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Scepticisme des organismes de droits humains après l’annonce d’un mandat international contre Jean Bertrand Aristide

P-au-P., 13 nov. 04 [AlterPresse]--- « Une déclaration pour épater la galerie ». C’est ainsi que le Comité des avocats pour le respect des libertés réagit à l’annonce du lancement prochain d’un mandat d’arrêt international contre l’ancien président Jean Bertrand Aristide.

Le dirigeant du CARLI Renan Hédouville justifie ses réserves par diverses promesses non tenues par le gouvernement de Gérard Latortue concernant notamment la lutte contre l’impunité, l’insécurité et les violations de droits humains. « Nous sommes préoccupés. Mais nous préférons attendre pour voir ce qui va arriver, sans pour autant être optimiste », souligne le numéro 1 du CARLI.

Le directeur exécutif de la Coalition nationale pour le respect des droits des Haïtiens (NCHR) Pierre Espérance affiche le même scepticisme, estimant que le gouvernement n’a pas encore fait montre d’une réelle détermination à combattre l’impunité. « Pour nous, c’est une promesse comme une autre. Nous avons appris à être prudents quand les autorités font des promesses », précise Espérance.

Le numéro 1 de la NCHR rappelle à titre d’exemples le type de suivi qui a été donné au dossier de certains grands barons de l’ancien régime frappés d’interdiction de départ et le traitement de faveur dont ont bénéficié, selon lui, l’ancien paramilitaire Louis Jodel mis en cause dans de nombreuses exactions pendant la période du coup d’état militaire (1991-1994) et l’ex-capitaine Jackson Joanis accusé dans le meurtre du commerçant et militant politique Antoine Izméry.

Pour le dirigeant du Centre oecuménique haïtien Jean Claude Bajeux, le gouvernement intérimaire aurait dû se pencher sur cette affaire dès son entrée en fonction. Huit mois, c’est beaucoup, s’exclame ce martyr de la dictature des Duvalier.

Tout en voulant prendre au sérieux l’annonce du Premier ministre haïtien, Jean Claude Bajeux ne peut s’empêcher de se remémorer les nombreuses affaires sans suite jalonnant l’histoire d’Haïti, comme l’atteste le célèbre ouvrage d’Alain Turnier « Quand la nation demande des comptes ».

Avant Jean Bertrand Aristide, le plus récent dictateur haïtien à être poursuivi sans succès pour détournement de fonds est Jean Claude Duvalier.

Selon Jean Claude Bajeux, les premières difficultés peuvent provenir de la justice elle-même « qui constitue une chaîne au niveau de laquelle le blocage est facile à organiser ». Le dirigeant du Centre oecuménique fait ici référence « au réseau des articles de lois, à la carence administrative, à l’obligation faite au ministre de la justice de respecter l’indépendance des magistrats (président du tribunal de première instance, commissaire du gouvernement), sans oublier le marécage des greffiers, des huissiers et des appels suspensifs ».

L’autre difficulté peut venir, selon Bajeux, du fait que le régime de Jean Bertrand Aristide « s’est distingué dans la destruction des archives ». De plus, ajoute l’ancien ministre haïtien de la culture, « l’ancien dictateur a eu l’intelligence de s’entourer d’américains sachant comment dissimuler des investissements à travers des prête-noms, des compagnies fantômes, des holdings. Tout ça peut nous faire perdre beaucoup de temps ».

« Ce n’est pas normal qu’en si peu de temps un individu puisse devenir aussi riche aux dépens d’un pays extrêmement pauvre », s’indigne Jean Claude Bajeux. « Nous devons travailler pour qu’un principe fondamental soit respecté : vous tuez, vous allez en prison ; vous volez, vous allez en prison ». La fortune de Jean Bertrand Aristide avoisinerait 600 millions de dollars américains, selon des estimations avancées par des médias en Haïti et à l’étranger (NDLR).

Le 11 novembre, le Premier ministre Gérard Latortue a affirmé avoir passé des instructions formelles au ministre de la justice Bernard Gousse pour qu’un mandat international soit lancé contre Jean Bertrand Aristide « le plus rapidement possible ».

Gérard Latortue a fait cette annonce à la faveur de l’installation d’une commission d’enquête administrative sur d’éventuels détournements de fonds du régime de Jean Bertrand Aristide pendant la période allant de 2001 à 2004. Cette commission est présidée par l’ancien sénateur Paul Denis de l’Organisation du peuple en lutte (OPL), le parti de feu le professeur Gérard Pierre Charles. (vs apr 15/11/04 17 : 50)