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Haïti-Élections : Trois organisations d’observateurs exigent une « investigation sérieuse » au sein du Cep

Extraits d’un rapport sur le premier tour des élections législatives partielles (9 août 2015), préparé par le Réseau national de défense des droits humains (Rnddh), le Conseil national d’observation électorale (Cno) et le Conseil haïtien des acteurs non étatiques (Conhane) [1]

Document daté du 25 août 2015 et transmis à AlterPresse

Il ne fait aucun doute que les élections du 9 août 2015, émaillées d’irrégularités, de fraudes massives et de violences constituent un accroc aux normes démocratiques.

Les autorités exécutives, les responsables de l’organisme électoral ainsi que de nombreux partis politiques et candidats ont leur part de responsabilité dans ce qui peut être considéré comme étant un fiasco électoral.

En effet, après avoir passé quatre (4) années au pouvoir sans réaliser les élections que le peuple en appelait de ses vœux, et, après avoir passé quatre (4) années à tergiverser et à essayer de rejeter la faute sur les autres acteurs impliqués dans les élections, les autorités exécutives ont accouché de ces joutes électorales où les partis politiques du pouvoir, savoir Phtk et Réseau national Bouclier Haïtien sont pointés du doigt comme ayant été, le jour du scrutin, les plus agressifs dans la perpétration des fraudes et dans l’utilisation de la violence électorale comme moyen de réussite.

Dans le souci de respecter les dernières échéances électorales avant la fin du mandat du Président Michel Joseph MARTELLY, le Cep a tenu à réaliser des élections pour lesquelles il n’était pas encore prêt. Pourtant, le Rnddh, le Cno et le Conhane avaient, à plusieurs reprises, attiré son attention sur ce fait.

Mais, n’entendant que la voix des partis politiques et des autorités exécutives, le Cep a organisé rapidement ces joutes électorales jalonnées d’irrégularités : absence de prestation de serment des superviseurs électoraux par devant les tribunaux de paix conformément à l’article 13 du décret électoral en vigueur, erreurs dans l’émission des bulletins de vote, isoloirs ne pouvant isoler les électeurs, encre indélébile ne fonctionnant que quelques heures après avoir été utilisé, urnes transparentes ne pouvant visiblement pas recevoir quatre cents (400) bulletins, non disponibilité des accréditations, absence de planification et de règles préétablies pour la distribution des cartes d’accréditation, manque de formation des membres des bureaux de vote et des superviseurs, etc.

En plus des établissements scolaires et des églises, le Cep a installé des centres de vote dans des maisons privées de particuliers, dans des maisons privées de membres des Casec, dans des gallodromes et dans des boîtes de nuit, ce qui est inapproprié pour la sérénité et le caractère non partisan que doit afficher l’espace choisi pour les centres de vote.

De nombreux partis politiques et candidats pour la plupart n’ont pas mené campagne parce qu’ils se sont reposés sur la force de l’argent et des armes en utilisant des partisans zélés, prêts à tout. C’est malheureusement dans ces conditions que des Députés et des Sénateurs veulent représenter le peuple haïtien au Parlement.

Sans peur d’être démentie, la coalition (Rnddh, Cno et Conhane) peut affirmer que le 9 août 2015, il s’est tenu dans le pays non pas des élections, mais un jeu coquin, où tous tenaient à gagner, peu importe le prix. Si certaines dérives des électeurs peuvent être supportées, celles des mandataires ne peuvent en aucune façon être acceptées. Les partis politiques doivent intervenir et former leurs mandataires sur les comportements à adopter lors des scrutins.

Par ailleurs, la moyenne d’heure d’ouverture des centres de vote est de neuf (9) heures du matin, soit trois (3) heures de temps après que les opérations et le processus de vote auraient déjà dû démarrer. Les raisons de ces retards sont nombreuses :

• Des responsables de centres de vote et des membres de bureaux sont arrivés en retard sur leurs lieux d’affectation ;
• Des membres de bureaux de vote se sont montrés incompétents ;
• Des violences enregistrées tôt dans la matinée du scrutin ont empêché la livraison à temps des matériels de vote ;
• Des matériels de vote ont été échangés par inadvertance entre les centres de vote ;
• Des matériels de vote reçus par les centres étaient incomplets.

La population haïtienne a boudé les élections du 9 août 2015. La grande faiblesse du taux de participation, d’une moyenne officielle de 18 % observée à l’échelle nationale, reflète la lassitude de la population face aux échecs chroniques et répétés du processus démocratique haïtien, et plus particulièrement des diverses élections qui ont jalonné notre passage de la dictature à une tentative de mise en place d’un régime démocratique.

