Par Valbrun Jean-Guillaume
Soumis à AlterPresse le 20 juillet 2015
Ce livre est publié aux Éditions de l’Université d’État d’Haïti par un témoin privilégié, le professeur Ricardo Seitenfus, de nationalité brésilienne, l’un des fonctionnaires du système onusien dans notre pays. Son ouvrage est une excellente projection qualitative sans concessions sur les dérives de l’ONU et des diplomates accrédités auprès du gouvernement haïtien. On sait tout déjà sur nos humiliations avérées par les États membres des Nations-Unies. Leurs représentants dans notre pays sont puissants. Ils sont les vrais dirigeants du pays en somme car ce sont eux, qui, dans les processus de décisions politiques, ont toujours eu le dernier mot ces trente dernières années. Évidemment le plus souvent, ils vont à l’encontre de nos intérêts quand ils ne sont pas carrément nocifs sur toute la ligne pour Haïti et son peuple. Cet ouvrage est une mine d’informations recensant les faits diplomatiques qui se sont déroulés en territoire haïtien depuis la présence des forces de l’ONU dans le pays. L’auteur a dressé un tableau peu reluisant des acteurs, en commençant par le président Préval, les partis politiques, mais aussi l’omniprésence des pays dits « Amis d’Haïti ».
Pour une fois l’argument massue qui parcours tout le livre n’est pas l’apanage des cénacles dits de gauche que la bonne conscience haïtienne est toujours prête à rendre responsable de tout ce qui ne va pas dans le pays. Cette fois, c’est bel et bien un de ces messieurs de l’international en Haïti qui assène cette vérité selon laquelle la Mission des Nations-unies pour la stabilisation d’Haiti (Minustah) et les diplomates étrangers dépassent les bornes au pays de Jean Jacques Dessalines.
Mais il y a pire selon l’auteur. Ces messieurs qui ont pignon sur rue en Haïti se comportent en terrain conquis. Il leur arrive parfois d’être irrévérencieux à l’égard des autorités constituées. En fait, ils prospèrent de cette manière parce qu’ils tombent souvent aussi sur les lâchetés de nos dirigeants. Ricardo Seitenfus rapporte d’une manière jubilatoire les faits bruts. On se demande si ce qui est écrit ici est vrai tant ceci relève du surréalisme, car jamais un corps diplomatique présent dans un pays n’a eu autant de pouvoirs y compris ceux de renverser des présidents. Ceci est d’autant plus intéressant que M. Seitenfus ne fait que reprendre ce que beaucoup d’entre nous disent déjà depuis belle lurette.
Que dire de son livre que l’on ne savait déjà sur notre malheureux pays ? Car les observateurs savent que les arguments développés ici relèvent de faits avérés. Cet ouvrage est par endroit un verbatim, où l’auteur cite avec précision les dires de ces diplomates, ces experts internationaux. Ah Dieu, que d’experts en Haïti ! Seitenfus dénonce leurs attitudes irrespectueuses à l’égard des dirigeants de la première République noire. Cette tendance, affirme l’auteur, qui a vécu les soubresauts de l’histoire récente comme envoyé spécial des Nations unies, puis de son pays le Brésil, s’accentue. Dans ce livre, il dit les réalités comme elles sont. Les diplomates étrangers accrédités auprès du gouvernement haïtien n’ont aucun respect pour ce dernier et administrent la preuve quotidiennement de leur irrespect des protocoles diplomatiques. Certains d’entre eux n’hésitent pas à monter sur les ondes pour commenter, critiquer, palabrer, discutailler, participer, disputer, distiller, multiplier des remarques sur la politique du gouvernement. Parfois, à la clef, des menaces de la diplomatie canonnière si les autorités haïtiennes n’appliquent pas leurs funestes projets. Ainsi cette scène combien surréaliste au pays de Jean Jacques Dessalines : « Avant une réunion du palais national pour traiter du problème prétendument insoluble de la composition du Conseil électoral provisoire (CEP) une rencontre préalable a eu lieu en présence de représentants de l’Union européenne, des États-Unis, Cherry Mills, de l’ONU Edmond Mulet, de la France le BRET, de L’OEA moi-même. Sur la suggestion de