Correspondance Jéthro-Claudel Pierre Jeanty
Ouanaminthe, 22 août 2015 [AlterPresse] --- Les défis, enjeux et perspectives de la question minière en Haïti ont été mis en lumière au cours d’un atelier, organisé, le jeudi 20 août 2015, par l’organisation internationale Oxfam, le Kolektif jistis min (Collectif justice mines) et le Campus Henry Christophe de l’Université d’État d’Haïti, à l’auditorium de cet établissement à Limonade (Nord), a observé l’agence en ligne AlterPresse.
Devant une assistance composée de représentants de syndicats, d’organisations de défense des droits humains, de développement, venus d’un peu partout dans le pays, les perspectives de la question minière ont été envisagées, en prenant en compte les dimensions économique, socio-politique, légale et environnementale.
Cet atelier a bénéficié de l’expertise de spécialistes haïtiens et étrangers, issus des Caraïbes, de l’Amérique latine et de l’Amérique du Nord.
L’organisme Oxfam a profité de l’occasion pour procéder au lancement de son rapport de recherche sur les mines en Haïti.
D’immenses défis
La faiblesse du cadre légal en matière de gestion des mines (loi de 1976), la corruption, le manque de transparence, l’absence de ressources humaines spécifiques et de compagnies locales pouvant profiter pleinement des activités d’exploitation, sont parmi les défis.
« Dans le présent décret, il est prévu qu’entre 60 et 70% de revenus des exploitations minières reviennent aux compagnies et, des 30 à 40% qui restent, l’État haïtien ne bénéficie que de 2.5% », fustige Nixon Boumba du Kim.
De son côté, Keith Slack, cadre d’Oxfam à Washington, précise que « certains pays prélèvent entre 3 et 4% des revenus. Considérant la précarité sociale, économique, environnementale d’Haïti, les dirigeants devraient réclamer plus de 5% et renforcer le système fiscal pour lui permettre de faire face à ses obligations ».
Des compagnies minières internationales ont estimé à 20 milliards de dollars, la valeur des ressources en or dans la région du Nord d’Haïti, sans aucune contre-expertise, apprend-on.
Ces mêmes compagnies auraient la pratique de présenter des chiffres sous évalués dans le cadre de leurs recherches de financement auprès des bailleurs.
« Selon les études du docteur Daniel Mathurin, les réserves d’or du sous-sol haïtien valent entre 80 à 100 milliards de dollars », avance le professeur Camille Chalmers.
Les activités d’exploitation des mines à travers le monde semblent plus proches d’opérations de pillage que de développement, laissent comprendre les arguments qui ont déferlé tout au long de l’atelier.
« Des mines pour l’avenir : expériences mondiales avec des impacts sur la santé humaine et l’environnement : comment faire mieux en Haïti », est le thème d’une intervention du chercheur américain Stuart Lewit, qui a eu un impact considérable sur les participants.
Suite à cet exposé, supporté par des images fortes, concernant les dégâts des exploitations minières sur la santé et l’environnement un peu partout dans le monde, une participante s’est précipitée pour dire non à l’exploitation des mines d’or dans sa municipalité.
« Je viens de Limbé (commune du département du Nord). Dans ma communauté, nous vivons des denrées agricoles. Regardez comment je suis costaude. C’est parce que je ne consomme pas de produits importés », s’exclame la paysanne, craignant le déclin de l’agriculture après l’arrivée des multinationales d’exploitation minière.
Surtout que l’exemple de la République Dominicaine voisine, qui exploite plusieurs mines, n’est apparemment pas réjouissant.
Malgré l’importante quantité des sites d’exploitation en République Dominicaine, ces extractions n’apportent qu’une contribution de 1% au Produit intérieur brut (Pib) de la république voisine, explique la professeure Scarlet Garcia.
