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Haïti-Élections : Appel à la résistance citoyenne

Débat

Par Dr. Jean Hénold Buteau*

Soumis à AlterPresse

Les dernières élections réalisées en Haïti n’ont pas fini de faire parler ni de faire courir. Les officiels étrangers se succèdent et se ressemblent tous, du moins dans leurs déclarations. Le processus doit continuer. « The show must go on » dirait-on en anglais. Ils défilent comme le feraient des visiteurs au chevet d’un malade. Qu’est-ce qui nous vaut donc cette attention soutenue et renouvelée de la part de nos partenaires internationaux ?

Disons d’entrée de jeu que ces élections ont constitué une vaste fraude. Comme nous le faisions remarquer dans un précédent article, elles ont été les plus scandaleuses de notre ère démocratique. Cela ne veut pas nécessairement dire que les Responsables politiques d’il y a quelques années soient plus vertueux que ceux d’aujourd’hui. Non ! Loin de moi une telle ingénuité. Simplement, la misère s’est approfondie et la précarité a fini par ronger ce qui pourrait rester de forme et d’apparence. Désormais il ne suffit plus de bourrer les urnes, de les pré-remplir ou de les emporter. Les enjeux étant devenus plus lourds, la lutte politique est donc devenue plus âpre. Pour tout cela aucun moyen n’a été négligé. La violence, les intimidations, les manipulations mais surtout le contrôle et la maitrise absolue de l’appareil électoral proprement dit.

C’est à ce niveau, justement que tout s’est joué. Il n’est point besoin d’être une lumière pour se rendre compte de l’ampleur de ce désastre. La seule contribution que je pourrais faire à l’effort de compréhension que nous faisons tous, c’est celle de sérier ces violations. Elles ont en effet eu lieu avant, pendant et après les élections, mais elles ont également touché tous les intervenants.

Les violations d’avant le 9 Août auraient pu paraître banales s’il n’y avait pas eu le 9 Août. En effet, la non publication des listes électorales n’aurait pas eu une si grande importance si l’implication des membres des bureaux dans les fraudes n’avait pas été aussi énorme. La délocalisation des électeurs aurait été supportable, si ces derniers n’avaient pas ensuite été interdits d’accès aux centres de vote. L’absence de mandat aurait pu être accidentelle (comme le prétend M. Opont) si, lors de ce dimanche fatidique, les centres de vote n’avaient pas été séquestrés par les membres des partis proches du pouvoir.

Il paraît cependant beaucoup moins aisé, de comprendre et encore moins justifier les énormes accrocs qui ont eu lieu après les élections. Quel est le support légal de ces fameux Soixante Dix pour cent (70%) de bulletins disponibles décrétés et balancés unilatéralement par le Conseil Electoral Provisoire ? Quel est le support légal, mais aussi, quelle en est la base logique ? Pourquoi pas 69,75% ? Pourquoi pas 80 ou 90% ? Comment pourrait-on comprendre que cette institution annonce la reprise des élections sénatoriales pour l’Artibonite, ainsi que pour huit des quinze circonscriptions électorales de ce département, et déclarer M Youri Latortue vainqueur dès le premier tour pour ce même département ? Comment aussi accepter le même résultat à l’endroit de M Jean Renel Sénatus alors que les élections ont été suspendues dans six circonscriptions électorales du Département de l’Ouest ?

N’en déplaise aux officiels des gouvernements étrangers et à leurs alliés haïtiens, ces élections ont constitué une agression, une catastrophe, une honte, une gifle, un affront, en un mot, l’expression du mépris des élites de notre pays, pour Haïti, pour son image et surtout pour son peuple. Elles ne peuvent que soulever la colère et l’indignation des vrais patriotes. Ceux qui n’ont besoin d’aucun support extranational pour prouver leur nationalité ou leur comportement envers la nation. Pour paraphraser le Président Mitterand « Qu’un despote ait besoin de tricher justifie La Rochefoucauld : « L’hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu. »

La Communauté Internationale semble vouloir dire que nous n’avons pas besoin de toute cette démocratie. En prétendant expédier le renouvellement des autorités, celle-ci ne se rend peut-être pas compte qu’elle est en train de privilégier la perpétuation de la pègre et de l’instabilité politique en Haïti. Quel aurait été le destin de la démocratie américaine si l’Affaire Watergate avait été étouffée ou banalisée, par souci d’efficacité ou par peur du scandale ? Pourtant la fraude ne concernait même pas l’organisme électoral, ni même le Président Richard Nixon.

A ces milliers de compatriotes qui n’ont pas appris ou n’ont pas eu l’habitude de crier leur colère ou d’exprimer leur rage, à ceux qui se taisent non pas parce qu’ils ne voient pas mais parce que disent-t-ils, “nou bay peyi sa a legen”, je veux rappeler que l’indignation n’est pas le simple rejet de ce qui nous révolte, mais la tentative de le comprendre pour tenter de le modifier. Vous détenez encore entre vos mains un droit ou un instrument plus fort encore que la toute puissance et l’arrogance de l’Internationale. Il s’agit de votre vote et de ce que vous en ferez. Votre silence, votre abstention à participer au cirque du 25 Octobre 2015, peuvent être bien plus solennels, bien plus éloquents et surtout beaucoup plus patriotiques que les quelques minutes de l’intervention du Secrétaire d’Etat américain au palais national.

Au nom de tous les patriotes et face à ce projet anti national et réactionnaire, je vous exhorte à bouder massivement ces élections du Dimanche 25 Octobre 2015. Faîtes ce qui vous plaira, mais n’allez pas salir vos mains, n’allez pas souiller votre conscience en cautionnant cette agression contre notre pays et contre notre peuple.

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* Professeur à l’Université
Responsable à la Formation
de l’Alternative Socialiste (ASO)