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Elections : Le scénario-catastrophe du 25 octobre 2015 en Haïti est-il évitable ?

Par Leslie Péan

Soumis à AlterPresse le 15 septembre 2015

Le refus d’inventaire est une réaction-type des gens têtus, qui se coltinent à la tâche de fè dlo sòti nan wòch (faire l’impossible).

Quand il s’agit de candidats aux plus hautes fonctions de l’État, cela conduit droit à des catastrophes. Après la mascarade électorale du 9 août 2015, ils ont opté pour la politique de l’autruche.

Le Conseil électoral provisoire (Cep) est moralement moribond, plongeant dans le désarroi les milieux qui l’ont financé (38 millions de dollars américains). Mais le statu quo refuse d’enterrer son zonbi et insiste même pour lui donner une seconde vie avec le soutien manifeste de la communauté internationale.

Cette dernière cherche la formule magique et, ce faisant, s’enfonce dans son alliance humiliante avec le « banditisme légal ».

Quelles sont les chances pour que leur plaidoyer soit entendu ? Et s’il l’est, de gré ou de force, quel type d’agencement en sortira pour Haïti ? Quels sont les possibles devenirs ?

Le déroulement du scrutin du 9 août 2015 a fait l’objet d’une critique objective de trois organisations indépendantes, telles que le Réseau national de défense des droits humains (Rnddh), le Conseil national d’observation (Cno) et le Conseil haïtien des acteurs non étatiques (Conhane) [1]. Elles ont déployé mille cinq cents (1,500) observateurs dans tous les départements géographiques.

À leur avis, aucun des problèmes habituels n’a été réglé et tout reste à faire au niveau de l’accréditation des observateurs électoraux et des mandataires, du déroulement du vote, de l’ouverture des centres de vote, de la sécurité, du dépouillement et de l’affichage des résultats.

Les personnages de la comédie du Cep ont réalisé un scénario lamentable, le 9 août 2015. Les pires craintes sont devenues des réalités. Le délire était délibéré, car les bandits ont opéré à visière levée, les armes à la main.

La vision, qui se dégage du panorama dressé, est celle d’un désenchantement total : « certains matériels de vote comme les isoloirs, l’encre indélébile, les urnes, n’étaient pas adaptés [2] ».

Refusant toute illusion volontaire, les observateurs indépendants ont démontré que le Cep est pourri jusqu’à la moelle.

Pour tenter de se sortir du dilemme moral, occasionné par les désordres créés par les partis Parti haïtien Tèt Kale (Phtk), Bouclier, Ayiti an aksyon (AAA), le Cep affirme qu’il ne faut pas lui jeter la pierre.

La liquidation de la capacité mentale du peuple haïtien est à l’ordre du jour, tout comme l’a été celle de l’espace physique des centres et des bureaux de vote.

La boucle est bouclée, avec la nomination d’Ardouin Zéphirin - directeur de campagne, dans le Nord, de Jovenel Moïse - comme Ministre de l’intérieur et des collectivités territoriales.

Des événements aux échos à grande vitesse et appelés à se reproduire

L’entêtement du Cep est mortifère et ses actions indiquent qu’il fait tout pour entretenir le cycle de la mystification dans la politique haïtienne.

Sans réfléchir sur son incompétence manifeste, ses paradoxes et contradictions, le Cep semble déterminé à continuer son entreprise cynique, même sur fond de crise généralisée.

L’impunité, dont bénéficient les hommes armés, qui ont pénétré dans des centaines de bureaux de vote, annonce l’escalade de ces pratiques mafieuses, le 25 octobre 2015. Le refus de décortiquer les agissements de ces bandits étale, au grand jour, le fond horrible de la pensée du Cep.

Les adeptes de la débauche au pouvoir constatent que leurs pires actions sont tolérées et qu’ils n’ont aucune raison de les abandonner. Les bandits sont en attente (lan mori yo sou gri) et ils savourent déjà le délicieux fumet. Haïti est condamnée à revivre les épisodes du 29 novembre 1987 à la Ruelle Vaillant et du 9 août 2015.

Des événements aux échos à grande vitesse et appelés à se reproduire

Et si, par malheur, la nouvelle mascarade électorale devait réussir le 25 octobre 2015, Haïti sera confrontée à une autre catastrophe avec la reconduction du pouvoir Tèt Kale et un Parlement dysfonctionnel constitué de bandi legal, comme le souligne le Miami Herald [3].

