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Michèle Montas : " Je n’ai eu aucune entente avec Aristide "

Lettre ouverte de la journaliste Michèle Montas [1] aux medias. En date du 5 novembre 2004 et en provenance de New York, cette lettre concerne un contrat de M. Montas comme porte-parole de l’Assemblée Générale des Nations-Unies en juillet 2003. Ce contrat a suscité des remous suite à la diffusion d’une lettre du Président de l’Assemblée Générale des Nations Unies, Julian Hunte, pour demander au gouvernement actuel d’honorer les engagements endossés par le régime précédent afin de payer les salaires dus.

Soumis à AlterPresse le 7 novembre 2004

J’ai appris ce matin par un auditeur occasionnel de Radio Vision 2000 que cette station s’est jointe a une campagne médiatique, commencée sur Internet, et poursuivie par Haïti Observateur pour tenter de ternir ma réputation et, a travers moi, celle de mon mari, Jean Dominique. Cette campagne qui s’accompagne d’un tissu de mensonges, d’accusations sans preuves et de menaces est menée étonnamment sur Internet à la fois par un certain secteur Lavalas et par l’extrême droite. Cette vendetta calomnieuse prend pour prétexte une lettre administrative écrite par un diplomate, alors Président de l’Assemblée Générale des Nations Unies, M. Julian Hunte au Premier Ministre d’un état membre. Cela ne m’intéresse pas de savoir comment une correspondance diplomatique est publiquement diffusée sur Internet. Cela ne concerne que le Premier Ministre. Je n’ai pas écrit cette lettre et je n’ai eu connaissance de cette nouvelle cabale que récemment, après mon retour d’un voyage en Afrique pour mon nouveau poste au Secrétariat des Nations Unies. Ayant été il y a plus de 20 mois forcée au silence dans mon propre pays, à la suite du meurtre de Maxime Seide (mon garde du corps), d’une tentative d’assassinat sur ma personne et de menaces contre les journalistes de Radio Haïti, je tiens a apporter de loin les précisions suivantes.

En Juin 2003, le groupe Latino Américain et Caribéen, dont c’était le tour d’assurer la présidence de l’Assemblée Générale des Nations Unies, a désigné à ce poste le Ministre des Affaires Etrangères de Sainte Lucie. Le souci exprimé par la Présidence désignée de l’Assemblée était de constituer un cabinet composé de professionnels de la Caraïbe, ayant une connaissance des Nations Unies et des relations internationales. J’ai été contactée en juillet 2003 par le cabinet de M. Julian Hunte qui cherchait un journaliste de la Caraïbe ayant une réputation professionnelle internationale. Je n’ai jamais eu de contacts personnels avec le gouvernement haïtien sur ce dossier, qu’il s’agisse de l’administration Aristide-Neptune ou de l’administration Alexandre-Latortue. Je n’ai certainement eu aucune entente avec M. Jean Bertrand Aristide comme cette campagne l’insinue. J’ai été engagée sur la base d’une offre formelle d’emploi, par M. Hunte, que je ne connaissais pas personnellement, à partir de mes qualifications, de ma réputation professionnelle et de ma connaissance de l’Organisation. J’ai pendant 12 mois été la porte parole de la 58eme session, travaillant aux cotés de 14 autres professionnels de la région dans des domaines divers, politique, légal ou économique. Cela a signifié de longues heures d’un travail quotidien souvent difficile et délicat. Je tiens à souligner entre parenthèses que le dossier Haïti est traité aux Nations Unies par le Conseil de Sécurité et non par l’Assemblée Générale. Je tiens aussi à souligner qu’en tant que Président de la Session, Mr. Julian Hunte a parlé, de Septembre 2003 à Septembre 2004, au nom des 191 états membres de l’ONU et non plus en tant que membre de la Caricom ou du gouvernement de Ste Lucie.

