Par Gotson Pierre
P-au-P., 26 aout 2015 [AlterPresse] --- Le Conseil électoral provisoire (Cep) confirme son option en faveur de la poursuite du processus électoral, sans évaluation du premier tour des législatives partielles du 9 août 2015, émaillées de graves infractions commises par des candidats et leurs partisans ou sympathisants.
Le communiqué # 51 du Cep lance une mise en garde à l’encontre de 17 partis et regroupements politiques, dont les candidats et sympathisants ont perturbé la journée électorale du 09 août 2015, en saccageant des centres de vote et en emportant des matériels électoraux.
En cas de récidive, menace le Cep, des candidats, inscrits sous la bannière de ces formations politiques, seront exclus de la course électorale, suivant l’article 119 alinéa (c) du décret électoral du 2 mars 2015.
Mais cette mise en garde arrive tard, et même très tard, après la publication, le 21 août 2015 par l’institution électorale, de données faisant office de « résultats préliminaires » du premier tour des législatives.
Ces statistiques, qui ont soulevé la réprobation de divers secteurs politiques, montrent que les partis impliqués dans les violences mentionnées par le Cep sont les mieux classés.
L’avertissement concerne, en effet, des entités politiques désignées comme suit, dans un tableau présenté par le Cep : Parti haïtien tèt kale (Phtk), Bouclier, Vérité, Konvansyon inite demokratik (Kid), Ayiti an aksyon (Aaa), Pou nou tout (Pont), Fusion, Renmen Ayiti, Regroupement patriotique pour le renouveau national (Reparen), Parti populaire national (Ppn), Ligue alternative pour le progrès et l’émancipation haïtienne (Lapeh), Respè, Pitit Desalin, Komite rezistans Grandans (Korega), Kontra pèp la, Ansanm patriyòt pou lavni Ayiti (Apla) et Alliance démocratique pour la reconstruction nationale (Adrena).
On serait tenté de croire que la ‘troublante’ option violente a été largement partagée.
Mais, si on regarde de plus près, on verra bien que certains partis se détachent du lot, comme le rapportaient plusieurs témoins dans les médias le jour du vote.
Le Phtk (du président Michel Martelly) est, en effet, épinglé pour des violences et des perturbations du vote dans 6 départements sur 8 ; Bouclier, dans 4 départements ; Kid dans 3 ; Verite dans 3 ; Lapeh dans 2 ; Aplah dans 2 et les autres dans un département.
Or, il se trouve que les partis, ayant réussi un plus gros score au premier tour, sont Phtk, avec au moins 4 députés supposément élus au premier tour et 8 candidats au sénat au second tour, Verite avec 1 député qui serait élu au premier tour, et 7 candidats au sénat au second tour, puis Bouclier, comptant 7 postulants au sénat au second tour.
Les autres partis, visés dans la mise en garde du Cep, s’en sortent avec 1 à 3 candidats au sénat au deuxième tour.
La violence et les troubles sont donc payants.
Le Cep tourne la page, sans contraindre les candidats ou tenants des partis en cause à prendre leurs responsabilités ni à faire face à la loi.
Comment peut-on, en toute justice, demander aux partis, lésés par les violences et les irrégularités diverses du 9 août 2015, de passer à autre chose ?
Ainsi, va-t-on au second tour, en reconnaissant que des partis ont fait usage de la violence et ont impunément perturbé le vote au premier tour, comme d’autres l’ont fait avant eux durant les 28 ans de l’histoire électorale récente et mouvementée d’Haïti.
En tout état de cause, des sanctions étaient attendues contre celles et ceux qui ont violé le décret électoral.
Dès le début de la campagne, le Cep s’est montré frileux et complaisant vis-à-vis des candidats qui ont multiplié des écarts (ce qui n’est, par ailleurs, pas sans relation avec la forte abstention observée).
Certes, 16 candidats ont été mis hors jeu. Mais, cette mesure se révèle conservatrice aux yeux des observateurs.
Les candidats écartés « ne peuvent être les seuls responsables des désordres du 09 août », selon Antonal Mortimé, secrétaire exécutif de la Plateforme des organisations haïtiennes de défense des droits humains (Pohdh).
Aucune action publique n’a encore été mise en mouvement contre les fraudeurs et les criminels électoraux, relève le militant des droits humains.
D’autres organisations, ayant déployé des centaines d’observateurs sur le terrain, vont dans le même sens.
Avec ce qui semble être la validation du premier tour des législatives, sans évaluation des opérations, pour rendre compte de la vérité électorale et punir les responsables des exactions du 9 août 2015, Haïti ne sort pas du cycle d’impunité électorale, où elle est entrée depuis le massacre des électeurs et électrices aux élections avortées du 29 novembre 1987.
Pourtant, il n’y a aucune possibilité d’échapper à ce tourbillon, s’il n’y a pas rupture avec le passé et le présent d’élections violentes, dont les résultats sont connus d’avance.
La mise en garde, lancée par le Cep le 24 août 2015, défie la logique et ne fait qu’avaliser l’idée que la victoire électorale s’obtient par la violence. Que c’est par des pratiques antidémocratiques que les partis accèdent au pouvoir.
Au delà de tout esprit partisan, les citoyennes et citoyens devraient avoir le Cep à l’œil et se montrer attentifs aux développements actuels de la conjoncture politique, déterminante pour l’avenir de la démocratie en Haïti. [gp apr 26/08/2015 07:30]