l’ambassadeur Canadien Gilles Rivard, il fut décidé d’acculer Préval. Celui-ci s’est présenté seul comme presque toujours sans assesseurs ni ministres ou conseillers, et s’est prêté de bon gré à la manœuvre. Après un échange de piques subtiles et légères, Rivard est passé à l’attaque avec la délicatesse et le tact typiques des bucherons du Grand Nord canadien ; il a accusé de tous les maux les membres du CEP : incompétence malversation imprévoyance mauvaise foi, amateurisme, irresponsabilité. Rivard semblait réunir sous la bannière du CEP l’ensemble des difficultés qui affligeaient la société haïtienne ; néanmoins, il était clair que ces estocades ne concernaient qu’une seule personne ; Préval et, par des voies indirectes, l’autorité de Préval. Celui-ci écoutait en silence. Comme le reste des présents était silencieux, Rivard s’est senti autorisé à durcir le ton et l’enthousiasme de sa critique. Persuadé de représenter le point de vue de tous, il était convaincu que le manque de réaction de Préval signifiait l’annonce imminente d’une capitulation. Et après quatre années de lutte féroce, la composition du CEP et ses attributions seraient finalement modifiées ; en somme, une première victoire politique de la communauté internationale dans son combat contre Préval. »
Bill Clinton, sa femme et les affaires haïtiennes
Signe des temps des relations diplomatiques pratiquées dans une République bananière. Les diplomates accrédités à Port-au-Prince ont deux passe-temps favoris. Ils rencontrent quand ils veulent le chef de l’État pour lui passer des savons où ils arpentent les radios de la capitale pour des déclarations fracassantes. Cet ouvrage raconte des faits de politique étrangère survenus en Haïti après le séisme de janvier 2010. L’auteur dresse les portraits de ceux qui comptent pour notre grand malheur. Ce ne sont pas nos intérêts qu’ils prenent en compte bien au contraire ce sont les leurs qu’ils défendent sans la moindre gêne, en faisant fi des règles diplomatiques en vigueur. Toutes ces pratiques sont évidemment contraires à la convention de Vienne de 1961 sur les relations diplomatiques. Ces diplomates sont convaincus qu’ils ont le droit de tout faire, de tout dire jouissant de fait d’une totale impunité. Ils n’ont jamais été convoqués, encore moins faits l’objet d’expulsion du territoire haïtien pour ne pas avoir respecté les conventions en vigueur. Cette attitude est l’objet de dénonciations à tout bout de champ. À chaque chapitre son lot de révélations.
L’auteur nous entraîne dans les méandres des arrogances des ambassadeurs, des puissances dites « amis » d’Haïti. Celui des États-Unis, après le séisme, n’avait qu’une seule et unique obsession : empêcher son homologue cubain de participer aux réunions qu’organisaient les autorités haïtiennes. Faire pression sur Préval pour que celui-ci n’accorde pas à la visite d’Hugo Chavez en Haïti une couverture digne de la popularité de l’ancien président Vénézuélien : « Le gouvernement haïtien et les représentants diplomatiques latino-américains étaient d’accord avec la proposition. Évidemment, le Canada et les États-Unis y étaient opposés. Le représentant des États-Unis a laissé entendre qu’il pourrait éventuellement accepter la présence de la République dominicaine, mais en aucun cas de Cuba. Le représentant du Canada avait une attitude encore plus radicale et dépourvue de toute considération : il refusait la présence des deux États ». Ces rivalités mesquines sur fond de guerre froide prouvent si besoin est, que traiter Haïti encore sous l’angle de celle-ci est une totale imbécilité pour ne pas dire une violation de la souveraineté haïtienne. Tel est l’un des messages fort du livre où l’auteur distille à chaque chapitre des confidences sur telle ou telle personnalité internationale en vue dans le pays. À ce rythme-là, le portrait de Bill Clinton est en soi une révélation de premières mains et le livre fourmille d’anecdotes plus qu’amusantes sur les petits arrangements financiers et autres de l’ancien couple présidentiel américain.