Mon salaire n’a pas été déterminé par moi, mais a été fixé par le Cabinet de M. Hunte, en fonction des normes de l’ONU où j’avais été fonctionnaire pendant 10 ans, lors de mes deux exils de 1981 à 1987 et de nouveau lors du coup d’état de 1991. Durant le mandat de M. Hunte, les salaires des professionnels de son cabinet étaient payés par la Présidence de l’Assemblée à partir d’un budget alimenté par les contributions régulières du Secrétariat de l’ONU, par celles de certains organes spécialisés comme le PNUD, celles d’organisations intergouvernementales comme le Commonwealth, et celles de pays de la Caricom, sollicités collectivement non en tant que gouvernements mais en tant qu’états membres. J’ai reçu trois mois de salaire sous forme de chèque régulier du Cabinet de la Présidence de l’Assemblée. Je n’ai jamais été, ni ne suis au courant de la gestion des fonds de la Présidence de l’Assemblée. Les contributions d’états membres de la Caricom et le budget de la Présidence de l’Assemblée générale ne relevaient certainement pas de ma compétence de porte parole, responsable de questions internationales d’un autre ordre.

Lorsque ce cabinet n’a plus été en mesure de payer les salaires faute de fonds, certains professionnels ont choisi de partir. J’ai choisi de rester avec la Présidence de l’Assemblée, même sans salaire, parce que j’estimais que cette présidence de notre région devait réussir. Il s’agissait d’une question de fierté au sein d’une Organisation Mondiale dont mon pays est membre fondateur. Mais je suppose que ce type de valeur n’a plus cours chez nous. Que M. Hunte essaie aujourd’hui de relancer les contributions promises à sa présidence pour payer les salaires dus, que mon nom, comme seul membre haïtien du cabinet soit évoqué dans sa lettre aux représentants de l’état haïtien ne me concerne en rien. Je n’ai d’ailleurs aucunement l’intention de recevoir de salaires pour cette période. Je considère le travail que j’ai fourni comme ma contribution personnelle et professionnelle à une présidence d’Assemblée Générale qui a fait honneur à notre région.

Quant aux insinuations multiples de Vision 2000, d’Haïti Observateur, d’autres medias ou d’Internautes se dissimulant dans un anonymat de « voye woch kache men », je dirais simplement : au delà de la volonté de nuire, il devrait exister quand même un minimum de décence et de bon sens. Jean et moi avons toujours refusé systématiquement de recevoir des fonds quelconques, pour de soi-disant réparations de nos équipements à maintes reprises détruits et sabotés, de la part des multiples gouvernements qui se sont succédés dans notre histoire récente. Et j’aurais accepté aujourd’hui un quelconque salaire ? Pour payer quoi ? Mon silence, déclarent les meneurs de cette nouvelle campagne de délation et de menaces. Mon silence ? Ce serait à en rire, si la boue dans laquelle certains de nos compatriotes se complaisent pouvait évoquer autre chose que de la nausée. C’est encore un fait public que j’interviens systématiquement depuis quatre ans sur les medias internationaux les plus connus, du New York Times au Miami Herald, de Libération au Nouvel Observateur, dénonçant systématiquement les responsables des blocages sur le dossier de justice pour mon mari assassiné. Ce combat continu m’a valu des prix d’Organisations Internationales de défense des libertés dont récemment celui de Reporters sans Frontières. Je suis forcée d’ailleurs de constater que ce dossier de Justice pour Jean Dominique demeure bloqué aujourd’hui, en dépit d’une décision de la Cour d’appel et de promesses publiques des dirigeants.

Alors que Radio Haïti demeure silencieuse - ce qui semble arranger plus d’un - et que les « assassins sont toujours dans la ville » la question a se poser aujourd’hui est le pourquoi de cette campagne de délation et de tentative d’assassinat moral. Certains des individus qui avaient été questionnés ou convoqués en vain par le juge d’instruction, au cours de l’enquête sur l’assassinat éhonté de Jean Dominique occupent le haut du pavé et semblent être aujourd’hui a l’origine de cette nouvelle vendetta médiatique. Les questions qui se posent : A qui Jean Dominique fait il encore peur ? Qui est ce que la crédibilité de sa veuve gêne tellement ? Pourquoi maintenant ?

Michèle Montas-Dominique


[1Veuve du journaliste Jean Dominique, assassiné en avril 2000