Communiqué d’Amnesty International à l’issue d’une enquête conduite à travers plusieurs villes d’Haiti
Soumis à AlterPresse le 11 novembre 2004
Mardi 26 Octobre, Fort National, à Port-au-Prince, des individus apparemment identifiés comme des membres de la police font irruption dans une maison et tuent au moins 7 personnes ;
Mercredi 27 Octobre, Carrefour Péan, Port-au-Prince, 4 jeunes sont exécutés en pleine lumière du jour dans la rue par des individus portant des uniformes noirs et des cagoules. Leurs voitures ont été identifiées par des témoins comme des patrouilles de police.
Martissant, Octobre. Un enfant de la rue âgé de 13 ans est arrêté près du Théâtre National par des policiers de la marine. Au commissariat il est questionné sur les caches des chimères et sauvagement battu par des policiers alors qu’il était toujours menotté et ses yeux étaient bandés.
Martissant, 20 Octobre. Un homme est arrêté devant témoins par des individus en uniforme noir et portant des cagoules. On lui enfile un sac de plastique sur la tête avant d’être sauvagement battu. Il a été mis en détention dans un commissariat de la capitale.
Au terme d’une visite de 18 jours pendant laquelle une délégation d’Amnesty International dirigée par Javier Zúñiga, Conseiller spécial de la Secrétaire générale de l’organisation, s’est rendue à Port-au-Prince, Mirebalais, Hinche, Cap-Haïtien, Gonaïves et Petite-Goâve, l’organisation des droits humains a conclut qu’il existe de sérieux problèmes dans le fonctionnement de l’administration de la justice en général et du fonctionnement de la police en particulier. Ces problèmes doivent être adressés d’urgence par le gouvernement de transition.
Amnesty International est profondément préoccupée par les informations recueillies de sources indépendantes indiquent des violations graves des droits humains telles que des arrestations arbitraires, mauvais traitements dans les lieux de détention et exécutions extrajudiciaires aux mains d’éléments de la Police Nationale d’Haïti.
L’organisation a reçu des rapports détaillés sur des incidents dans lesquels des individus habillés en noir, portant des cagoules et se déplaçant en voitures avec des inscriptions de la Police Nationale ont été impliqués dans des exécutions qui ont coûté la vie à au moins 11 personnes pendant les deux dernières semaines.
M. Zúñiga a déclaré que seulement une enquête indépendante, impartiale et transparente sous la direction de la Police Civile internationale peut restaurer la confiance de la population dans les agents chargés d’appliquer la loi et dans les actions de la Mission Internationale des Nations Unies pour la Stabilisation en Haïti (MINUSTAH).
Cette requête et autres motifs d’inquiétude pour Amnesty International ont été présentés au Premier Ministre d’Haïti, M. Gerard Latortue, lors d’une rencontre dans laquelle ont également été présents à sa demande le Ministre de la Justice, Me. Bernard Gousse, le Ministre de l’intérieur, M. Hérard Abraham, le Directeur général de la Police nationale, M. Léon Charles, ainsi que le Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies, M. Juan Gabriel Valdés, le Représentant spécial adjoint du Secrétaire général des Nations Unies, M. Adama Guindo, le Chef de la Police Civile internationale, David Beer, et autres membres du gouvernement intérimaire et de la MINUSTAH.
Amnesty International reconnaît les difficultés auxquelles le gouvernement de transition fait actuellement face, beaucoup d’elles héritées des actions du précédent gouvernement de Jean Bertrand Aristide. Cependant, l’organisation considère qu’aucune de ces difficultés ne peut être invoquée par des agents de l’Etat pour justifier des violations des droits humains commises en toute impunité.
D’autre part, AI a également rappelé au gouvernement sa condamnation absolue et sans réserve des assassinats de policiers et autres abus commis par des groupes armés irréguliers, sans distinction de leur affiliation politique, tel qu’elle l’a fait dans une déclaration publique émise le 8 octobre 2004 où l’on dit notamment, qu’ « Amnesty International condamne dans les termes les plus forts la décapitation de deux représentants de la Police nationale par des personnes soupçonnées d’être des partisans du mouvement Lavalas » (AMR 36/054/2004).
En ce qui concerne l’administration de la justice, Amnesty International a exprimé sa préoccupation au Premier ministre sur l’illégalité créée par l’occupation de plusieurs commissariats de police par les militaires démobilisés qui de facto remplissent des fonctions judiciaires en exécutant des mandats d’arrêt émis par des juges de paix, des juges d’instruction et des commissaires du gouvernement. Egalement, la détention d’individus dans des bâtiments contrôlés par les militaires démobilisés est jugée illégale et place les détenus dans un état de vulnérabilité accrue. Amnesty International fait appel au gouvernement de transition à mettre immédiatement un terme à cette situation qui, dans certains cas, a lieu à proximité des positions de la MINUSTAH.
D’autre part, Amnesty International s’est étonnée du nombre croissant de personnes détenues par la Police Nationale sans que le processus légal ait été respecté. De ce fait, la détention prolongée contre plusieurs personnes arrêtées, sans que des chefs d’accusation aient été portés, détermine l’illégalité de ces arrestations.
Amnesty International considère que le manque d’un programme efficace de désarmement à travers le pays est une cause majeure de la crise actuelle et réitère sa demande au gouvernement intérimaire et à la MINUSTAH de prendre leurs responsabilités en main.
Finalement, M. Zúñiga a alerté le gouvernement intérimaire sur la crise humanitaire qui est en train de se développer à Cité Soleil en l’absence de l’autorité de l’Etat. Cité Soleil se trouve sous le contrôle absolu de groupes armés antagonistes avec des motivations politique ou criminelles. Selon les informations reçues, la population de Cité Soleil n’a pas de liberté de mouvement. Les droits à la santé, à l’alimentation, à l’éducation et à l’intégrité physique des habitants de cette zone de la capitale sont quotidiennement violés dû à la fermeture de l’hôpital et des écoles et aux difficultés de distribution de l’aide alimentaire. Amnesty International a également reçu des témoignages de viols collectifs de femmes par des individus armés. En plus du traumatisme physique et psychologique, les femmes victimes de ces abus souffrent du manque d’attention médicale et d’assistance légale.
Amnesty International considère que le mandat de la MINUSTAH, décrit dans la résolution 1542 du Conseil de sécurité des Nations Unies, du 30 avril 2004, et prévoyant la protection de civils sous la menace immédiate de violence physique, doit être appliqué à Cité Soleil.
A la suite de cette visite, Amnesty International va préparer un rapport détaillé contenant les conclusions les plus importantes ainsi que des recommandations au gouvernement intérimaire, à la MINUSTAH, aux représentants des forces politiques du pays et aux groupes armés qui doivent être considérés responsables de la situation critique des droits humains en Haïti.