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Position de la POHDH sur les événements survenus à Saint Raphaël, particulièrement à Guacimal le 27 mai dernier

La POHDH suit avec attention les événements qui se sont survenus à Guacimal (Saint Raphaà« l) le 27 mai dernier et les différentes réactions qui s’en suivent. En effet, la POHDH a été informée depuis plus d’un an d’un conflit existant entre des paysans et ouvriers agricoles regroupés dans une organisation syndicale et des responsables d’une grande propriété foncière dans cette même région. L’essence de ce conflit serait l’amélioration des conditions de travail des ouvriers agricoles, en regard aux prescrits du code du travail haïtien et aux autres documents y relatifs. Face à la détermination des ouvriers de forcer les responsables de cette propriété à satisfaire leurs revendications, ces derniers avec l’appui des autorités locales ont utilisé des moyens forts non démocratiques. Des informations reçues de nos différentes sources, nous avons relevé les violations suivantes :

1- Atteinte à la liberté de réunion et de manifestation (article 31, 31.2 de la Constitution)

Cette liberté est garantie par les articles 31 de la Constitution "La liberté d’association et de réunion sans armes à des fins politiques, économiques, sociales, culturelles ou tout autre fin pacifique est garantie" et 20 de la Déclaration Universelle des de l’Homme "Toute personne a droit à la liberté de réunion et d’association pacifiques". Les paysans qui se sont rassemblés devant l’église catholique pour discuter des modalités de travail, n’ont commis aucune infraction. Si c’était le cas, se serait à la justice de prendre les mesures appropriées.

Cependant, le fait que ce rassemblement ait été brutalement interrompu par un groupe d’ individus armés au service des autorités locales, constitue pour nous dans la POHDH un cas grave de violation de droits humains, dont la liberté de réunion publique.

2- Arrestation illégale et arbitraire. (article 25, 25.1, 26, 26.1, 26.2 de la Constitution)

L’intervention brutale de ce groupe d’individus à occasionner dans le rang des paysans et ouvriers agricoles : 2 morts, 11 arrestations et plusieurs blessés.

Concernant les arrestations, nous avons constaté plusieurs irrégularités qui constituent des violations de droits humains :

- Sévices corporels pendant et après les arrestations : L’intégrité physique des paysans n’ a pas été respectée. Ils ont été tabassé, maltraité au mépris des articles 25 de la Constitution "Toute rigueur ou contrainte qui n’est pas nécessaire pour appréhender une personne ou la maintenir en détention, toute pression morale ou brutalité physique notamment pendant l’interrogation sont interdites" et 5 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme " Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants"

- Arrestation dans une juridiction et transfert dans une autre juridiction : La loi fixe les conditions de transfert des détenus d’une juridiction à une autre. Elles sont d’ordre sécuritaire. La vie des détenus était - elle en danger ? Les détenus menaçaient -ils la sécurité publique ? Malgré les arguments fallacieux avancés par les autorités pour justifier le transfert des paysans détenus, la Plate-forme croit qu’ ils ont été privés de leur droit de juge, conséquemment a entrainé la détention préventive prolongée puisque la procédure de transfert des détenus n’ a pas été respéctée et les autorités du pénitencier national n’ ont pas même l’ordre d’écrou émis par le commissaire du gouvernement de la Grande Rivière du Nord.

- Détention préventive prolongée : Les paysans détenus ont été privés de leur liberté de mouvement. Ils sont écroués au pénitencier national sans avoir été comparu par devant leur juge naturel conformément à l’article 26.1 de la Constitution "En cas de contravention, l’inculpé est déféré par devant le juge de paix qui statue définitivement.

En cas de délit ou de crime, le prévenu peut, sans permission préalable et sur simple mémoire, se pourvoir devant le doyen du tribunal de première instance du ressort qui, sur les conclusions du ministère public, statue à l’extraordinaire, audience tenante, sans remise ni tour de rôle, toute affaire cessante sur la légalité de l’arrestation et de la détention". Par le transfert des paysans détenus au pénitencier national, leurs avocats n’ont pas même la possibilité de faire recours à l’habeas corpus, donc, le non-respect de la dignité des paysans détenus.