Le pays restera dans le flou, ne sachant même pas sous l’empire de quelle Constitution il fonctionne.

Le Parlement sera une caverne d’Ali Baba, où chaque vote est monnayé. La corruption atteindra de nouveaux sommets, particulièrement dans le secteur de l’éducation, avec la dilapidation de ce qui reste des fonds du Programme de scolarisation universelle, gratuite et obligatoire (Psugo).

La crise de confiance ne pourra qu’augmenter, avec une absence totale de prévisibilité.

La drogue circulera plus vite, d’un point à l’autre du territoire, sous la protection de personnalités jouissant de l’immunité, avec des véhicules blindés aux vitres teintées et aux plaques d’immatriculation officielles.

La justice continuera d’être galvaudée, servant de soupape accomplie aux pulsions de la religion, devenue officielle, de la jouissance et de la festivité.

Refuser le deuil par anticipation du 25 octobre

Les manifestants, qui réclament l’annulation des élections du 9 août 2015 et la dissolution du Cep, ont totalement raison.

Leurs actions démontrent l’existence de compatriotes, refusant d’accepter le formatage de l’occupation américaine qui a appris aux Haïtiens « à acquiescer à l’usage arbitraire de l’autorité [4].

Le Cep au regard Tèt Kale est prisonnier des dégénérés, car, « dans au moins 50 % des centres de vote, des actes d’intimidation, de violences et de fraudes électorales ont été enregistrés » [5].

En exprimant leur colère, les manifestants réintroduisent, en quelque sorte, la vie dans la cité et créent des liens entre les citoyens, refusant ainsi le deuil par anticipation du 25 octobre 2015, contrairement aux naïfs, qui croient en la possibilité d’un dépassement et qui ont donné leur aval au Cep, à l’hôtel El Rancho, le 11 septembre 2015.

Attitude irresponsable, car le Cep a déjà amplement démontré qu’il ne savait organiser que des élections artificielles et superficielles, au bénéfice de ses acolytes.

Pour que les élections du 25 octobre 2015 réussissent, il faudra beaucoup plus que des changements cosmétiques.

Un changement en profondeur du cadre politique est nécessaire, pour permettre un changement dans la perception du sens des choses.

Le Cep, qui a ruiné ce qui lui restait de capital de sympathie, ne fait que grappiller chez ceux qui lui sont asservis.

Sans perdre ses repères devant la bêtise actuelle, il importe de prendre du recul et de tout faire pour éviter la désagrégation finale.

Ceux, qui ont accepté de confier l’organisation des élections du 9 août 2015 aux mêmes responsables – qui ont confessé, publiquement et sans contrainte, avoir, eux-¬‐mêmes, falsifié les résultats des élections de 2010 - sont maintenant placés devant leur « sale conscience ».

Les professionnels de l’escroquerie de 2015 s’inscrivent dans la même dynamique d’apprentis-sorciers, aux comportements mafieux, qu’ils ont manifestés en 2010.

A en croire certains observateurs étrangers, la nouvelle catastrophe annoncée n’a aucune chance d’être évitée.

Selon Catherine Charlemagne, « même si les dirigeants haïtiens avaient cent ans devant eux et disposaient de cent milliards de dollars américains pour préparer les élections, le résultat aurait été le même. Ce n’est pas une question de temps, ni de moyens. Il s’agit d’incompétence ».

C’est ainsi qu’un membre d’un groupe d’observateurs internationaux, avec qui nous avons suivi le déroulement du scrutin – la journée électorale du dimanche 9 août 2015 en Haïti - a résumé le fiasco » [6].


[1Rnddh, Cno, Conhane, Scrutin du 9 août 2015 : un accroc aux normes démocratiques !, Port‐au‐Prince, 10 août 2015.

[2Ibid., p. 3.

[3Jacqueline Charles, « Legal bandits could take charge in Haiti’s parliament », Miami Herald, August 7, 2015.

[4« We are training them to subordinate themselves, and work under others, who take the responsibility. We are teaching them to accept military control as the supreme law, and to acquiesce in the arbitrary use of superior power ». Emily Greene Balch, ed., Occupied Haiti, New York, The Writers Publishing Company, Inc., 1927, p. 153.

[5Rnddh, Cno, Conhane, Scrutin du 9 août 2015, op. cit., p. 4.

[6Catherine Charlemagne, « Haïti, chronique d’une crise électorale (66), Dimanche 9 août 2015, le fiasco ! », Haïti Liberté, Vol. 9, No. 6, du 19 au 25 août 2015.