Par Leslie Péan*
Soumis à AlterPresse le 11 octobre 2015
À l’approche de l’arrêt du carrousel sur le numéro choisi par la mafia électoraliste, cet article en sept parties propose une lecture des origines haïtiennes, de la réalité transnationale, de l’assassinat de Dessalines, et du fait que « Haïti a pris un mauvais chemin dans l’histoire ». L’objectif central est d’appeler à un recyclage de nos cadres de pensée. D’autant plus qu’aujourd’hui avec les multiples émissions de radio sur l’internet et les interventions dans les média sociaux, on peut aller plus loin que l’a fait le juriste haïtien Justin Dévot dans son ouvrage Considérations sur l’état mental de la société haïtienne [1] paru en 1901. En clair, sauf quelques exceptions, l’état mental accablant qui s’affiche sur les ondes et les réseaux sociaux appelle à une révolution culturelle pour renaitre. Non seulement, la sottise est solidement ancrée mais, de plus, elle est devenue prétentieuse. Se sa nèt !
Sans une autre façon de penser, aucune régénération n’est possible. Cela demande de mettre les pendules à l’heure en commençant par rectifier notre imaginaire de peuple. Il s’agit de contribuer à arrêter la manipulation de cet imaginaire à des fins de contrôle social pour produire la stagnation en empêchant de penser. Comme l’a dit Justin Dévot, « on doit la vérité à son pays et, quand on l’aime sincèrement, c’est un devoir de prendre l’initiative de la lui dire, quelque pénible qu’elle puisse être à entendre [2]. » Pour indiquer comment les gardiens de l’archaïsme continuent dans le dispositif du mauvais chemin, nous allons faire une constante navette entre passé et présent. L’omniprésence du brigandage autorise cette approche qui relie hier et aujourd’hui. Un va-et-vient entre autrefois et maintenant.
Suite à l’occupation américaine de 1915, l’occupation macoute de l’université d’État a installé le miroir menteur du noirisme succédant à celui du mulâtrisme et procédé à la représentation des faits historiques avec des distorsions systématiques. Il va de soi que, de ce fait, l’approche scientifique est en chute libre. Un arrière–plan mystificateur est érigé pour faire l’apologie des partisans de la dictature au détriment des forces luttant pour une optique humaine et une perspective démocratique. La mainmise sur les lieux du savoir par la tyrannie duvaliériste, en exigeant l’allégeance à la dictature pour aller à l’université, a perverti le sens critique. Et depuis, notre intimité est nourrie par une économie de la perversion dont la monstruosité s’étale aujourd’hui.
Il s’en est suivi un refus de penser aux graves conséquences sur la subjectivité de chaque génération qui affiche une prédisposition à accepter la tyrannie comme toile de fond. Loin de toute raison c’est-à-dire loin de toute connaissance véritable des choses, un consensus mou s’installe dans sa déchéance. Le savoir-faire des aïeux est déclaré hors pensée. Le mauvais chemin pris par Haïti dans l’histoire est avant tout celui de la déchéance morale dont les convulsions ont abouti au « banditisme légal ». Summum de la décrépitude, nous persistons dans le ridicule avec le Parti Haïtien Tèt Kale (PHTK), Parti haïtien des cranes rasés, dont le nom représente en soi la marque d’un état moral décadent.
L’esprit de corps est véhiculé à partir de l’esthétique du crane rasé dans la lignée fasciste de focalisation sur l’anatomie. Les symptômes significatifs de cet état mental faisant la promotion de la vulgarité ont consolidé l’image de marque de la comédie que le duvaliérisme tonton macoute a léguée à Haïti. Dans ce contexte d’effondrement de l’État, qu’on ne s’étonne pas de l’apparition d’autres partis politiques aux noms de Parti Haïtien Je Chire (yeux bridés), Parti Haïtien Gwo Ponyèt (gros bras), Parti Haïtien Ti Zorèy (petites oreilles), etc. La bêtise ne connaît pas de limites !
