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Haïti : Le 8 mars, une fête hypocrite et sans effet (2e partie sur 3)

Par Nancy Roc

Soumis à AlterPresse le 8 mars 2016

Ce 8 mars, la plupart des Haïtien(ne)s ont encore confondu la Journée internationale des droits des femmes avec la « journée de la femme ».

Pensées spéciales et roses sur le Net en cette journée.

Mais qu’est-ce que ces dernières peuvent-elles bien changer pour la majorité des femmes haïtiennes, dont tous les droits sont bafoués depuis notre indépendance ?

Ce n’est pas le 8 mars qu’il faut avoir « une pensée spéciale » pour les femmes, mais leur montrer du respect tout le long de l’année. Œuvrer pour leurs droits, car tout homme doit sa vie à une femme.

Le ministère de la Condition féminine a été créé, par décret, le 8 novembre 1994 et officiellement défini le 11 août 1995. Toutefois, d’Aristide à Martelly, le statut de la femme haïtienne est resté pratiquement au stade de l’esclavage.

La femme haïtienne, citoyenne de seconde zone

Au XXIe siècle, être une femme en Haïti, c’est être considéré comme un citoyen de seconde zone. Non seulement la société haïtienne est patriarcale, mais l’instabilité politique, créée par les hommes, a pris en otage et martyrisé la vie de milliers de femmes.

Sous le coup d’État, en 1991, les femmes, violées et agressées sexuellement par les groupes armés, furent des centaines à faire les frais de cette insécurité.

Ensuite, sous le gouvernement provisoire de Gérard Latortue, la transition sera marquée de meurtres quasi quotidiens, de kidnapping, de viols et d’incendies criminels, qui feront des milliers de victimes [1].

Cette situation tragique se poursuit encore aujourd’hui sous le gouvernement de transition de Jocelerme Privert. Les viols et les kidnappings ont resurgi.

Il y a deux semaines, une fille de bonne famille, qui a été kidnappée, a été sauvagement violée par ses agresseurs, mais le silence sera maintenu par sa famille pour préserver « l’honneur » de cette dernière, n’est-ce pas ?

Le 1er mars écoulé, trois fillettes de 8, 10 et 14 ans ont été kidnappées à Saint-Michel de l’Attalaye par des bandits armés, entrés par effraction dans une maison. Les ravisseurs ont réclamé une rançon de 2 millions de gourdes (33 000 dollars américains) aux parents.

Comment expliquer que le gouvernement Martelly – encore en place aujourd’hui – a mis davantage d’argent dans le carnaval et le tourisme, que dans la Condition féminine ?

Car, il est là aussi le nerf de la guerre : tant que le ministère de la Condition féminine n’aura pas les ressources humaines et matérielles nécessaires à son bon fonctionnement, il ne pourra pas accomplir sa mission envers les femmes, soit 52% de la population.

Cette année, l’Onu a fixé une date pour l’égalité des sexes, 2030… alors qu’en Haïti, un acquis international, comme l’avortement, est toujours considéré comme un crime. Sont punis, de la réclusion criminelle à perpétuité, la femme qui avorte et tous ceux, intermédiaires, pharmaciens, médecins, qui lui prêtent leur concours.

L’article 262 du Code pénal, à ce sujet, remonte à... 1835 !

Alors, pendant que nos parlementaires sont préoccupés par le moyen de faire fortune et de jouir de l’impunité parlementaire, ce qui prévaut est toujours la non intégration, la non harmonisation des textes juridiques nationaux avec les conventions internationales sur les droits des femmes signées et/ou ratifiées par l’État haïtien ; et ceci, à tous les niveaux.

Mme Adeline Chancy Magloire avait souligné dans le Livre blanc du gouvernement de transition, que « les lois en vigueur s’inspirent du Code napoléonien et ne considèrent pas les femmes comme des citoyennes à part entière  ».

Les situations objectives des femmes sont occultées notamment en matière de :

• Formes d’union : dans leur grande majorité les unions sont conclues sur des modes consensuels (55%) et non selon la forme légale du mariage (44.5%). Les femmes sont davantage impliquées dans ce type d’union (56.8% de femmes contre 54.1% d’hommes) ;
• Pour l’ensemble du pays, 43% des ménages sont dirigés par des femmes sans conjoint ou bien le conjoint ne réside pas dans le ménage. Au poids de la monoparentalité féminine s’ajoute le phénomène de la matrifocalité ;
• Absence et/ou insuffisance de cadre juridique sur la violence spécifique faite aux femmes ainsi que sur leurs droits sexuels et reproductifs [2].

Ces données de 2005 font juste référence au statut juridique des femmes haïtiennes.

Mais les statuts de ces dernières en matière de santé, d’économie, d’éducation et de la participation politique sont toutes au rouge. Avec la catastrophe économique, laissée par le régime Martelly, et un taux de change de $US1.00 pour plus de 60 gourdes, ces données, dix ans plus tard, ont certainement empiré.

