Par Emmanuel Marino Bruno
P-au-P, 7 février 2016 [Alter Presse] --- L’accord de sortie de crise, signé le 6 février 2016 entre l’exécutif et le parlement est loin de faire l’unanimité ou même de favoriser un consensus.
Des secteurs divers dont le Groupe des huit candidats à la présidence (G-8) le désapprouvent alors que d’autres, à des degrés divers, le soutiennent.
Cet accord a été signé au palais national par le chef de l’Etat sortant Michel Martelly et les présidents du sénat et de la chambre des députés, Jocelerme Privert et Cholzer Chancy, en présence des officiels du gouvernement, des députes, sénateurs et du corps diplomatique.
Condamnant le caractère anti-peuple et antidémocratique de cet accord, le G-8 le voit comme une tentative de valider les élections controversées de 2015 « comme si elles étaient régulières, sans tenir compte des contestations populaires ayant entraîné de nombreuses victimes au sein du peuple revendicatif et des casses au niveau de la société »
« Il s’agit là d’une provocation, d’un mépris inacceptable par les signataires du prétendu accord pour les masses populaires et paysannes ainsi que les classes moyennes », critique-t-il.
Le G-8 profite pour renouveler sa proposition de sortie de crise passant par la Cour de Cassation et conteste cet accord en raison du fait que le parlement fait partie de la crise et ne peut pas, par voie de conséquence, décider de la solution.
« Ce prétendu accord est la position d’une frange de l’International supportée par les classes dominantes et leurs serviteurs », soutient le G-8.
La communauté internationale dicte encore les règles
Pour sa part, le « Core Group » salue la conclusion de cet accord politique qui garantit, dit-il, la continuité des institutions à la fin du mandat du président de la république, fixé le 7 février en l’absence d’un président élu et la poursuite du processus électoral entamé en 2015.
L’entente permettra non seulement la stabilisation des institutions de la république, mais aussi de parachever le processus électoral avec l’organisation du deuxième tour de l’élection présidentielle, des élections législatives partielles et des élections locales le 24 avril 2016, souligne-t-il.
Le Core Group dit saluer la volonté de compromis qui a permis de trouver une solution, dans l’esprit de la Constitution de la République d’Haïti.
Il invite les acteurs concernés à mettre en œuvre tous les engagements pris, notamment l’élection d’un Président de la République provisoire, la désignation d’un premier ministre et la poursuite du processus électoral dans les délais impartis.
Appelant tous les acteurs à faire prévaloir l’intérêt supérieur d’Haïti et de son peuple, dans un esprit de dialogue et de compromis, il réitère l’importance de mener à terme cet accord politique « dans un climat apaisé, libre de toute violence ».
Ayant encouragé les négociations entre les acteurs politiques, entamées le dimanche 31 janvier pour accoucher cet accord, la Mission spéciale de l’Oea encourage les parties prenantes « à mettre en œuvre cette formule pour aller de l’avant ».
« La situation en Haïti est exceptionnelle et elle requérait une solution exceptionnelle. Nous sommes heureux que l’ensemble des acteurs se soit engagé en faveur de la démocratie, la paix et la stabilité dans ce contexte de vide constitutionnel créé par l’absence d’un président élu pour remplacer Martelly ».
Que dit l’accord
Selon les termes de l’accord, le parlement devra élire un président provisoire avec un mandat d’une durée de 120 jours et confirmer un premier ministre de consensus.
Un second tour est prévu pour le 24 avril et le nouveau président, élu par ce processus, sera installé le 14 mai 2016.
« Accord crucial » pour le parlement, « vigilance » de mise pour Martelly
« Cet accord est crucial pour l’avenir de notre nation (…) Nous sommes à un carrefour mémorable de notre histoire de peuple », affirme Jocelerme Privert, après la signature du document.
Il en a profité pour féliciter Martelly d’avoir, avec un esprit d’abnégation, contribué à cette entente.
La signature de ce document fait de l’assemblée nationale l’institution républicaine en charge de la destinée politique du pays, indique-t-il, appelant les acteurs à faire en sorte que les prochaines étapes de la sortie de la crise post-électorale 2015 ouvrent la voie à la stabilité et au progrès.
De son côté, le chef de l’Etat a souligné les sacrifices consentis par les acteurs pour sortir Haïti de cette impasse et éviter de tomber dans le désordre, ce 7 février.
En dépit de l’accord trouvé, il appelle les autorités à rester vigilantes face à d’autres personnes qui ne vont pas se retrouver dans cet arrangement.
Il demande également aux responsables de faire tous leurs efforts pour maintenir le pays dans la stabilité et exhorte ceux qui utilisent la violence à s’en détourner pour éviter de repousser les investisseurs étrangers.
Que dit la rue
Des milliers de manifestants ont dénoncé dans les rues de Port-au-Prince cet accord dont la signature est intervenue dans l’après-midi du 6 février au moment du déroulement de leurs mobilisations anti-gouvernementales.
Cet accord constitue un « complot » concocté entre l’exécutif, le parlement et la communauté internationale contre les revendications populaires, fustigent-t-ils, jurant d’y faire échec.
La signature de cette entente trouvée entre le parlement et l’exécutif en dehors du G-8, acteur principal des démonstrations de force dans les rues, soulève déjà des inquiétudes et questionnements ?
Cet accord serait-il mort-né ? Pourrait-il être capable d’apaiser les mobilisations populaires dans un contexte de plus en plus volatile ?
S’acheminerait-on vers une sortie finale de la crise oubien vers une aggravation de la situation politique combien fragile ?
Autant de questionnements qui font présager que les tractations à venir seront cruciales pour la quête d’une stabilité du pays. [emb gp apr 07/02/2016 00 : 20]