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Haïti / Troubles : La NCHR invite au respect du Droit International humanitaire

La NCHR recommande d’une part aux groupes armés de "renoncer à la violence aveugle comme moyen de lutte politique" et d’autre part à la police et aux groupes armés de "respecter en tout temps et en tout lieu, un minimum de traitement humain".

Communiqué de la NCHR

Soumis à AlterPresse le 28 octobre 2004

La Coalition Nationale pour les Droits des Haïtiens (NCHR) note, depuis un (1) mois, une nette recrudescence des actes de violence dans l’aire métropolitaine.

Cette situation de troubles intérieurs est marquée, depuis le déclenchement public de l’opération Bagdad, par des actes de sauvagerie innombrables. Cette opération lancée publiquement à la fin du mois de septembre consiste à décapiter des policiers, détruire des biens publics et privés, incendier des véhicules, des magasins, semer la terreur au centre-ville en vue d’empêcher le fonctionnement normal des écoles, des marchés publics, de l’appareil judiciaire, etc.

Les groupes armés responsables de ces actes, se réclamant de lavalas, exigent le retour de l’ex-président Jean Bertrand Aristide et n’ont pas pris, au regard des principes applicables en période de conflit armé, le statut de combattants, car :

Ils ne se distinguent pas de la population civile par le port d’un uniforme ou un autre signe distinctif reconnaissable à distance. Ceci augmente les risques de dommages collatéraux au sein de la population civile dans les cas d’intervention policière ;

Ils ne portent pas leurs armes ouvertement au combat. Ce sont des tireurs embusqués qui sèment le deuil, la panique, la désolation au sein de la population civile prise comme principale cible dans le but évident de bloquer les activités et créer une situation de chaos ;

Ces groupes armés laissent, parfois, l’impression de répondre à un mot d’ordre comme à la date du 30 septembre où ils ont semé le désordre en divers points de la zone métropolitaine, en même temps et, avec le même slogan. Cela ne suffit pas pour considérer qu’ils sont organisés et placés sous un commandement responsable ;

Ils ne sont pas soumis à un régime de discipline interne assurant un minimum de respect du droit international applicable dans les conflits armés. Ils tirent invariablement sur les passants, les chauffeurs de taxi, les élèves, les parents, les petits marchands, pillent volent, incendient des véhicules et des immeubles, terrorisent la population civile par des actes ou menaces de violence.

Il résulte de cette situation de troubles intérieurs un bilan catastrophique de personnes tuées ou blessées et de destruction de biens publics et privés.

Les cas recensés par l’Hôpital de l’Université d’Etat d’Haïti (HUEH) sont frappants :

Du 1er au 30 septembre 2004, l’Hôpital de l’Université d’Etat d’Haïti (HUEH) a enregistré cent quatorze (114) blessés par balles et cent trois (103) cas de personnes tuées par balles ;

Du 1er au 26 octobre, l’HUEH a enregistré cent vingt sept blessés par balles et soixante trois morts. Les cas de blessés sont recensés en grande partie, dans les zones de Martissant, Grand Rue, Ave Poupelard, la Saline, Delmas 30 et 18 tandis que les morts proviennent principalement des zones telles : Bel- Air, Cité Soleil, Cité de Dieu, Martissant et Carrefour.

Pour la seule journée du 26 octobre, l’HUEH a enregistré dix sept (17) cadavres répartis comme suit :

-  Trois (3) en provenance du Bel-Air ;
-  Cinq (5) en provenance du Fort National ;
-  Cinq (5) en provenance d’endroits non identifiés
-  Un (1) en provenance de Martissant
-  Un (1) en provenance de Lamentin (Carrefour)

Cette situation de troubles est marquée aussi par une vague d’arrestations et d’interpellations. Une visite au niveau de cinq (5) commissariats de police de la zone métropolitaine a permis de relever cent soixante onze (171) détenus en situation de détention préventive prolongée :

Commissariat de Port-au-Prince | 27 | 13 octobre 2004

Service d’Investigation et Anti Gang | 50 | 7 octobre 2004

Commissariat du Canapé Vert | 33 | 12 octobre 2004

Cafétéria | 26 | 13 octobre 2004

Commissariat du Parlement | 35 | 13 octobre 2004

La NCHR, déplore le manque de ressources mises à la disposition des services d’investigation des commissariats de police, des Juges de Paix et des Commissaires du Gouvernement pour faire face à cette situation spéciale et respecter les droits des détenus à comparaître dans le délai de quarante huit (48) heures par devant leurs juges naturels.