Alors, oui, il y a eu une femme présidente de transition - qui a, d’ailleurs, réalisé les seules élections non contestées de notre histoire - des sénatrices, députées etc. Mais citer ces exemples, en lieu et place de la réalité de la femme haïtienne aujourd’hui, est réducteur, car elle mérite bien plus que cela.

La violence faite aux femmes : Haïti en retard sur l’Afrique

Nous avons vu dans notre premier article à quel point, avec son parlement patriarcal et uniquement composé d’hommes, Haïti fait preuve d’un système politique et sociétal rétrograde en ce XXIe siècle.

En travaillant au Ghana, depuis un an, j’ai eu l’occasion de visiter plusieurs pays de l’Afrique de l’Ouest, notamment, le Ghana, le Togo et le Bénin. En œuvrant pour les droits des femmes, j’ai pu constater à quel point Haïti est en retard par rapport à ce qu’on appelle aujourd’hui le « continent de l’avenir ».

En effet, lorsqu’il a été adopté, le 11 juillet 2003, le Protocole de Maputo a constitué une véritable avancée pour la promotion et la protection des droits des femmes sur le continent africain. Il contient un certain nombre de dispositions assez avant-gardistes, qui garantissent, notamment, les droits civils et politiques des femmes africaines, leur intégrité physique et psychologique, et leur émancipation économique.

S’il contenait des dispositions relativement limitées, par rapport aux droits des femmes, les organisations féminines de la société civile et certains représentants de la commission africaine ont jugé utile d’avoir un document consacré spécifiquement à la protection des droits des femmes en Afrique.

Dans la violence faite aux femmes, un long chemin reste à parcourir en Afrique : les auteurs de violences sexuelles – utilisées comme armes de guerre – ne sont pas réprimés de manière effective par les États, les mutilations génitales n’ont pas encore été totalement éliminées et certains ont même critiqué ce Protocole comme un « outil cherchant à imposer l’avortement libre sur tout le continent. [3] ».

Mais, c’était sous-estimer l’éducation et l’engagement des organisations féminines africaines, qui n’ont pas cessé de se battre pour obtenir une large ratification et modifications de ce texte auprès des États.

Dix ans plus tard, 36 des 54 États membres de l’Union Africaine ont déjà ratifié le texte qui stipule, entre autres, la responsabilité des États dans la protection des femmes, sur la répression et les poursuites pénales à l’encontre des auteurs de violences.

En ce sens, même si au niveau de l’application de ces mesures le bât blesse encore, en 10 ans, des avancées ont été surtout observées sur le plan législatif et institutionnel.

Certains États ont adopté des lois nationales pour mettre en œuvre le Protocole de Maputo : le Kenya et le Liberia ont voté des textes législatifs pour réprimer les auteurs de violences sexuelles, le Ghana et le Mozambique ont criminalisé les violences domestiques, l’Ouganda et le Zimbabwe ont interdit toutes formes de mutilations génitales féminines, la Côte d’Ivoire et le Sénégal ont institué des mécanismes de promotion des droits des femmes.

Qu’ont fait l’État et nos législateurs en Haïti, ces 10 dernières années ?

Mettre fin à toutes les discriminations juridiques restantes envers les femmes devrait être une priorité pour les législateurs haïtiens ; à commencer par la dépénalisation de l’avortement. Car « avec 530 décès maternels pour 100,000 naissances, dont plus de 100 surviennent après des avortements, Haïti a le plus fort taux de mortalité maternelle de tout le continent américain. On sait qu’une femme sur sept, ici, avorte au cours de sa vie. Et que les grossesses précoces démarrent le plus souvent un an après les premières règles, vers 12 ou 13 ans. [4] »

La dépénalisation de l’avortement en Haïti revient à se positionner en faveur de la vie, soutient l’Initiative pour un développement équitable en Haïti (Ideh) [5].

Alors, messieurs les législateurs, depuis 1835, il serait temps, non ? Car votre bigoterie vous a laissé du pain sur la planche concernant le sort des femmes en Haïti.

C’est une lapalissade qu’il convient de rappeler constamment : les hommes ne peuvent pas progresser sans les femmes.

Cette longue hésitation d’un parlement à la représentativité contestable en dit long sur une stagnation régressive, où le déni de citoyenneté affecte l’ensemble des Haïtiens, mais en particulier les Haïtiennes.

Nancy Roc, Accra, le 8 mars 2016.

……..


[1Adeline Chancy Magloire, Ministère à la condition féminine et aux droits des femmes, Livre blanc du gouvernement de transition, page 302.

[2Adeline Chancy Magloire, Ministère à la condition féminine et aux droits des femmes, Livre blanc du gouvernement de transition, page 305.

[3Human Life International, Le Protocole de Maputo : un danger imminent, 2007, page 3.

[4Agathe Logeart, "Tomber la grossesse" : l’enfer des avortements clandestins à Haïti, L’OBS, 20 septembre 2014.

[5AlterPresse, Haïti – Femmes : Dépénaliser l’avortement, un positionnement en faveur de la vie, 16 janvier 2015.