ultime dérapage. Le Nouvelliste, 1er février 2016.

[5Citation de John Stuart Mill