La domination de la scène politique par des plateformes circonstanciées électoralistes, l’absence de débats idéologiques et de positionnement clair des acteurs politiques par rapport aux enjeux nationaux, l’affichage des candidatures au sein de n’importe quelle plateforme politique, ce, indépendamment de toute ligne politique et idéologique, au mépris des valeurs morales et au gré des avantages matériels et des intérêts particuliers, témoignent d’une grande dérive qui a contribué à une grande indifférence des électeurs.

Plusieurs candidats, plusieurs électeurs partisans et sympathisants des candidats, de nombreux responsables des centres de vote, des mandataires de partis politiques, des observateurs d’organisations partisanes, se sont permis de faire de la propagande électorale le jour du scrutin, menant campagne pour leurs candidats, agressant les électeurs voire les personnes en âge avancé, menaçant les responsables de vote qui ne veulent pas les laisser faire ce qu’ils veulent. Le constat de cette violence généralisée est patent : dans 50 % des centres de vote observés par le Rnddh, le Cno et le Conhane, des fraudes massives et des tentatives de fraude, des irrégularités graves, des actes d’intimidation, des actes d’agression ou de violence, des actes de violence caractérisée ont été constatés.

Le comportement, affiché par les autorités policières en la circonstance, s’est révélé inapproprié et incompatible à leur mission de garantir l’ordre et la sécurité du processus électoral.

Par ailleurs, la coalition (Rnddh, Cno et Conhane) prend acte du différend opposant le responsable du service de livraison des cartes d’accréditation aux observateurs et mandataires de partis politiques, Hébert LUCIEN au Président du Cep, Pierre-Louis OPONT.

Il s’agit là d’un dossier important qui mérite une très grande attention, ce, d’autant plus que des informations parvenues à la coalition font état d’une distribution massive et abusive de cartes d’Observateurs à des partis politiques et à des candidats aux élections, dans le but de leur permettre de frauder et d’influencer le scrutin, en bénéficiant de votes supplémentaires des détenteurs de ces cartes qui en ont profité pour voter plusieurs fois.

Plusieurs milliers de cartes d’observation, émises par le Cep, ont été apparemment, dans beaucoup de cas, destinées à des organisations bidon d’observation électorale, montées de toute pièce par des partis politiques, par des candidats et par des groupuscules crapuleux à l’affut de l’argent. Dans beaucoup de cas, ces organisations semblent avoir bénéficié d’une certaine complicité au sein de l’institution électorale.

Une telle opération a porté un coup grave à la crédibilité du processus électoral, à la fiabilité des résultats du vote du 9 août 2015, et également à la crédibilité du Cep. Elle risque maintenant de mettre en question la confiance accordée par le peuple haïtien au mouvement des organisations de la société civile, engagées dans l’observation électorale dont le caractère non partisan, honnête et transparent en constitue la pierre angulaire.

Par conséquent les accréditations ne peuvent être fournies aux partis politiques, aux candidats ni à des groupuscules d’organisations inconnues qui n’ont pas démontré à travers le temps, leur pertinence et leur crédibilité.

Au regard de toutes ces irrégularités, de ces fraudes massives, de ces violences, le Rnddh, le Cno et le Conhane exigent :

• qu’une investigation sérieuse et indépendante soit menée au sein même du Cep, afin de faire la lumière sur les accusations graves relatives à l’octroi des cartes d’accréditation aux observateurs et aux mandataires de partis politiques.

• qu’une évaluation approfondie du processus électoral soit réalisée en vue de déterminer le rôle de tous les acteurs dans ce qui s’est passé, ce, dans la perspective d’établir les responsabilités, de corriger les erreurs et de créer un climat de confiance favorable à d’autres élections dans le pays.

• que les autorités judiciaires sévissent contre toutes les personnes impliquées dans le dévoiement délibéré du processus et dans la perpétration d’actes de violence, et qui ont causé de graves préjudices aux citoyens et aux citoyennes qui s’apprêtaient à exercer leur droit le jour du scrutin.

• que les partis politiques s’arrangent pour porter leurs mandataires à se comporter en fonction de leurs attributions.


[1Le Rnddh, le Cno et le Conhane ont déployé mille cinq cents (1,500) observateurs qui, munis de fiches préalablement élaborées et répartis dans les dix (10) départements géographiques du pays, ont eu à observer le déroulement du scrutin et à noter tous les détails y relatifs.

Le Rnddh, le Cno et le Conhane ont observé un total de sept cent vingt huit (728) centres de vote (sur 1508 installés).

Au moins deux (2) observateurs ont été affectés à chacun de ces centres de vote. L’un d’entre eux était posté au sein d’un bureau de vote, tandis que l’autre était mobile dans le centre.

De plus, onze (11) équipes de supervision, composées chacune d’au moins quatre (4) membres, ont eu à faire le tour des départements géographiques du pays et à recueillir des informations générales sur le déroulement du scrutin dans leur département respectif.