Une médiocrité compulsive et audacieuse tient le haut du pavé, parle fort et est déterminée à marteler dans les esprits le chemin de notre perte collective. On est en plein dans un délire corrosif soutenu par la communauté internationale. Le saisissement duvaliériste qui a tenu l’âme haïtienne en suspens pendant trente ans se renouvelle. La recherche d’une solution commence par l’obligation de voir les choses en face en reconnaissant le discours de confusion et sa profondeur dans les consciences. Dans un tel contexte d’absence totale de morale, on ne peut donc s’étonner que les élections constituent une cérémonie nationale de zombification collective. Il s’agit d’un décervelage à la tronçonneuse dont l’objectif est la liquéfaction des consciences. Les bandits qui ont orchestré les élections caricaturales du 9 août 2015 démontrent que le crime profite aux criminels. En effet, malgré la révélation au grand jour de leurs activités criminelles dans le Miami Herald [3], ils sont récompensés dans leur carrière car ils sont choisis pour organiser les élections du 25 octobre prochain.
L’émergence de la conscience
La conscience n’est pas liée obligatoirement à la condition empirique effective de l’individu. Des centaines d’esclaves ont émigré avec leurs maitres aux Etats-Unis, à la Jamaïque et à Cuba après la grande révolte des 22 et 23 août 1791. Les colons réfugiés vont dans ces lieux et reviennent à Saint Domingue à chaque recul des forces révolutionnaires pour repartir à nouveau. Et à chaque fois, ils repartent avec de nouveaux esclaves volontaires. On le voit avec la famille Jean Biron des Abricots ou encore avec la famille Préval de l’Artibonite. À chaque occasion, le nombre d’esclaves qui suivent leurs maitres augmente. La famille Biron qui s’était rendue seule à Santiago de Cuba en 1802, est retournée en Haïti avant d’émigrer à nouveau en juin 1803 avec treize esclaves dont six enfants. Même scénario avec un membre de la famille Préval qui avait émigré seul à Santiago de Cuba en 1798, est retourné en Haïti, avant de repartir à Santiago en 1803 avec douze esclaves hommes et femmes [4].
C’est qu’en réalité, comme l’explique l’écrivain Victor Hugo, le 2 décembre 1859, lors de l’affaire John Brown aux Etats-Unis : « L’esclavage provoque la surdité de l’âme. » C’est la raison pour laquelle « les esclaves ne s’étaient pas soulevés en masse à l’appel de John Brown » ajoute Victor Hugo dans son fameux texte qui, d’ailleurs, fit l’objet d’une lettre de félicitations d’Exilien Heurtelou, journaliste haïtien, directeur du journal Le Progrès. Les éloges viendront également d’autres Haïtiens vivant à Paris dont Prosper Elie, Paul Aîné et Louis Audain. Saluant la position de principe de Victor Hugo [5], ces Haïtiens écrivent : « Suspendu à un gibet, John Brown, blanc, tentant de libérer des esclaves nègres, est la sublime figure du Christ mourant pour une portion du genre humain, et livre ainsi à ses bourreaux un sang rédempteur ; rendu à la vie, c’est le radieux et immortel apôtre d’une sainte cause qui ne périra point. »
La correspondance échangée entre Victor Hugo et les démocrates haïtiens est publiée dans le journal haïtien Le Progrès en 1860. Il n’existe pas de barrières dans la lutte pour la liberté et la connaissance. Les démocrates haïtiens s’identifient aux universaux dans la poursuite de l’idéal de liberté réalisé par les forces révolutionnaires en se coalisant à Saint-Domingue pour proclamer l’indépendance d’Haïti le 1er janvier 1804. Une grande première dans l’histoire mondiale. Comme le souligne bien Peter Hallward, « ce n’est qu’en Haïti que la déclaration de la liberté humaine a revêtu une cohérence universelle, qu’elle a été maintenue à tout prix, en opposition directe à l’ordre social et à la logique économique de l’époque [6]. » D’où la stratégie d’endiguement et de confinement d’Haïti mise en œuvre par la communauté internationale pour casser la révolution haïtienne de l’intérieur.
