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Haïti-Elections : Quand un processus électoral risque de se transformer en souricière…

Par Garry Olius*

Soumis à AlterPresse le 28 septembre 2015

Les mauvaises habitudes ont la vie dure et les malintentionnés – trop accoutumés à la balourdise – opposent une fin de non-recevoir à toute demande de changement de comportement. En leur for intérieur, ils croient que la vilenie politique n’a pas de limite et que personne, pas même le peuple uni comme un seul homme, ne saurait les traquer pour tout le mal qui leur est reproché. Faut-il en rire ou faut-il en pleurer ? On n’est pas trop sûr qu’une réaction sentimentale puisse avoir un quelconque effet sur des décideurs dépourvus d’état d’âme. Certes, il y a suffisamment de comédies et de tragédies qui pourraient générer des réactions émotionnelles, mais en guise d’éclats de rires ou d’effusions de larmes, les observateurs avisés doivent avant tout chercher à comprendre…

Les mauvaises habitudes ont la vie dure et la bêtise semble ne pas avoir de borne supérieure en ce bas monde qui est le nôtre. Par la force des choses, l’outrecuidance est en train de s’y imposer comme une nouvelle forme de rationalité politique. C’est peut-être dans cette logique qu’il faut inscrire l’attitude des Conseils électoraux haïtiens mis en place au gré des mandats présidentiels dans l’unique dessein de permettre aux régimes gouvernementaux de se reproduire, même en l’absence de production de résultats convaincants. Ils s’interdisent toute possibilité d’évolution positive. De Maitre Gilbert à Opont en passant par Gaillot Dorsainvil rien n’a changé, l’attitude contemplative face à la mascarade électorale reste intacte. Tous et toutes trouvent toujours – au tréfonds de la débâcle – une bonne raison pour être aux anges. Parallèlement, les donneurs de leçons de la communauté internationale persistent aussi dans leur reflexe outrageant de faire comprendre qu’Haïti est le seul pays ou l’inacceptable en matière électorale n’existe pas et pour faire avaler la potion nauséabonde il suffit seulement de battre la grosse caisse diplomatique ou de faire appel aux bons offices de l’ambassade américaine, de l’OEA et du Club de Madrid. Comme quoi, la seule intervention de ces instances suffit pour que la chose répugnante se transforme en objet de contemplation et, par riquochet, porter les récalcitrants à se taire et à s’aligner dociles sur la démarche de sacralisation de la bévue.
Les acteurs internationaux se croient tellement surpuissants qu’ils en vinrent à croire aussi qu’ils n’ont même pas besoin de changer de stratagèmes pour imposer leurs points de vue. Sans vergogne, ils ont recours à leur instrument préféré – l’OEA – pour inventer une théorie permettant de redéfinir ce qui est bon en matière électorale, pour interpréter le sens d’un vote blanc, déterminer à leur guise les conditions de recevabilité des procès-verbaux et recourir à des méthodes de calcul infra-mathématiques pour désigner le vainqueur des élections. Cela s’est passé comme ça en 1997, en 2000, en 2006, en 2011 et… en cette année 2015, cette instance régionale vient d’être appelée pour la énième fois, sans doute pour accomplir ces mêmes besognes. Avec peut-être la seule différence qu’à présent, le son de cloche préenregistré et émis par l’OEA est amplifié progressivement par une orchestration acoustique faisant intervenir tour à tour Pamela White, Sandra Honoré, les caisses de résonnance politique locales, le club de Madrid et le nouvel ambassadeur de l’Union Européenne.

Cet arrangement saute aux yeux et laisse un air universel de déjà-vu. Mais la situation devient tellement préoccupante qu’aucun haïtien ne peut se targuer de voir la lumière au bout du tunnel. Et il y a donc lieu de se demander perplexe : que sera Haïti le 26 octobre 2015 ?

Ceux qui réclament haut et fort l’annulation pure et simple des élections législatives d’août 2015 et ceux qui demandent de les accepter comme si de rien n’était (tout en promettant que les choses seront par magie beaucoup mieux aux prochaines joutes) sont à divers points de vue semblables, en ce sens qu’ils veulent tous faire l’économie d’une remise en question ou même d’une réflexion sérieuse sur ce qui s’était réellement passé.

Or, pour que les dérives soient effectivement corrigées, il faudrait au préalable que le CEP assume le mâle courage d’accepter le fait qu’il y a eu dérives et, partant, de réfléchir avec les parties prenantes sur la composition d’une feuille de route, assortie de propositions claires, pour terminer la cascade de processus programmés. En cela, une communauté internationale pétrie de valeurs républicaines et véritablement respectueuse de l’éthique de la démocratie, pourrait offrir un encadrement approprié. C’est d’ailleurs sur la base de ces considérations qu’il faut comprendre la rationalité politique des organisations qui ont demandé une évaluation systématique, circonscription par circonscription, de tout ce qui s’est passé le 9 août 2015.

