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Haïti-Élections : La Commission du Père Noël prend les Haïtiens pour des enfants

Par Leslie Péan*

Soumis à AlterPresse le 24 décembre 2015

À l’époque où le jeune médecin François Duvalier travaillait avec James H. Dwinelle, M.D. de l’armée américaine, sous le gouvernement Lescot, il se répétait que les Haïtiens avaient la mentalité d’un enfant de sept ans. Dans le cadre de la Mission Sanitaire Américaine d’alors, François Duvalier participait à une campagne d’éradication du pian qui frappait 80% de la population. Les Américains étaient persuadés que les Haïtiens étaient de grands enfants à qui on pouvait raconter des histoires à faire dormir debout. Si l’on en juge par la manière dont ils ont imposé au peuple haïtien comme Président de la République le fameux Sweet Mickey en 2010-2011, ils n’ont pas changé d’avis. Au fait, la déclaration PR 2015/65 de l’ambassade américaine publiée le 23 décembre 2015 qui « prend note de la création de la Commission d’Évaluation Électorale Indépendante [1] » indique que cette croyance est bien ancrée.

Duvalier avait restreint aux élites cette mentalité d’un enfant de sept ans en écrivant :

« On rapporte que sous le Gouvernement du même et ineffable Élie Lescot, l’ancien Haut Commissaire John Russel 14 ans après son départ en 1930, fut abordé par un bien pensant de notre pays. "Et maintenant général, vous qui connaissez la faune politique haïtienne, que pensez-vous de notre peuple (entendez ici les élites nécessaires qui dirigeaient les destinées de la Patrie) ? Ce peuple aurait-il toujours la mentalité d’un enfant de sept ans ? " Le Général, imperturbable, répondit : " il y a même plus, je crois que l’enfant a régressé vers le puérilisme mental. Il a moins que 7 ans" [2]. »

La Komisyon Papa Nowèl

Les 60 dernières années laissent croire que la mentalité de l’enfant de 7 ans s’est généralisée à toute la population haïtienne. C’est du moins ce que donne à penser la note de l’ambassade américaine publiée hier 23 décembre qui, espérons-le, n’aura pas les effets recherchés. La Commission d’Évaluation Électorale n’a d’indépendance que le nom et ne correspond en rien à celle demandée par le G-8. C’est une Komisyon Papa Nowèl qui prend les Haïtiens pour des enfants ! Un des ingrédients du cocktail de malheur visant à maintenir le peuple haïtien dans ses chaînes.

L’empreinte du gouvernement Martelly-Paul se lit sur le visage de chacun des membres de la Commission d’Évaluation Électorale. Les fonctionnaires américains qui prétendent avoir pris note de ce subterfuge continuent sur la voie tracée par l’ambassadeur Merten relative à la nationalité de Michel Martelly en 2012. Rien, même pas nos mines d’or et d’iridium, n’explique logiquement que la première puissance mondiale se sente obligée de se laisser manipuler autant. Le gouvernement de Martelly-Paul n’a pas tenu d’élections pendant quatre ans et tient à organiser celles-ci à son profit. Dans le contexte de la mondialisation, on voit difficilement la diplomatie américaine appuyer les forfaitures électorales en Haïti tout en demandant en toute quiétude au gouvernement russe de cesser son appui au gouvernement Assad en Syrie !

La déclaration de l’ambassade américaine est prudente. Elle ne fait que « noter » la « création de la Commission d’Évaluation Électorale » tout en prenant soin d’ajouter judicieusement « indépendante ». Quelle précision ! Quelle finesse ! La subtilité est insigne. C’est dynamique et vivant. De quoi rendre perplexes les grands enfants. Pour qu’ils n’aillent pas trop loin dans leur désinvolture en voulant remettre les pendules à l’heure. Un paragraphe est suffisant pour faire comprendre que l’opposition démocratique n’a pas suffisamment de force pour s’imposer.