Trois siècles d’esclavage, en tant que mode de production associé au capitalisme, ont créé l’environnement instituant le Pito nou lèd nou la (vaut mieux être laid mais vivant) comme schème de référence. Or, on sait depuis le Hegel de La Phénoménologie de l’Esprit que l’acceptation du risque ultime de la mort conditionne l’émergence de la conscience. Dans la lutte pour la justice et la dignité humaine, deux exemples du siècle dernier et de la période contemporaine serviront à indiquer que la prise de conscience du mal peut naitre dans des milieux d’abondance, théoriquement conservateurs, mais ayant un sens des idéaux et qui décident de lutter contre les pratiques inhumaines déraillant l’ensemble social. Ces exemples indiquent bien que la conscience n’est pas le simple reflet de l’existence comme le proclame le matérialisme vulgaire.
Si c’était le cas, l’aliénation n’existerait pas. Et les partisans de la majorité qui n’ont rien pourraient facilement gagner les élections et prendre le pouvoir au détriment de la minorité qui les opprime. En ce sens, la politique devient un lieu où tous les coups sont permis, et où la tricherie et la tromperie prédominent. Mauvais chemin dans lequel la société est engagée avec un sale jeu d’ambitions et de coups bas. Dans cette problématique, le contrôle des moyens de communication et des médias par les milieux financiers devient fondamental. Tout est mis en œuvre pour acheter les consciences avec de l’argent en miroitant auprès des masses zombifiées des avantages qui sont en fait des subterfuges pour les tromper. Des manipulations qui n’arrivent pas à avoir le dessus devant la résistance opposée par la réponse éthique de chacun et la réponse morale de tous. Dans le cas haïtien, la zombification est fondamentale pour empêcher l’émergence de la conscience dans la vie mentale.
L’aventure de l’esprit humain démontre que la conscience n’est pas confinée à un espace ou à un temps précis. Encore moins à l’argent et à une couleur de peau ! La conscience du multimillionnaire blanc Julius Rosenwald (propriétaire de Sears Roebuck) lui a dicté de financer certains investissements entre 1917 et 1932 dont les hôtels YMCA, plus de cinq mille écoles pour les Noirs américains ainsi que l’université Tuskegee dans l’État de l’Alabama. Conscient que le traitement raciste et discriminatoire infligé aux Noirs américains s’apparentait aux pogromes infligés aux Juifs dans la Russie tsariste, le juif Rosenwald décida de les aider permettant ainsi la création des cadres du mouvement des droits civiques des années 50 et 60.
En effet, les donations de Rosenwald totalisant 70 millions de dollars (1 milliard de dollars en 2015) dans la communauté noire américaine ont permis de faire émerger de nombreux cadres parmi lesquels Booker T. Washington, James Weldon Johnson, Julian Bond, James Baldwin, Ralph Bunche, Zora Neale Hurston, Marian Anderson, John Lewis. Le documentaire intitulé « Rosenwald » qui lui a été consacré en 2015 par la cinéaste Aviva Kempner témoigne de la conscience d’un homme dont l’œuvre a contribué à alléger le fardeau du mal et à réveiller les consciences. Le noir américain John Lewis, réélu 15 fois représentant au Congrès américain pour l’État de Géorgie depuis 1986, reconnaît qu’il a appris à lire et à écrire dans une école rurale financée par Rosenwald. Le vieux militant John Lewis qui a été aux côtés de Martin Luther King lors de la marche historique de Selma, Alabama, en mars 1965 pour les droits civiques n’a aucun complexe pour reconnaître la contribution de Rosenwald à sa formation.
