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Haiti : Hara Kiri au sommet de l’Etat

Par Roody Édmé *

Spécial pour AlterPresse

Les paroles choquantes du Président Martely lors d’un meeting électoral à Miragoâne n’ont pas fini de soulever une réprobation générale dans le pays. Une attitude saine de la part de la société dans son ensemble qui se refuse à descendre fatalement dans les profondeurs du reniement de soi et dans la perte de toute humanité.

Une telle attaque des sommets du pouvoir contre une femme humble dans la foule, est d’une choquante disproportion. C’est se prendre pour Dieu que de faire abattre les foudres présidentielles, sur une citoyenne qui interpelle un chef de l’Etat sur ses promesses. C’est un droit démocratique exercé par cette dame dans la foule, un droit pour lequel le peuple haïtien n’a jamais cessé de se battre et tant de martyrs de la démocratie ont été sacrifiés sur l’autel de la patrie.

Ce n’est certes pas la première fois qu’un homme d’Etat s’énerve en face de l’interpellation d’une personne dans le public. « Le casse toi pauvre con » du Président Sarkozy à un homme qui l’interpelait rudement avait fait couler beaucoup d’encre dans l’hexagone. Manuel Valls, l’actuel premier ministre français avait admonesté un jeune travailleur qui refusait de lui serrer la main, en lui rappelant qu’il était tout de même un Premier Ministre. Et l’incident était clos.

Le « drame de Miragoâne » a malheureusement dépassé toutes les outrances, les propos du Président ont flagellé une femme dans son corps et une nation dans son âme. Dans ce cas, le mauvais exemple vient d’en haut. Mais pourquoi cela devrait-il encore arriver à ce pays déjà si mal coté sur le plan international ? La réponse n’est pas dans une quelconque fatalité. Elle participe de l’impunité généralisée qui enveloppe comme une charpe de plomb notre vie de peuple. Un « golden boy » parvenu au plus haut sommet de l’Etat se croit capable de se laisser aller à toutes les permissivités, parce que le « gros peuple » aimerait ses frasques.

En agissant ainsi, le Président rate sa cible et se tire une balle dans le pied. Il affiche inconsciemment un mépris pour son peuple, il noie dans des mares pestilentielles son cheval de bataille qui est « l’éducation pour tous ». Il fait sauter le vernis de démocrate qu’il avait un temps affiché en refusant d’intervenir ouvertement dans le processus électoral ou en acceptant de partager la gouvernance du pays.

A ce propos, la réaction de la Fusion de sortir du gouvernement, si elle participe, selon certains qui se sont exprimés sur les réseaux sociaux des grandes manœuvres de la période électorale, dénote un certain courage de la part de ce parti. Quant on connait surtout l’incapacité de certains à se débarrasser des attributs du pouvoir et de ses tristes fastes en dépit des conjonctures les plus sombres.

Il faut voir dans l’attitude de ce parti politique, en dehors des calculs électoraux, une réponse institutionnelle qui serait une des manifestations de la conscience nationale, tout comme le sont les différentes notes de protestation émanant d’organisations féministes et d’autres comme la Société d’Histoire et de Géographie.

Le départ des ministres du gouvernement est une décision grave pour le pays au moment des élections et de la crise dominicaine, mais elle est une réponse à la mesure de l’affront faite à la Nation.

Les réactions dans la société démontrent que nous avons gardé la capacité de nous indigner, mais il faut plus que cela, à l’heure des grands choix. Il s’agira de pousser la réflexion et surtout agir parce que somme toute, ce qui s’est passé à Miragoâne n’est que l’écho de quelque chose de terrible qui accable notre société, le mal dévastateur de l’impunité et son corolaire le fléchissement des valeurs.

Ce serait dangereux de rester figer, comme à la vue d’un crotale, sur les paroles du Président. Il faut se demander comment ces paroles ont été possibles à ce niveau de l’Etat ?

* Éducateur, éditorialiste