Le président Mal Éli

Face aux épouvantables difficultés rencontrées pour faire élire son dauphin Jovenel Moïse, le président Mal Éli a choisi de faire semblant de se battre. Mais au fait, il prépare sa fuite. Il a déjà composé sa musique de carnaval et est prêt à monter sur le plateau de son char. La société haïtienne implore le ciel pour qu’il se présente en public habillé jusqu’à la fin de son mandat le 7 février 2016. Pas comme un travesti en petite culotte ! On le sait capable d’aller plus loin et de profiter de la période des carnavals pour se présenter dans les plus beaux habits de l’empereur, comme dans le conte d’Andersen. Nu comme un ver ! Garçon « mal élevé » devenu président imposé par la communauté internationale, Mal Éli n’a jamais été pris en flagrant délit de modestie.

En effet, Mal Éli est capable de se mettre à poil pour signifier qu’il n’y a plus un sou dans la caisse publique. Voulant montrer son exploit d’allumer un cigare aux deux bouts, il le casse au milieu et se met à fumer deux cigares à la fois. Ses courtisans applaudissent et lui décernent la palme d’or. Mal Éli s’est renvoyé lui-même l’ascenseur en augmentant le budget du Palais national qui est passé de 95 millions de gourdes en 2011 à 329 millions de gourdes en 2015. Cette augmentation s’est accompagnée de celle de la dette internationale d’Haïti de 500 millions de dollars à 2 milliards de dollars en quatre ans. Dans cette gargotte, Mal Éli ne reste pas les mains vides. Il met du beurre dans ses épinards en portant son per diem de 5,000 $US en 2011 à 20,000 $US en 2015.

Un effet d’annonce

Le gouvernement Tèt Kale a exigé du gouverneur de la banque centrale la modique somme de 45 millions de gourdes en dollars américains. Question de saupoudrer le gâteau qu’il emporte avec lui, en décalquant avec beaucoup plus d’art les pratiques de vols des deniers publics du duvaliérisme. Mal Éli écoute sa musique de chambre avec les neuf (9) fonds hors budget qui sont sa trouvaille pour garnir son trésor personnel. Ces neuf (9) fonds hors budget sont le Fonds de développement industriel (FDI), le Fonds d’investissement public (FIP), le Fonds d’assistance économique et sociale (FAES), le Fonds de gestion des collectivités (FGC), le Fonds d’entretien routier (FER), la Caisse d’assistance sociale et du Bureau de monétisation des programmes d’aide au développement (BMPAD), le Fonds national d’éducation (FNE), le Fonds de développement touristique (FDT) et le Fonds de solidarité inter-haïtienne (FSIH) [3].

Quand on y ajoute les Fonds PetroCaribe et les taxes collectées sur les transferts et les appels téléphoniques de la diaspora, les trouvailles financières de la bande à Mal Éli pour piller le peuple haïtien sont gluants d’évidences.

Le gouvernement américain se veut le médiateur inlassable d’un ordre de choses qui doit rester le même en assurant l’impunité des jeunes loups à l’appétit insatiable. Washington ne veut pas le chaos et en ce sens applique le mot du proverbe haïtien qui veut que « Komisyon pa chay ! ». Même de manière inconsciente, la déclaration PR 2015/65 de l’ambassade américaine publiée le 23 décembre 2015 s’inscrit dans le registre de l’enfant de moins de 7 ans dont parlait le brigadier John Russel. L’effet d’annonce en met plein la vue mais est en porte-à-faux avec la réalité. C’est à cet état de choses que le G-8 et surtout le reste de la population, doivent répondre par une fermeté étrangement douce. C’est-à-dire un raffinement où la violence est exclue. Mais avec le souffle d’une opération van-tanpèt comme dans la belle chanson de l’orchestre Septentrional.

……….

*Économiste, écrivain


[1Ambassade des Etats-Unis d’Amérique, Communiqué de Presse, déclaration du gouvernement américain suite à la création de la Commission d’Évaluation Électorale Indépendante, no. 2015/65

[2François Duvalier, Éléments d’un doctrine, Presses nationales d’Haïti, 1966, p. 336.

[3Patrick Saint- Pre, « Jocelerme Privert : le budget 2015-2016 est une violation de la Constitution », Le Nouvelliste, 21 octobre 2015.