Après la mort de Julius Rosenwald en 1932, d’autres membres de sa famille (en particulier sa fille Edith) ont continué à financer des activités dans la communauté noire américaine. La conscience développée par Rosenwald n’est pas moribonde et son apport ne s’est pas confiné aux luttes des Noirs américains pour les droits civiques. D’autres Rosenwald, apparentés ou non au fondateur, continuent le combat. En effet, dans une lettre au Prix Nobel Martin Luther King, le 26 janvier 1966, Ruth Frank Rosenwald commente ainsi les bombardements américains au Vietnam. « Ce ne sont pas les discussions ouvertes et les divergences de vues que les bombardiers américains attaquent au Vietnam, ces bombardiers attaquent la révolution non-violente ici chez nous. Ces bombardiers sont en train de tuer l’âme de l’Amérique. Nous sommes perdus si nous acceptons cette folie. Vous et votre peuple courageux, vous êtes l’esprit et la conscience de la nation. Vous êtes les seuls à pouvoir nous sortir de cet abîme [7]. » Le problème de l’engagement est posé de façon brulante.
La conscience sous-tend un sens de responsabilité qui conduit à une solidarité avec l’Autre et à des attitudes critiques à contre-courant avec le statu quo. L’extraordinaire histoire d’Edward Snowden, cet ancien expert informaticien des services de renseignement américains, le prouve encore aujourd’hui. Au nom du développement intellectuel, de la créativité et de la lutte contre l’état totalitaire, la conscience de Snowden le fait prendre le parti de la vérité. Il écrit : « Je suis prêt à prendre ces risques parce que ma conscience ne permet pas que l’État américain détruise la vie privée, la liberté sur la Toile et les libertés de base [8]. » Le plus important est que la motivation de Snowden réside dans ce qu’il nomme « l’obéissance à sa conscience morale ». Il le dit en clair à la réalisatrice Laura Poitras du documentaire CitizenFour « Clouez-moi à la croix dès le début, ne cherchez pas à me protéger. » Pendant que d’autres vendent leur conscience pour un poste de ministre, on est en face de la matérialisation du mot de Saint Thomas qui disait « Conscience oblige ». Quelle différence !
La prise de conscience de l’opinion mondiale découlant des révélations de Snowden contre le programme international de surveillance (PRISM) fait penser aux positions contre l’esclavage des abolitionnistes. En effet, la même conscience est à l’œuvre dans les luttes menées par Wilberforce, Clarkson, Mirabeau, Condorcet, les abbés Raynal et Grégoire conduisant au mot de Maximilien Robespierre : « Périssent les colonies plutôt qu’un principe ». Déclaration faite lors de son fameux discours à l’Assemblée nationale du 13 mai 1791. L’histoire du monde c’est surtout l’histoire idéologique de l’universel humain dans son inépuisable diversité, ses invariants, ses « universaux ». Le casse-tête de la complexité sociale haïtienne, notre pèlin-têt, réside dans le développement de l’inégalité héritée de la colonisation, comme l’a si bien compris très tôt le baron Valentin Pompée de Vastey dans son ouvrage, Le système colonial dévoilé.
