Par Marie Frantz Joachim*
Soumis à AlterPresse le 7 mars 2016
Haïti commémore le 8 mars 2016 avec un Parlement exclusivement mâle. Alors que l’Etat haïtien prend des engagements internationaux notamment à travers la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des Femmes, qui, en son article 2, préconise l’adoption de mesures appropriées pour l’application des principes d’égalité. Encore faut-il que les politiques soient conscients de ce besoin.
Comment se fait-il qu’en dépit des actions de mobilisation des organisations de femmes et des mesures incitatives inclues dans le décret électoral pour favoriser l’application du quota d’au moins 30% de femmes, la 50ème législature soit constituée exclusivement d’hommes ?
Il est vrai que le statut socio-culturel des femmes, le mode de fonctionnement patriarcal des partis politiques, les problèmes liés à l’éducation sont les principaux facteurs évoqués généralement pour expliquer le faible taux de participation des femmes aux élections. Mais peut on faire l’économie du système électoral censitaire établi par le décret électoral, faisant obligation d’une forte somme d’argent à toute personne désireuse de se porter candidate. Or, il est bien connu que l’autonomie financière des femmes représente l’un des obstacles majeurs à leur participation comme candidate aux élections.
D’autre part, il y a la question de l’autorité. Si on remonte à la conjoncture électorale de 2015, on ne peut faire abstraction du comportement brutal de l’ancien président Michel Martelly. L’agression verbale perpétrée par Martelly lui-même envers une citoyenne qui lui demandait des comptes lors d’un meeting électoral en juillet 2015, ne participe-t-elle pas à renforcer l’idée qu’une femme doit se soumettre à l’autorité masculine surtout lorsqu’il s’agit d’un chef ? Dans cette optique la proposition indécente du Président invitant la citoyenne à le rejoindre sur le podium pour la violer publiquement, ne fait que salir et pâlir l’image des femmes qui sont présentées comme des objets sexuels. Elles sont destinées à assouvir le plaisir masculin et en aucun cas elles ne sauraient représenter d’autres femmes et encore moins des hommes au Parlement.
En d’autres termes, les insultes du Président, visant le corps féminin, constituent une incitation à exercer des violences envers les femmes, spécialement le viol. Ce comportement sexiste d’un Président, particulièrement dans un contexte de campagne électorale pour les législatives ne peut avoir que des conséquences négatives sur les femmes candidates et aggraver une situation déjà largement défavorable aux femmes : la sphère politique est réservée aux hommes.
Il faut aussi faire état des actes de violence inouïe perpétrés par des partis et membres de partis de pouvoir durant la campagne électorale, actes restés impunis, et les accusations de corruption des candidats dont les cas ont été portés par-devant les Bureaux de contentieux électoraux. Quand on sait qu’ordinairement les femmes recourent aux méthodes pacifiques pour résoudre les problèmes auxquels elles font face, il est à se demander si ce contexte socio-politique n’a pas fortement contribué à les exclure du processus électoral.
Tous les organismes nationaux d’observation électorale s’accordent à dire que les fraudes étaient massives dans les élections et indexaient les responsables de l’organe électoral dont la crédibilité laissait à désirer au point que la plupart d’entre eux ont du démissionner après la promulgation des résultats contestés.
Cela veut dire concrètement que tout concourrait à empêcher aux femmes d’exercer pleinement et en toute sécurité leurs droits politiques.
Ce n’est donc pas un hasard ou encore un manque d’intérêt des femmes pour la politique, qui explique aujourd’hui qu’Haïti s’est dotée d’un Parlement exclusivement mâle. La volonté des femmes de se porter candidates aux législatives s’était exprimée clairement lors du Parlement Symbolique des Femmes (PSF) en 2013. C’était l’occasion pour 129 femmes députées et sénatrices ainsi que 5 membres du gouvernement symbolique incluant la Première Ministre de démontrer par l’exemple, notre détermination à changer les structures de pouvoir en vertu de l’idéal féministe : « faire la politique autrement ». Elles ont simulé, d’une part, leur rôle de cheffe de gouvernement et de ministre et, d’autre part, de contrôle du Pouvoir Exécutif, de voter des lois et de représenter leur circonscription ou département respectif.
Le PSF a constitué une école de préparation des leaders communautaires dans leurs démarches à se porter candidates et s’assurer de leur réussite aux prochaines joutes électorales. Il a suscité beaucoup d’espoir, d’où la détermination des femmes à prendre part aux compétitions électorales lors des législatives. Elles étaient 23 sur 232 postulantes au Sénat et 129 femmes sur 1621 candidats à la députation.
*Linguiste, féministe