Par André Lafontant Joseph*
Soumis à AlterPresse le 8 février 2016
Deuxième partie : Les discussions politiques préalables à la relance du processus électoral
Dans le premier de cette série d’articles, nous avons vu qu’il était important de tenir compte du temps nécessaire pour réaliser différentes tâches indispensables à la tenue de bonnes élections.
Notre assertion va à l’encontre du délai de 120 jours, accordé au gouvernement de transition dans l’accord du 6 février 2016, pour la réalisation des élections.
Ce court délai se réfère à la Constitution amendée et suppose l’existence d’un appareil électoral opérationnel (Conseil, Bed, Bec, membres de Biv, etc.), la disponibilité d’une loi électorale ac-ceptable. Il ne sous-entend aucune investigation, préalable à la tenue des élections.
Encore une fois, la pression de la communauté internationale nous pousse à de mauvais choix.
Dans le précédent article, nous avons avancé qu’il fallait au moins neufs mois pour réaliser onze tâches préalables au lancement du prochain scrutin.
Ce sont, de manière non exhaustive, :
1. Les discussions politiques relatives à la révision du décret électoral et à la formation du prochain Conseil électoral provisoire (Cep) ;
2. La révision de la loi électorale, en fonction des consensus dégagés à travers les dis-cussions ;
3. Le choix des membres du nouveau Cep et de la Commission indépendante d’évalua-tion électorale (Ciee) ;
4. La nomination et l’installation des membres du Cep ;
5. L’élaboration des nouveaux règlements généraux du Cep ;
6. La restructuration de l’appareil central du Cep (Direction exécutive, les autres direc-tions, le Centre de tabulation, etc.) ;
7. La restructuration de l’appareil déconcentré du Cep (Bureaux électoraux départemen-taux / Bed, Bureaux électoraux communaux : Bec) ;
8. L’identification de nouveaux centres de vote ;
9. Le recrutement et formation de nouveaux membres de Bureaux d’inscription et de vote (Biv), de superviseurs, d’Agents de sécurité électorale (Ase), etc. ;
10. La préparation de nouvelles listes électorales ;
11. L’affichage des listes électorales, 4 semaines avant les plus prochaines élections.
Dans le présent article, nous traitons du bien fondé et des orientations des discussions politiques indispensables.
Quand nous parlons de discussions, nous envisageons des forums et des ateliers, méthodique-ment organisés et gérés par des animateurs expérimentés.
Les travaux seront alimentés par des analyses d’un comité, formé d’experts et d’acteurs-clés de la vie politique, qui prépareront des documents thématiques d’orientation et des projets de résolutions à mettre en discussion.
C’est la raison pour laquelle nous évaluons à trois semaines le temps nécessaire pour finaliser ces activités.
Sans négliger l’importance des autres points, qui ont fait problème - tels que les fonctions judi-ciaires du Cep, la question archaïque des mandataires de partis -, nous nous limiterons aux pro-blématiques de la composition, de la formation et du fonctionnement du nouveau Cep.
Sur la composition du Conseil d’administration du nouveau Cep
Dans pratiquement toutes les élections, qui ont suivi celles de 1991, le choix des membres des Conseils d’administration des différents Cep (Cacep) s’est fait sans tenir compte de leurs capaci-tés à délivrer la marchandise.
De plus, la formation de ces conseils faisait souvent l’objet de tractations et de manœuvres, tant du pouvoir, de l’opposition, que de certains des individus intéressés à en faire partie.
Il est donc impératif, cette fois-ci, de définir, à l’avance, des critères de choix et des procédures garantissant un minimum de pertinence dans la formation des prochains Cacep.
Ces considérations sont également valables pour la désignation des membres de la Commission indépendante d’investigation électorale (Ciie).
Il est paradoxal que pour une fonction aussi importante que celle de conseiller électoral, aucun critère, autre que ceux définis par la Constitution, ne soit envisagé dans le choix des futurs titu-laires.
L’article 193 de la Constitution, dite amendée, se lit comme suit :
Pour être membre du Conseil électoral permanent, il faut :
être haïtien d’origine ;
être âgé au moins de quarante (40) ans révolus ;
jouir de ses droits civils et politiques et n’avoir jamais été condamné à une peine afflictive ou infamante ;
avoir reçu décharge de sa gestion si on a été comptable de deniers publics ;
avoir résidé dans le pays au moins trois (3) ans avant sa nomination.
Par ses responsabilités judicaires, le Conseil d’administration du Cep se rapproche de la Cour su-périeure des comptes et du contentieux administratif et du Conseil constitutionnel.
Or, pour ces deux instances, la Constitution prévoit le profil académique et professionnel adé-quat.
En ce qui concerne le Conseil constitutionnel, il est formé de trois magistrats, trois juristes et trois personnalités de grande réputation.
La Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif, pour sa part, est formée de comptables agréés, d’administrateurs, d’économistes ou de spécialistes en finances publiques.
Pour notre part, nous pensons que la composition du Cep devrait tenir compte du profil profes-sionnel des candidates et candidats, de leurs expériences pertinentes par rapport aux tâches qu’ils auront à remplir, de leur parcours politique et citoyen, et de leur notoriété.
Les tâches principales du Conseil réclament, en premier lieu, des compétences en droit et en ges-tion. Des connaissances ou des expériences supplémentaires en planification, sociologie, ethno-logie, en Technologie de l’information et de la communication (Tic) et en science politique, doi-vent être recherchées.