La quête d’affirmation de soi et le temps des Lumières
Publié en octobre 1814, neuf mois avant la défaite de Waterloo qui met fin pratiquement au gouvernement de Napoléon, le baron de Vastey va au cœur de l’abaissement des caractères provoqué par le colonialisme. Il écrit : « Ces maitres cruels et barbares vivaient au milieu de nous dans la plus parfaite sécurité ; un seul blanc, dans les montagnes les plus reculées, dans les milieux de forêts, gouvernait, torturait cent Noirs suivant ses caprices, sans craindre les révoltes, tandis que nous pouvions assommer ces tyrans à coups de houes ; mais les chaînes de la servitude nous empêchaient de lever la tête au-dessus de notre déplorable situation [9]. » Loin de tout Waterloo épistémologique, le baron de Vastey reconnaît l’apport des abolitionnistes blancs dans la lutte pour l’émancipation. Il écrit : « Pourrions-nous ne pas aimer et chérir Wilberforce et le vertueux abbé Grégoire ; ces vénérables philanthropes de toutes les nations, nous les portons dans nos cœurs ; l’ingratitude n’a jamais été le crime des noirs [10]. »
Le baron de Vastey ne savait pas qu’un courant de pensée allait vouloir truster tous les rôles dans la révolution haïtienne. En effet, de Louis Sala-Molins [11], passant par Michel-Rolph Trouillot [12] pour arriver à Berthony Dupont [13], la quête d’affirmation de soi conduit non pas à minimiser mais à rejeter simplement tout l’apport extérieur des Lumières et de la révolution française de 1789. Parlant de Trouillot, le sociologue Carlo Célius écrit : « il nous présente la Révolution haïtienne comme un ensemble qui s’est développé clos sur lui-même. Action et pensée à la fois, elle se serait déployée dans une imperméabilité totale à tout apport "exogène" » [14]. Les conséquences de cette manière de voir sont plurielles. La singularité qui en découle conduit à ne pas percevoir Haïti comme la partie d’un tout plus grand que lui-même mais plutôt comme un pays à part où les lois universelles ne s’appliquent pas.
La première révolte d’esclaves à Saint Domingue remonte au 26 décembre 1522 sur l’habitation de Diego Colomb, fils de Christophe Colomb. Ces révoltes ne cesseront jamais. Mais la seule révolte d’esclaves qui réussira dans l’histoire de l’humanité est celle de Saint-Domingue, précisément parce qu’elle a su se rattacher à l’universel . L’avenir a été sombre pour l’esclave débarqué à Saint-Domingue en 1503. Isolé, abruti, l’esclave est incapable de se projeter dans l’avenir. Sa conscience viendra de l’extérieur et dans le mouvement dialectique, il arrive à « se reconnaître exclusivement aussi bien dans ce qu’il tire de son propre fond que dans les données qu’il reçoit de l’extérieur [15]. » L’émergence de la conscience révolutionnaire n’est pas sui generis à Saint-Domingue. Les esclaves sont approchés autant par les propriétaires blancs que les mulâtres qui leur demandent de les appuyer contre des promesses multiples d’émancipation y compris d’argent. L’analyse que nous proposons est alimentée par les travaux des historiens anglais, américains, français et haïtiens tels que Carolyn Fick, David Geggus, John Garrigus, Stewart King, Gordon S. Brown, Laurent Dubois, David Nicholls, Jacques de Cauna, Philippe Girard et Vertus Saint Louis.
Les relations entre la révolution française de 1789 et la révolution haïtienne de 1804 s’inscrivent dans des rapports non linéaires où un enchevêtrement des faits et des idéologies se révèle dans une grande profondeur [16]. Une vision distanciée des faits permet d’éclaircir que nombre d’événements à Saint Domingue sont initiés dans la métropole qui reçoit en retour et de manière oblique leurs conséquences. C’est aussi le cas pour la métropole qui dépendait de la colonie de Saint Domingue à hauteur de 65% pour ses exportations totales et dont 20% de la population travaillait dans des activités qui lui étaient liées. En ce sens, la problématique privilégiant le côté sui generis, indépendant, de la révolution haïtienne de 1804 et non un aboutissement logique des Lumières, ne tient pas assez compte d’éléments apparemment obscurs au départ mais qui s’éclairent progressivement à la lumière des développements opérés en métropole.