Pour un engagement citoyen face à une potentielle « malédiction »
« La bénédiction d’Haïti de posséder des ressources minières dans son sous-sol peut se transformer en malédiction », a mis en garde le sociologue Tony Joseph, responsable de plaidoyer et recherche d’Oxfam en Haïti.
Il est convaincu, comme les autres intervenants et participants, que l’État haïtien ne dispose pas encore de la capacité pour gérer efficacement les revenus des exploitations.
Le directeur de programme à Oxfam, Jean-Claude Fignolé, a rappelé combien la promesse d’utiliser l’exploitation des ressources minières, pour alimenter les efforts de développement humain, est un refrain très connu à travers le monde.
Pour que cette promesse se concrétise, deux dispositions essentielles doivent être réalisées, estime Fignolé.
Il faut avoir, soutient-il, un cadre de régulation approprié.
Le gouvernement haïtien devrait pouvoir gérer efficacement les revenus de ces activités minières pour aider à satisfaire les besoins des générations actuelles et futures.
Il dit croire en la nécessité d’implémentation d’actions concrètes « pour ne pas faire de l’exploitation minière en Haïti une malédiction ».
« Je fais appel à votre patriotisme et votre engagement citoyen pour faire des ressources naturelles et humaines du pays une affaire d’État, répondant péremptoirement aux intérêts du pays », déclare-t-il.
Il existe d’autres perspectives que les mines
L’ingénieur-agronome Audalbert Bien-Aîmé, président du conseil d’administration du Campus Henry Christophe (Chc) de Limonade, attire l’attention des participants sur le fait que l’exploitation des gisements d’or d’Haïti n’est pas incontournable pour obtenir une croissance économique.
On peut utiliser les multiples autres ressources disponibles, considère-t-il.
« L’un des pays les plus riches du monde, la Suisse, n’a pas vu sa richesse découler de l’exploitation des réserves que renferme son sous-sol, mais plutôt de la maîtrise du savoir-faire, de la science, de la technologie, des services et de l’agriculture… Tandis que l’un des pays les plus économiquement démunis du monde, la République Démocratique du Congo, jouit d’un sous-sol riche en ressources minières », compare-t-il.
Sachant que l’exploitation des mines d’or est non-renouvelable, il a soulevé un ensemble de questionnements, qui ont poussé l’assistance à réfléchir sur le « peu d’avantages » à tirer et le « prix à payer pour y parvenir ».
Pourquoi ces richesses ne bénéficient-elles, en général, qu’à une faible minorité ? Quelles sont les conséquences négatives de l’exploitation minière sur la santé des travailleurs et sur l’écologie, notamment, régionale ?
Peut-il être économique et durable de traiter un million de grammes de terre pour en tirer 3 grammes d’or ? Une société qui ne maîtrise pas la technologie peut-elle prétendre à l’exploitation avantageuse des minerais ?
« Le seul plan de salut actuel et réel de la population de cette région (le grand Nord d’Haïti) réside dans la formation de praticiens, convenablement bien formés, dans tous les métiers, aux questions des expertises et aux besoins, dans tous les champs disciplinaires économiquement et socialement exploitables. C’est pratiquement la seule chance de création massive d’emplois dans cette région du Nord », poursuit le président du conseil d’administration du Chc.
« L’exploitation des minerais, particulièrement l’or, constitue, sans nul doute, une opportunité de richesses pour la région Nord du pays, mais également une source potentielle de dissensions sociales et de dégradation de l’environnement. Allons-y, mais soyons prudents et responsables », conclut le président du Chc.
Si l’État et les communautés se donnent le temps et les moyens pour se préparer en conséquence, l’exploitation des mines d’or en Haïti pourrait être profitable au pays.
Sinon, ce sera la catastrophe, avertissent les experts haïtiens et étrangers.
Mais les participants, venus particulièrement de diverses zones dans le département du Nord, ont carrément exprimé leur opposition à l’exploitation minière en Haïti. [jcpj kft gp apr 22/08/2015 13:45]