Sur le plan de la notoriété, il faut rechercher des citoyens ayant une vie publique permettant à la société d’avoir une idée de leur rectitude et de leur attachement aux valeurs démocratiques.
Il est difficile d’anticiper la réaction des hommes et des femmes, face aux appâts de la corruption, tant qu’ils n’y sont pas exposés.
Une personne honnête est celle qui a eu l’occasion de verser dans la corruption, mais qui s’est retenue.
Les modalités d’appel à candidature doivent être transparentes, mais doivent permettre de dimi-nuer le nombre de prétendantes et prétendants.
Ainsi, les principes et critères de présélections des candidates et candidats doivent-ils être clai-rement définis à l’avance. Il en est de même des modalités de la sélection finale.
Sur la constitution du Conseil d’administration du Cep (Cacep)
La mise en place des Conseils d’administration du Cep a, jusqu’à présent, été réalisée de manière assez laxiste.
On fait appel à de secteurs pour désigner les membres des Conseils, sans tenir compte de leur capacité, de leur spécificité, de leurs forces et faiblesses, ni de la nécessité de fixer des critères institutionnels habilitant de telles entités à participer à une opération, dont dépend l’avenir du pays.
Par exemple, l’Église catholique romaine est une institution millénaire homogène avec sa hiérar-chie, ses règles de fonctionnement, ses grands moyens, alors que le secteur syndical constitue une nébuleuse d’organisations ayant des traits les uns différents des autres.
Parmi les syndicats, Il y a des organisations à couverture nationale et d’autres d’envergure sim-plement régionale. Est-il logique d’attendre d’eux les mêmes performances si l’on ne fixe pas une procédure qui tienne compte de leur spécificité ?
Dans le cas des plateformes sectorielles, ne faudrait-il pas définir les modalités de représentation des divers types d’entités constitutives, en fonction de leur envergure ?
Comment garantir l’homologation des choix, sans fixer les modalités exigées pour les votes, les quorums, les délais de convocation, les accréditations aux assemblées délibératives, etc.?
Ce sont touts ces facteurs ou paramètres, que nous laissons au hasard et qui nous valent ces com-bines, ces cooptations, ces marchandages, ces coups bas, qui se répètent à chaque occasion.
Les forces rétrogrades et les coquins savent très bien exploiter ces lacunes.
Pour terminer sur le sujet, nous devrions nous assurer que l’État assure le financement de ces opérations obligatoires pour le choix des conseillers et conseillères, et qu’il ait un droit de regard sur la régularité de leur exécution.
Autrement, les organisations, financièrement les plus favorisées, auront une trop grande influence sur ces processus.
Sur le fonctionnement du Conseil d’administration du Cep (Cacep)
Un bilan approfondi du fonctionnement de l’appareil électoral est nécessaire.
Des changements, majeurs à effectuer, doivent être consignés dans la nouvelle loi électorale. D’autres, de moindre importance, peuvent s’inscrire dans des règlements généraux révisés du Cep.
Nous voudrions, d’ores et déjà, pointer du doigt deux éléments, qui sont des causes majeures du dysfonctionnement du Conseil d’administration du Cep : la toute-puissance du poste de président du Conseil, ce qui est contraire au caractère collégial de cette instance, et l’absence d’un méca-nisme de suivi-évaluation de l’exécution des tâches, attribuées aux organes techniques et admi-nistratifs, par les membres du Conseil.
Afin de casser le caractère omnipotent du président du Conseil, il faudrait, selon nous, adopter la formule d’une présidence tournante, dont la rotation pourrait être déterminée par tirage au sort, comme c’est le cas au niveau de la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif.
Pour ce qui concerne le Conseil d’administration provisoire du Cep, étant donné que son mandat sera relativement court, on pourrait envisager une rotation trimestrielle au poste de président du Conseil. Il n’est pas nécessaire que tous les membres arrivent à la présidence du Conseil, il suffit que tous aient la chance d’y accéder.
En ce qui a trait au suivi-évaluation, nous avons observé que le Conseil d’administration du Cep n’a aucun moyen de contrôle réel de l’appareil central, qu’il est censé coiffer.
Il n’est informé de l’exécution de ses décisions que par ceux-là mêmes qui en ont la charge. Il est évident que ces derniers ne rapportent au Conseil que ce qu’ils pensent que celui-ci veut entendre.
Il n’est pas normal que le Conseil n’ait, par exemple, aucun droit de regard sur ce qui se passe au Centre de tabulation.
Cependant, en l’absence d’un mécanisme clairement défini, celui qui nomme et révoque détient de fait ce pouvoir.
Il faudrait que chaque conseiller ou conseillère, en plus de ses autres tâches, soit responsabilisé sur le suivi-évaluation d’une ou de deux directions. Il pourrait se faire aider par un cabinet, pourvu en personnes-ressources correspondant à la spécificité de la direction ou des directions concernées.
Les discussions, sur tous ces points et sur bien d’autres, doivent alimenter la révision de la pro-chaine loi électorale, qui régira les prochains scrutins.
*Gestionnaire urbaniste, coordonnateur du Groupe de recherche et d’interventions en dévelop-pement et en éducation (Gride)
ajoseph@gride.org