Extrait d’un rapport adressé aux autorités judiciaires et policières par l’organisme de défense des droits humains de l’Eglise Catholique Justice et Paix
Soumis à AlterPresse le 10 novembre 2004
Au cours des mois de septembre et d’octobre 2004, il y avait beaucoup de violence dans la capitale, surtout à partir du 30 septembre. Dans notre travail, nous avons localisé 152 personnes mortes suite à la violence : 66 au mois de septembre et 86 au mois d’octobre. Mais les chiffres réels doivent être plus élevés.
Des constats préoccupants
Parmi les victimes de la violence de ces mois, il y a davantage de femmes : 14 au total. Il y a également des enfants : 3 enfants. Plusieurs fois les victimes sont décrites comme des jeunes, sans autres détails. Il y en a 21 au mois de septembre, 38 jeunes garçons et 3 jeunes filles au mois de octobre. Un nombre de ces jeunes doivent être des mineurs. Donc, un bon nombre d’enfants et de jeunes est victime de la violence. Plusieurs fois on mentionne des jeunes qui sont armés, qui sont auteurs des actes de violence, qui paraissent comme membres de gangs armés ou bien qui les accompagnent. Ces enfants et jeunes sont aussi des victimes. Il n’est pas possible de créer de l’avenir pour eux et pour le pays par la seule répression.
Au cours de ces deux mois passés, la police compte 8 victimes dans ses rangs. Nous exprimons notre sympathie pour ces policiers qui sont tombés suite à leur devoir d’assurer la sécurité de la population.
Durant ces deux mois, nous avons été témoins de nouvelles pratiques de barbarie, comme décapiter les corps des victimes et jeter des corps humains dans les rues de la capitale. Deux massacres ont été commis. Le premier au Village de Dieu où 8 personnes, adultes, jeunes et enfant ont trouvé la mort ; le deuxième au Fort national où 13 jeunes, garcons et filles ont été assassinés. On ne saurait oublier les autres formes de violence : menaces sur des élèves sur le chemin de l’école, actes de vengeance, viols, incendies de voitures, pillages des petits commerçants et des menaces.
Nous vivons un moment ou les meilleures traditions de notre peuple se perdent, comme le respect de la vie et du corps humain. D’autres valeurs toujours comme la confiance et la solidarité souffrent de cette situation. Dans ces conditions, combien de temps aura-t-on besoin pour reconstruire une mentalité de respect et de confiance dans le pays ?
Ce que nous suggérons aux autorités du pays
1. Le Gouvernement et les autorités policières doivent respecter les droits de chaque personne à tout moment, même dans la lutte contre le banditisme. Le changement fondamental à réaliser est de faire de ce pays un Etat de droit. Pourra-t-on y arriver si tous les principes légaux ne sont pas respectés à chaque instant ?
2. L’insécurité n’est pas constituée par la menace des armes seulement. L’insécurité est aussi conséquence de la misère et du chômage et de l’absence des services de l’Etat. L’insécurité est le résultat des conditions désespérées de tant d’hommes et de femmes, surtouts des jeunes. La lutte contre l’insécurité n’est pas seulement une question de prendre des mesures répressives ; elle demande des services de l’Etat qui fonctionnent, de bonnes écoles et des hôpitaux. Nous demandons au Gouvernement de ne pas rester au stade des promesses, mais de créer des structures étatiques qui fonctionnent.
3. La population attend le résultat des enquêtes annoncées. Qui sont les criminels qui décapitent les corps des policiers assassinés ? Qui est le cerveau derrière l’assassinat du pasteur Berthoumieux ? D’où viennent les cadavres déposés sur la route de Delmas et qui sont les auteurs de cet acte ? Qu’est-ce qui s’est passé au Fort national en date du 26 octobre 2004 ? Il y a des questions pour la médecine légale et pour les médecins légistes pour permettre aux enquêtes d’aboutir.
4. Nous demandons de nouveau aux membres de la Police Nationale de s’identifier clairement lors de ses interventions. C’est la seule façon de ne pas tomber victimes d’accusations et de suspicions. Ceux qui portent les insignes de la Police sans être membres du corps policier, commettent un crime et méritent des sanctions correctes.
5. Nous demandons de mener la lutte contre l’impunité avec tous les moyens légaux. Cette impunité risque de faire des victimes de tout le monde. Même une personne accusée injustement ne pourra plus se défendre.
Violence et lutte politique
Beaucoup de violences dans le pays trouvent leurs origines dans la façon de faire de la politique dans le pays et dans la lutte pour le pouvoir dans le pays. Les citoyens doivent servir avec les seuls moyens légaux pour faire valoir leurs intérêts. Tous ceux qui se trouvent dans une lutte politique ou qui se trouvent dans une responsabilité de gestion du pouvoir ont la responsabilité de contribuer à des pratiques politiques qui ne détruisent pas les fondements moraux de la société.
Dans les quartiers populaires, ce sont toujours les mêmes gangs qui sèment la terreur et la mort parmi la population. C’est un fait bien connu que la majorité des gangs se réfèrent à des tendances politiques différentes. Dans le passé, ils l’ont déclaré publiquement. Nous supplions les politiciens qui croient toujours qu’il serait possible de régler quelque chose par la violence, de grâce, changez vos méthodes, parce que votre stratégie actuelle n’est source que de violence et de mort. Ce n’est pas un chemin de Vie. Rien de bon ne peut sortir de cette approche, à part la souffrance et chagrin pour les plus faibles, ceux et celles que vous avez la prétention de défendre.
En finir avec le règne de l’impunité
Pour finir, nous répétons : la seule façon de combattre la violence et d’éviter que la population en soit la victime, c’est de rendre les coupables responsables de leurs actes. C’est combattre l’impunité. C’est notre devoir comme autorités de le faire. Dans la fonction où vous vous trouvez, vous êtes responsables de l’organisation de l’Etat. Vous êtes les gardiens du bien commun des citoyens. Nous ne demandons aucune faveur, nous exhortons seulement les autorités à prendre leurs responsabilités.
P-au-P, 8 novembre 2004
Pour le Comité Directeur National, sur le rapport de la Commission Jilap de l’Archidiocèse de Port-au-Prince.
P. Jean Hanssens
Directeur Justice et Paix