Malheureusement, le CEP et les proconsuls de la communauté internationale ont cru bon de se mettre en mode « ce-n’est-rien » et assumer de manière infantile le risque de commettre les mêmes erreurs lors des prochaines étapes du processus électoral. Le choix d’avancer à l’aveuglette aura de lourdes conséquences et ils le savent. Cependant, bien qu’il est difficile de déterminer a priori ce qu’ils veulent, au moins on peut prédire sans boule de Crystal ce qui pourra survenir le 25 octobre, si cette date est maintenue.

Du reste, on sait que l’encadrement offert par le PNUD, tout en étant nécessaire, a l’effet pervers d’atrophier la capacité autonome de bien faire de tous les CEP qui se sont succédés de 1988 à nos jours et ce n’est pas par hasard qu’après plus de 25 ans de soi-disant apprentissage, les nationaux en posture de pseudo-formation n’ont pratiquement rien appris et commettent les mêmes erreurs. On sait que, malgré l’insertion des nouvelles technologies dans la gestion des processus électoraux partout à travers le monde, les proconsuls internationaux n’ont jamais conseillé au CEP d’éliminer cette instance centralisée dénommée Centre de Tabulation des Résultats, structure suspecte perçue comme un terreau favorable à la magouille. La malice populaire l’appelle même Centre de Manipulation des Résultats.

Partant de cette réalité, on sait que tant que ce centre continue d’exister, même les meilleurs processus ne pourront s’affranchir de cette suspicion légitime. On sait également que toutes les contre-performances du CEP induisent un risque-ajouté sur toutes les autres étapes du processus et que la somme de ces risques cumulés constituent en soi une bombe à retardement qui finira par éclater un jour ou l’autre. On sait enfin que le temps joue contre le régime politique actuel qui ne devrait pas avoir droit à l’erreur en cette matière. Mais ce facteur-temps devrait aussi jouer contre la communauté internationale qui – normalement – aurait dû se trouver face à un devoir de résultats, étant donné son ‘engament officiel’ d’instaurer la démocratie en Haïti. A la différence des hommes et femmes du pouvoir en place, elle pourra jouer le ponce-Pilate à n’importe quel moment en se lavant les mains et brandir à nouveau la thèse de chromosomes pour justifier a posteriori son projet inavouable.

On sait en outre que les soi-disant amis d’Haïti ont la vertu et l’aptitude à camoufler ce qu’ils veulent en prêchant hypocritement tout le contraire qu’ils souhaitent. Ils savent aussi où et comment trouver les ingrédients nécessaires pour concocter la mise en place des conditions favorables à la création de leur conjoncture désirée. Nous en voulons pour preuve la déclaration de Colin Powell faite le 24 février 2004 pour dire à qui voulait l’entendre que le Département d’Etat Américain n’acceptera jamais qu’un gouvernement élu (celui d’Aristide) soit destitué par la rue. Et puis… le 29 février, soit moins de 5 jours après, on sait ce qui s’était passé avec la participation active d’officiels américains.

Comme pour nous jouer des tours, l’histoire veut que les ténors qui étaient dans la rue en 2004 – au moment de cette déclaration de Colin Powell - soient au pouvoir en 2015. Par une résurgence historique, ils sont aux prises à une conjoncture quasi-similaire, tout en se tenant de l’autre côté de la barricade. Nous sachant amnésique, le Département d’Etat Américain réaffirme à nouveau sa foi en la continuité démocratique et dit du même coup son aversion pour ceux et celles qui travaillent à l’avènement d’une transition en Haïti. Et depuis lors, les pirouettes diplomatiques se multiplient, non pour construire les meilleures conditions possibles en vue des prochaines étapes du processus électoral, mais pour autre chose. Dans la foulée, le Département d’Etat fait revenir – comme en territoire sous contrôle – le grand manipulateur Kennet Merten.

Bref, la prédication diplomatique actuelle est empreinte d’un prosélytisme qui la rend plus que suspecte, compte tenu des éléments conjoncturels déjà évoqués. Elle semble être de nature à nous conduire, via des élections- à- contestations-plus-amplifiées, à une véritable souricière. Oui, un trou de souris, assimilable à un ‘dead-end’….une voie sans issue ! Et, comme toujours, les mauvaises habitudes auront la vie dure. Dans cette conjoncture particulière, cela devient vrai pour les partis politiques, vrai pour le CEP, vrai aussi pour la communauté internationale et vrai enfin pour le régime en place. Faut-il en rire ou faut-il en pleurer ? Ni l’un ni l’autre, il est plutôt urgent de chercher à comprendre. Et, s’il est encore temps, de réagir vite et bien...

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* Économiste, spécialiste en administration publique

Contact : golius_3000@hotmail.com