Le réveil des consciences sur le déclin haïtien demande d’aller au point de départ, au fondement de notre ADN, le grand soulèvement d’esclaves des 22 et 23 août 1791. Il est surprenant de voir des penseurs refuser de tenir compte de ces années de base et de vouloir faire table rase du rôle des Jésuites et des Capucins dans le mouvement insurrectionnel culminant dans la réunion du 14 août 1791 et l’insurrection des 22/23 août 1791. L’articulation de la révolte des esclaves avec cette forme primitive de la théologie de la libération est indéniable. Tout comme l’est la critique de Bartolomé de Las Casas des crimes commis par les Espagnols. Ce qui d’ailleurs devait conduire l’Inquisition en 1659 à interdire son ouvrage Très brève relation de la destruction des Indes. La défense de la cause des Indiens sur l’île d’Hispaniola est suivie plus tard par celle de la défense des esclaves noirs par les Jésuites et les Capucins. Pourtant, la recherche d’une forme d’autopromotion mystificatrice a jeté un voile sur cet apport combien important. La volonté d’être original conduit à faire des entorses aux faits. La moindre analyse des rapports entre la France et la colonie de Saint Domingue révèle que les changements fondamentaux intervenus dans la métropole sur la question des droits de la personne en 1789 ont des incidences sur Saint Domingue. (à suivre)
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*Économiste, écrivain
[1] Justin Dévot, Considérations sur l’état mental de la société haïtienne ; l’organisation des forces intellectuelles, Paris, Pichon, 1901.
[2] Ibid., p. 38.
[3] Brian Concannon, « Instill integrity in Haiti’s election », Miami Herald, October 5, 2015.
[4] Agnès Renault, D’une île rebelle à une île fidèle. Les Français de Santiago de Cuba (1791-1825), Mont-Saint-Aignan, Publications des universités de Rouen et du Havre, 2012, p. 91, 102.
[5] Léon-François Hoffmann, « Victor Hugo, John Brown et les Haïtiens », Nineteenth-Century French Studies, n°16, 1-2, 1987-1988.
[6] Peter Hallward, Damning the flood – Haïti, Aristide and the Politics of containment, Londres, Verso, 2007, p. 11.
[7] « Letter from Ruth Frank Rosenwald to MLK », King Center, 1966.
[8] Simon Demeulmeester, « Les 10 motivations d’Edward Snowden », L’Express, Paris, 11 juin 2013. Lire aussi Tanguy Berthemet, « Edward Snowden, l’homme qui fait trembler le gouvernement américain », Le Figaro,10 juin 2013.
[9] Valentin Pompée de Vastey, Le système colonial dévoilé, Cap-Henry, Chez P. Roux, Imprimeur du Roi, octobre 1814, p. 73.
[10] Ibid, p. 95-96.
[11] Louis Sala-Molins, dans Michel Hector (dir.), La Révolution française et Haïti. Filiations, ruptures, nouvelles dimensions, Actes du colloque organisé par la Société Haïtienne d’Histoire et de Géographie et le Comité Haïtien du Bicentenaire de la Révolution Française, Port-au-Prince 5 - 8 décembre 1989, Port-au-Prince, Société Haïtienne d’Histoire et de Géographie / Henri Deschamps, 1995, tome I, p. 9 - 18 ; Lire aussi du même auteur Les misères des Lumières. Sous la Raison, l’outrage, Paris, Robert Laffont, 1992.
[12] Michel-Rolph Trouillot, « Penser l’impensable : la Révolution haïtienne et les horizons intellectuels de l’Occident » dans Michel Hector (dir.), La Révolution française et Haïti, tome II, op. cit, p. 399-416.
[13] Berthony Dupont, Jean-Jacques Dessalines : Itinéraire d’un révolutionnaire, Paris, 2006, p. 241.
[14] Carlo Avierl Célius, « Le modèle social haïtien », Pouvoirs dans la Caraïbe, Spécial 1997.
[15] Hegel, Esthétique (1820-1829), « Introduction », traduction S. Jankélévitch, Paris, Editions PUF, 1962, p. 21-22.
[16] Michel Hector, (dir.), La Révolution française et Haïti. Filiations, ruptures, nouvelles dimensions, Actes du colloque organisé par la Société Haïtienne d’Histoire et de Géographie et le Comité Haïtien du Bicentenaire de la Révolution Française, Port-au-Prince 5 - 8 décembre 1989, Port-au-Prince, Société Haïtienne d’Histoire et de Géographie, Henri Deschamps, 1995.