Refus de visite aux détenus par les autorités pénitenciaires : Les autorités pénitentiaires n’ ont aucun droit de refuser des visites aux détenus selon les règles minimales sur la détention. En le faisant, ces autorités prouvent qu’ils ne tiennent pas compte du professionalisme et de la dignité humaine.

3- Atteinte à la liberté de la presse et au droit à l’information (article 28, 28.1, 28.2 de la constitution)

Deux parmi les onze personnes arrêtées seraient des journalistes qui venaient couvrir les événements. Ils n’ont commis aucune infraction si ce n’est que leur seule présence sur les lieux pour tenir informer la population. Par leur arrestation, les autorités auraient manifesté leur volonté de museler la presse et de priver la population du droit à l’information au mépris des articles 28.1 de la Constitution "Le journaliste exerce librement sa profession dans le cadre de la loi. Cet exercice ne peut être soumis à aucune autorisation, ni censure sauf en cas de guerre" et 19 de la Déclaration Universelle des Droits Humains "Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ces opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’ expression que ce soit".

4- Droit au travail des paysans : Le droit au travail n’est pas le simple fait que les citoyens aient des emplois. Il recouvre aussi les conditions de travail. Les travailleurs ont droit à de bonnes conditions de travail. Le fait par les paysans de réclamer l’amélioration de leurs conditions de travail n’est pas une infraction. Au contraire, il est conforme aux alinéas 1 et 3 de l’article 23 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme :

1) Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, a des conditions équitables et satisfaisantes de travail et a la protection contre le chômage.

3) Quiconque travaille a droit à une rémunération équitable et satisfaisante lui assurant ainsi que sa famille une existence conforme à la dignité humaine et complétée, s’ il y a lieu, par tous autres moyens de protection sociale.

La réaction des autorités de l’Etat a la suite des événements est l’expression claire de la volonté du pouvoir de mater les revendications populaires au profit de l’ implantation des zones franches a n’importe quel prix en faisant fi de l’article 19 de la Constitution haïtienne "L’Etat a l’impérieuse obligation de garantir le droit à la vie, à la santé, au respect de la personne humaine, à tous les citoyens sans distinction".

La POHDH, face à cette situation confuse exige :

La libération immédiate et sans condition des personnes arrêtées illégalement et incarcérées arbitrairement.

La formation d’une commission d’enquête indépendante composée d’organismes de droits humains et d’autres associations de la société civile, chargée de faire la lumière sur la réalité à Guacimal.

Depuis après la proclamation de l’indépendance le 1er janvier 1804, la question agraire fait beaucoup de victimes au sein de la population. La Plate-forme constate que l’essence des évènements de Guacimal est un conflit terrien opposant des paysans et des partisans d’un grand propriétaire terrien. Ceci, est le résultat de l’irresponsabilité de l’Etat qui n’a jamais pris de mesures fermes à ce que la terre soit au service de leurs réels exploitants. Ainsi, elle interpèlle les autorités de l’Etat à prendre leurs responsabilités en vue de la mise en œuvre d’une véritable réforme agraire conformément à l’article 248 de la Constitution : " Il est crée un Organisme Spécial dénommé Institut National de la Réforme Agraire en vue d’ organiser la refonte des structures foncières et mettre en œuvre une réforme agraire au bénéfice des réels exploitants de la terre. Cet Institut élabore une politique agraire axée sur l’ optimisation de la productivité au moyen de la mise en place d’infrastructure visant la protection de l’ aménagement de la terre" pour éviter à l’avenir les pertes en vies humaines et les affrontements.

Port-au-Prince le 17 juin 2002

Pour la POHDH

SAINT PIERRE Elifaite
Secrétaire Général