Décidément ce pays n’a pas de chance, tous ceux qui s’intéressent à lui en deviennent ses pires ennemis contribuant inlassablement à ses multiples malheurs. Ainsi le couple Clinton a suivi un parcours pour le moins trouble à plus d’un titre et l’auteur ne cache pas son agacement quant aux lauriers que certaines bonnes âmes haïtiennes déversent sur la tête des Clinton sans s’apercevoir qu’ils travaillent en fait contre les intérêts de leurs pays, réglant au passage leurs propres affaires sur le dos d’Haïti : « Dans ses Mémoires publiés en 2004, Clinton commet une gaffe qui relève une demi-vérité. D’après lui David Edwards a dit qu’il avait suffisamment de points de fidélisation accumulés pour payer nos billets. Et il a voulu nous donner le voyage comme cadeau de mariage. Une semaine après notre retour du Mexique, nous étions repartis. Or à l’époque le système de miles aériens n’existait pas. Pourquoi le mentionner ? La gêne de Clinton à relever que son dévouement pour Haïti n’est pas dépourvu de calculs intéressés l’oblige à recourir à une certaine hypocrisie et à des demi-vérités qui vont imprégner pendant des décennies ses rapports avec l’île des Caraïbes ».
Nations unies, un échec haïtien
M. Seitenfus ne fait que reprendre ce que beaucoup d’autres ont déjà dit déjà depuis belle lurette mais il les a tellement agrémentés d’analyses universitaires que ses prismes en deviennent intéressants à plus d’un titre. Ses minutieuses analyses juridiques correspondent aux maintes critiques formulées déjà contre les différentes missions onusiennes qui pullulent dans le pays depuis 1990. Leur présence est avant tout et d’abord une affaire de gros sous qui va alimenter les salaires des hauts fonctionnaires pour un résultat plus que médiocre ou qui n’existe pas. La présence des différentes missions des Nations unies obéissent-elles aux règles du droit international et à l’usage en cours en relations internationales ? Ne portent-elles pas atteintes à la souveraineté de la République d’Haïti ? Autant de questions que l’auteur n’hésite pas à analyser tantôt en praticien du droit international et des relations internationales mais surtout comme témoin des manquements de ce que l’on appelle en Haïti la suprématie de l’international en terrain conquis : « Dans le cas d’Haïti, le non-respect du rite constitutionnel et des principes juridiques qui régissent le droit des traités montre une fois de plus la légèreté avec laquelle les Nations unies considèrent les affaires haïtiennes. Chargée de construire un État de droit dans le pays, l’ONU ne respecte même pas des dispositifs élémentaires. En conséquence, le texte qui était supposé légaliser son action en Haïti se trouve nul et sans effet. Quant au projet de la Minustah c’est de la catastrophe, chacun le sait, c’est un gouffre financier énorme. « L’incapacité technique et humaine et matérielle qui caractérise la police nationale haïtienne et l’embargo sur les armes auquel est soumis Haïti expliquent les défaillances en termes de lutte contre le crime organisé ». Quant à la Minustah, elle n’est pas non plus à la hauteur du défi à cause de son profil majoritairement militaire. La police des Nations unies a présenté de faibles résultats malgré l’engagement de plus de 2600 professionnels. Son incapacité est perceptible dans la formation de la nouvelle police nationale haïtienne : après neuf ans d’entraînement, elle continue d’assurer une sécurité en deçà de ce qui est indispensable pour Haïti ». Sommes-nous face à un dixième ouvrage sur l’arrogance des pays dits « amis » au pays de Jean Jacques Dessalines ou encore un énième constat du condominium international en ordre de marche à Haïti. Il y a tout cela évidemment, mais cet ouvrage dépasse ce constat pour atteindre les règles et canons universitaires requises pour écrire un ouvrage pédagogique. Aucune invention, les faits rien que les faits. En effet chaque coup de projecteur sur les processus des décisions onusiennes depuis qu’elles sont impliquées dans les crises, et même lorsqu’il n’y ait plus de crises, sont passées au scalpel juridique. Et la question tant attendue tombe comme un couperet. Et si les agissements de L’ONU étaient entachés d’irrégularités ? Et si sa présence sur le sol haïtien était une forfaiture caractérisée, violant la charte fondamentale de 1987. On savait par déduction logique que certains comportements onusiens étaient en parfaite contradiction avec une certaine décence internationale en territoire haïtien M. Edmond Mulet, pour ne citer que lui, s’était comporté comme la fine fleur de toutes les bêtises onusiennes dans notre pays et se croyait, à la fin, un chef d’État en territoire conquis. Lisez M. Seitenfus et vous conclurez comme moi que l’international et ses différents tentacules sont néfastes à tout point de vue. Mais au regard de l’histoire, on le sait bien qu’aucune organisation internationale n’a jamais œuvré pour le développement d’un pays, sinon cela se saurait.