La NCHR relève que plusieurs détenus ont été torturés au moment de leur arrestation. Citons à titre d’exemple, les cas de :

Joseph Thomas vu au Commissariat de Port-au-Prince avec des plaies ouvertes au visage ;

Le Révérend Père Gérard Jean Juste bousculé, piétiné par des policiers et contraint de rouler jusqu’à la porte de sortie de son presbytère au moment de son arrestation ;

La NCHR condamne les cas d’exécutions sommaires mises à la charge de la Police Nationale d’Haïti dans le quartier du Fort National dans l’après midi du 26 octobre 2004. Un commando encagoulé, habillé en noir, monté à bord d’un Pick-up non identifié, accompagné d’une ambulance non identifiée a intervenu au numéro 35 de la ruelle Estimé (Fort National) où se réunissait un groupe de treize (13) jeunes gens (10 garçons et 3 filles). L’opération s’est déroulée de 4 à 7 heures P.M. Les treize (13) jeunes dont certains sont originaires du Bel Air auraient été maîtrisés, torturés et exécutés sommairement. Deux (2) autres jeunes filles qui passaient dans la zone auraient subi le même sort.

La visite de la NCHR dans la zone n’a pas permis d’identifier toutes les victimes, mais les noms suivants ont été relevés à partir d’informations fournies par des parents des victimes et des résidents de la zone :

-  Réginald François ;
-  Fanfan Versius ;
-  Wilfrid Pierre ;
-  Ti Pouchon ainsi connu ;
-  Jean Jean ainsi connu ;
-  Bedji ainsi connu ;
-  Laura aini connu ;

La NCHR ne dispose pas, pour l’instant, d’informations susceptibles de confirmer que le commando responsable de cet acte inqualifiable serait une Unité de la Police Nationale d’Haïti. Il est souhaitable qu’une commission d’enquête indépendante fasse le jour sur ce qui s’est effectivement passé au Fort National afin que les auteurs de telles exactions soient identifiés, poursuivis, jugés et punis conformément à la loi.

La NCHR dénonce et condamne le fait que des groupes armés aient décidé de créer et de maintenir une situation de terreur dans le pays et de priver les citoyens de leurs droits.

La NCHR recommande :

Aux groupes armés de renoncer à la violence aveugle comme moyen de lutte politique ;

A la Police Nationale d’Haïti et aux groupes armés de respecter en tout temps et en tout lieu, un minimum de traitement humain, c’est-à -dire d’éviter :

les atteintes portées à la vie et à l’intégrité corporelle, notamment le meurtre sous toutes ses formes, les mutilations, les traitements cruels, tortures et supplices ;

les atteintes à la dignité des personnes, notamment les traitements humiliants et dégradants ;

les actes d’enlèvements ;

les exécutions sommaires ;

Au Ministre de la Justice de mettre la Police et l’appareil judiciaire en état de faire face efficacement à la grave situation actuelle par l’augmentation des ressources humaines et matérielles disponibles, le renforcement des conditions de sécurité des Magistrats dans l’exercice de leurs fonctions ;

La mise en place d’une commission d’enquête indépendante chargée de faire toute la lumière sur les graves incidents survenus au Fort National le mardi 26 octobre 2004 ;

Au Gouvernement de mettre tout en œuvre en vue d’assurer la sécurité effective de la population, de désarmer indistinctement tous les groupes armés afin que tous les secteurs de la vie nationale puissent vaquer, en toute quiétude, à leurs activités ;

A la Police Nationale d’Haïti d’arrêter et de livrer à la justice répressive les auteurs des crimes et délits perpétrés contre la population civile et des policiers tout au cours de cette période de trouble d’agir avec sérénité et professionnalisme en toute circonstance ;

Aux autorités gouvernementales, judiciaires et policières de ne prendre pour prétexte l’inacceptable situation actuelle pour commanditer ou opérer des arrestations illégales et suspendre en fait (dans la pratique) les garanties judiciaires auxquelles les détenus en particulier et les citoyens en général ont légitimement droit.

Port-au-Prince, le 28 octobre 2004