Par Daniel Wermus
Courtoisie d’InfoSud [1] à AlterPresse
Le journal ivoirien 24heures avait reçu à Genève le prix Presse et Démocratie pour ses efforts de dialogue. Il est réduit en cendres. Dans la zone Sud contrôlée par le président, seuls des médias bellicistes subsistent.
Tous les médias qui appelaient au calme et à la tolérance en Côte d’Ivoire ont été muselés. Ainsi les locaux du journal 24 Heures, lauréat du Prix Presse et Démocratie 2003 dans le cadre du Festival Médias Nord-Sud (Suisse), ont été dévastés et brûlés par des "Jeunes Patriotes" le 4 novembre. Ce quotidien, qui cherchait à rester au-dessus des clivages Nord-Sud, ethniques ou religieux alors que la plupart des journalistes ivoiriens avaient sombré dans un camp ou un autre, tente encore de diffuser quelques infos sur son site internet www.24heuresci.com.
D’autres journaux indépendants ou d’opposition ont été saccagés ou interdits, indique à Paris Reporters Sans Frontières : Le Patriote, Le Libéral, Le Front, Le Nouveau Réveil, le Jour Plus, accusés de faire « l’apologie de la rébellion ». Souvent, les casseurs arboraient des T-shirts favorables au président Laurent Gbagbo.
Quant aux relais qui diffusent Radio France Internationale, la BBC et Africa No1, ils ont été sabotés. Enfin Kébé Yacouba, un homme mesuré qui dirigeait la Radio-Télévision ivoirienne à la suite des accords de Marcoussis, a été dégommé pour faire place à un proche du président. En termes d’information, le pays est coupé du monde et livré à la propagande la plus brutale, affirment les observateurs sur place. La mission de l’ONU confirme que les médias diffusent en boucle des « messages haineux » contre les étrangers.
« Il s’agit d’un plan concerté dès le départ, estime Catherine Morand, ancienne correspondante de presse à Abidjan. En même temps que les journaux étaient détruits, les sièges des deux partis d’opposition - le RDR de Ouattara et le PDCI de Bédié - étaient incendiés. Après le limogeage de Kébé, des fausses nouvelles (par exemple une "attaque" contre le palais présidentiel) n’ont cessé de galvaniser des jeunes désœuvrés, encadrés par des milices salariées par la présidence. » Pour la journaliste, cette mise au pas visait davantage la situation politique intérieure que la présence militaire française : il s’agit d’instrumentaliser les médias pour la « reconquête du Nord » (tenu par les rebelles) et éliminer tous les adversaires potentiels de Gbagbo pour les élections d’octobre 2005.
Une dérive à la rwandaise
« La France, au lieu de détruire les avions de l’armée ivoirienne, aurait mieux fait de neutraliser les médias du régime. Ils tuent beaucoup plus que des bombardiers. Nous avons maintenant une TV-Mille-Collines » (allusion à la radio du même nom qui avait appelé au génocide des Tutsis du Rwanda), s’inquiète un journaliste ivoirien qui requiert l’anonymat.
« Chaque matin, on se réveille en entendant des appels à descendre dans la rue pour "empêcher un coup d’Etat". En fait, ce sont des appels à la terreur. La moitié des commerces d’Abidjan ont déjà été saccagés par des voyous », ajoute un chef d’entreprise ivoirien. « Cette terreur est là pour dissuader la communauté internationale de prendre ses responsabilités. Cessez de tergiverser ! Nous allons à grand pas vers une guerre civile à la rwandaise », s’alarme un journaliste indépendant. Une fois de plus, les puissances étrangères qui imposent des accords de paix ont négligé le rôle central des médias comme facteurs de tolérance ou fauteurs de guerre.
En avril dernier, pourtant, la nouvelle Association des journalistes ivoiriens pour le retour à la paix (Ajirp) avait lancé une campagne intitulée Désarmons nos plumes ! Il s’agissait d’une série de conférences et de séances d’information organisées dans les rédactions sur des questions sensibles comme le rôle et le devoir des médias dans la résolution des conflits. Soum Junior, président de l’Ajirp, le reconnaissait : « Avec nos mots haineux, nous journalistes ivoiriens avons préparé la guerre dans l’esprit de notre peuple. Il faut aujourd’hui désarmer les plumes ! C’est impératif ! » Il appelait la presse ivoirienne à reconnaître sa responsabilité dans la crise socio-politique du pays et à opter désormais pour un meilleur traitement de l’information.
Mais l’Ajirp n’est qu’une association de journalistes sur 21Â…