Par Jean Elie Paul
P-au-P, 28 juil. 2015 [AlterPresse] --- Les relations haïtiano-dominicaines sont complexes empreintes de violences et d’étonnantes stratégies de vivre-ensemble, selon ce qui ressort d’une conférence organisée par la Bibliothèque nationale d’Haïti (Bnh) autour du thème « Éclairage nécessaire sur la crise entre Haïti et la République Dominicaine », observe AlterPresse.
La conférence, organisée le vendredi 24 juillet, a eu pour intervenants Edwin Paraison, président de la Fondation Zile et Edwidge Danticat, écrivain. Le photographe Pierre Michel Jean et le journaliste Dumas Maçon ont présenté une série de photos de Dominicains dénationalisés.
Perception, manipulation et solidarité
« En République Dominicaine, certains groupes ne voient pas les flux migratoires haïtiens sous l’aspect socio-économique, mais essaient par la manipulation de les transformer en une invasion pacifique », explique Edwin Paraison.
Il y a une croissance de la présence haïtienne en République Dominicaine qui a créé certaines préoccupations pour ainsi dire « légitimes », selon lui, parlant d’un souci de voir la présence haïtienne être contrôlée par l’État dominicain, notamment dans la sphère politique.
Edwin Paraison explique ainsi « l’exclusion des Dominicains d’origine haïtienne » par la crainte que ces derniers, en devenant des acteurs politiques, ne concrétisent l’unification des deux républiques de l’île, unification perçue comme « une menace pour la souveraineté ».
Cependant, cette perception n’est que le fruit d’un amalgame entre la peur et des antécédents historiques, comme la campagne de Toussaint Louverture en 1801.
En dépit de la xénophobie et de l’anti-haitianisme dominants, les deux peuples demeurent liés.
Par exemple, « les mariages mixtes sont très fréquents » et il arrive qu’un Dominicain ait à la fois une compagne haïtienne et une compagne dominicaine, signale Paraison, rappelant aussi que lors du massacre de 1937, des Dominicains ont mis des Haïtiens à l’abri chez eux.
Le poids de la migration ou des crises en série
Durant les deux dernières années, les deux pays ont connu au moins trois crises, notamment avec l’arrêt 168-13 de la Cour Constitutionnelle dominicaine, dénationalisant les Dominicains d’ascendance haïtienne de 1927 jusqu’à 2007.
Une crise diplomatique a résulté de la pendaison de Henry Claude Jean, en février de l’année 2015. À présent, on fait face à une crise diplomatique suite aux résultats du Plan national de dénationalisation des étrangers (Pnre).
Edwin Paraison considère également « extrêmement graves » les dispositions légales adoptées pour dénationaliser des Dominicains, dont l’arrêt 168-13.
Pour corriger un peu les choses, Danilo Medina a adopté une loi qui reconnait la nationalité dominicaine aux personnes déjà enregistrées par l’État civil. Mais cette loi continue d’exclure ceux qui n’ont pas de documents.
Or, la grande majorité des Haïtiens, vivant en terre voisine, n’ont pas un statut migratoire régulier et n’ont pas de papiers, souligne l’ancien ambassadeur d’Haïti à Santo Domingo. « C’est une pratique courante, il y a même des Dominicains en Haïti sans papiers ».
Le Pnre a été mis en œuvre du 4 juin 2014 au 17 juin 2015. La République Dominicaine affirme avoir enregistré 288 mille 466 personnes.
Pour Edwin Paraison, 169 mille 766 personnes en sont exclues parce qu’elles vivent dans des conditions précaires et n’ont pas les moyens de s’inscrire.
Depuis le 17 juin 2015, des milliers de personnes ont déferlé côté haïtien, la plupart par crainte de représailles. Mais pour Edwin Paraison, Haïti n’a pas encore ressenti le poids de cette migration massive. Selon les chiffres qu’il a avancés, 43 mille personnes seraient, en fait, à cheval entre les deux pays.
Droits humains : l’enjeu fondamental
Pour sa part, Edwige Danticat a voulu montrer la terreur que les Haïtiens subissent en terre voisine, surtout dans les bateye, à travers une vidéo réalisée par un organisme américain.
La vidéo est le témoignage d’une Dominicaine, d’ascendance haïtienne, autour des violences subies en République Dominicaine.
Elle explique, à l’aide de la vidéo filmée avec un téléphone portable, comment des Dominicains ont battu, tué puis brulé les corps de 14 Haïtiens et Haïtiennes.
Certaines, parmi les victimes, ont été tirées hors de leurs maisons pour être exécutées sauvagement.
Malgré la terreur, dont sont victimes les Haïtiens en République Dominicaine, ils préfèrent rester là-bas, au lieu de retourner en Haiti, où ils n’ont pratiquement aucun lien de parenté.
Dumas Maçon ainsi que le journaliste-photographe Pierre Michel Jean ont présenté quelques clichés de Dominicains d’ascendance haïtienne, prises lors d’un reportage dans un batey.
Précisément, Maçon relate combien les gens, dans ce camp de travail, ont peur de sortir, peur d’être battus ou expulsés, et restent confinés à l’intérieur. [jep kft gp apr 28/07/2015 12:15]