Service Jésuite aux Réfugiés - Section République Dominicaine
Extrait du Bulletin de la Red de Encuentro Dominico Haitiano : "Jacques Viau", volume 1, numéro 49, 30 avril 2002 [1]
Compte rendu du Livre : Vers une nouvelle vision de la frontière et des relations frontalières, de Ruben Sillè et Carlos Segura, Flacso, Santo Domingo, 2002.
Cet ouvrage est présenté comme étant les actes du Séminaire International "Vers une nouvelle vision de la frontière et des relations frontalières", organisé par Flacso-République Dominicaine en juillet 2001. Le livre fait part des différentes positions des auteurs/es sur diverses situations frontalières en Amérique latine et dans les Caraïbes. Toutefois, la valeur fondamentale de ce document ne réside pas, principalement, dans le fait de passer en revue les frontières des pays du contient américain, mais dans la volonté de projeter une nouvelle vision de l’espace frontalier. Cette contribution sociologique et anthropologique est la richesse principale de l’oeuvre. Bien que voulant être fidèle au travail des auteurs/es, nous choisissons de présenter, avec nos propres mots et avec beaucoup de liberté, les catégories utilisées pour l’approche de cette nouvelle vision. C’est pourquoi, nous mettons en relief trois différents moments dans le processus d’analyse de l’ouvrage. En nous servant de la métaphore que les auteurs utilisent eux-mêmes quand ils parlent du Malecon comme lieu central dominant et de la frontière comme lieu lointain exclu.
a) La frontière vue du Malecon
Nous sommes face à une perception historique et traditionnelle de la frontière. Dans le cas dominico-haitien, il s’agit de cette vision qui reconnaît la complémentarité des économies coloniales. Face à l’élevage extensif du côté dominicain se développe la culture intensive de la canne-à -sucre du côté haïtien. Cette complémentarité signifie concrètement commerce historique entre les habitants des deux côtés de la frontière, activité économique cataloguée comme "contrebande" par les institutions gouvernementales. Avant la dominicanisation, c’est-à -dire la militarisation de la frontière à partir de 1937, il y avait entre les deux pays un échange commercial sans frontière. Au delà d’une lecture idéologique qui pense et vit la frontière comme zone de conflits, l’espace frontalier est en réalité un secteur de coopération et d’échange. Considérant la frontière à partir du Malecon, c’est-à -dire du centre urbain, officiel, l’idéologie traditionnelle qui entendait contrôler l’espace frontalier, peut se transformer aujourd’hui en idéologie moderne qui pense la frontière en relation avec la thématique du trafic de la drogue, le trafic d’armes et le trafic d’immigrants illégaux.
En ce sens, la frontière doit être sous contrôle. Et, de ce point de vue, personne n’est ici disposée à remettre en question le thème de la souveraineté nationale à partir de la réalité frontalière. Traditionnellement, l’attention portée à la frontière était toujours liée à un besoin de contrôle de territoire. Ainsi, loin d’une nouvelle vision de l’espace frontalier, il s’agit donc de voir en la frontière un espace commercial, une possibilité de survie pour des milliers de personnes qui habitent ces régions, d’un coté comme de l’autre de la ligne séparant les deux pays. Pourtant, en cette époque de globalisation, la frontière se réfère beaucoup plus à la souveraineté de la vie qu’a celle de la nation.
b) La frontière vue à partir du marché
L’histoire moderne de la migration latino-américaine elle-même, pour ne pas dire des Caraïbes, rappelle qu’antérieurement les flux migratoires étaient fondamentalement composés de personnes poursuivies politiquement. C’était le cas de beaucoup de réfugiés durant l’époque des dictatures à travers le continent. Au contraire, la migration actuelle est surtout de type économique, puisque ceux qui partent sont principalement des hommes et des femmes a la recherchent d’emplois pour leur survie.
La frontière est le lieu où se croisent des intérêts économiques non seulement des pauvres travailleurs, mais aussi des grands chefs d’entreprise qui considèrent la migration, et en outre la frontière, comme une possibilité de faire des affaires. Les auteurs déclarent : Un pays devra profiter de cet espace pour améliorer ses avantages comparatifs par rapport à l’autre.(p. 301). La coopération économique ne peut être ici prise en tant que collaboration et échange culturel. Le marché présente la frontière comme lieu d’affaires, comme enjeux économiques : frontière, espace commercial.
c) La frontière vue de la frontière
C’est seulement à partir des réalités de la vie à la frontière qu’on tire un concept renouvelé de cette dernière. En plus du caractère idéologique et de la préoccupation économique, la vie quotidienne à la frontière est capable de prendre en compte le caractère historique des processus socio-culturels à travers lesquels les relations quotidiennes des habitants des régions frontalières ont été tissées. Il existe des pratiques culturelles, des expériences d’intégration économiques et d’échange socio-culturel qui ne peuvent être comprises qu’à partir des réalités frontalières.
La préoccupation historique permet de voir que "les frontières expriment non seulement les limites de l’Etat-nation, mais aussi la structuration de nouvelles relations en tant qu’expression de nouveaux acteurs, qui formulent des projets locaux et transnationaux donnant un nouveau contour aux relations d’intégration et de survie des habitants des régions frontalières et mettant en relief les caractères conflictuels de ces espaces". (p. 303).
Finalement, la frontière vue a partir de sa propre réalité, se présente de manière beaucoup plus complexe que ce regard qui l’interprète depuis le périmètre urbain, le Malecon, où a partir des relations de marché, les deux visions laissant de coté la structure sociale et les processus d’échange et construction culturelle qui se tissent le long de la frontière et qui servent de socles aux relations commerciales et politiques. Ce qui nous amène à conclure qu’en ce qui concerne la frontière, de même que dans la majorité des phénomènes sociaux, la plus grande richesse est dans la réalité et non dans les interprétations souvent distantes de cette réalité.
[1] Traduction libre - AlterPresse - mai 2002