Español English French Kwéyol

Politique / Environnement : La vraie portée du coumbitisme

Une réponse à l’article de Jean Anil Louis-Juste « Désastre des Gonaïves et le Konbitisme d’Odette Roy Fombrun [1] »

Par Marc A. Archer [2]

Soumis à AlterPresse le 23 octobre 2004

Généralement j’évite à tout prix de polémiquer. Encore moins, utiliser un moment aussi délicat pour le faire. Cependant, vu l’intérêt social, politique et économique du sujet, j’ose intervenir en réponse à un article, celui de M. Jean Anil Louis-Juste, sur le « Désastre des Gonaïves et le Konbitisme d’Odette Roy Fombrun ».

Encore une fois, nous regardons l’arbre et évitons de contempler la forêt. Je vais essayer de montrer, dans ce petit article, la vraie portée du « Coumbitisme - Konbitisme », indépendamment de l’interprétation que peut en faire Mme. Roy -Fombrun.

Cela me fend le cœur, de voir qu’un concept, aussi lié à notre histoire que le Coumbitisme, soit aussi mal compris, aussi peu valorisé, si peu utilisé. Une Coumbite est une réunion de pairs, d’un groupe d’individus partageant une même structure d’intérêts et qui, dans une optique de gratuité, mettent à disposition de l’un des membres du groupe leur force de travail, leurs moyens de production, pour un temps limité.

Dans ce sens, Coumbite est non seulement gratuité mais aussi, « Esprit de travail en équipe » et aussi « Fraternité », « Solidarité Individuelle et Collective », « Partage » , « Echange ».

Coumbitisme, c’est savoir se serrer les coudes et avancer dans le même sens sans laisser traîner derrière soi à ceux qui n’ont pas les moyens d’accéder à un « Aller-mieux ». C’est donc la concrétisation de l’esprit communautaire d’une société. Coumbitisme est Communion d’intérêts.

Une Coumbite n’est pas une « CORVEE », dans le sens d’un travail gratuit qui est dû par le paysan à son seigneur. Obligation n’est faite à personne de participer à une coumbite. L’esprit du Konbitisme se retrouve dans plusieurs communautés dans lesquelles l’entraide est le seul moyen de survivance. Il me vient à l’esprit, la Communauté des Amish de la Pennsylvanie, qui se réunit, un week-end, pour construire la maison de l’un des leurs, d’un jeune qui passe à un stade social différent, d’un nouveau venu, etc.

La Coumbite ne veut pas dire absence de planification sinon tout à fait le contraire, c’est l’exemple même de l’efficacité car on se rassemble en un lieu, avec une tâche bien définie, et dans l’esprit de l’accomplir en un temps fini ( 8 heures - 12 heures- 24 heures ou, au maximum 48 heures) car , outre le travail de coumbite, chacun a le sien propre, rémunéré, duquel il tire sa propre subsistance.

Je dois cependant dire que je partage certains points de vue de M. Louis-Juste car, une coumbite, comme j’ai précisé avant, se réalise entre pairs, et, par conséquent, est dénoué de l’esprit d’abus de pouvoir ou d’exploitation du plus faible. Par conséquent, un Grandon, demandant aux paysans de travailler ses terres en échange de nourriture pour une journée de travail ne fait que les exploiter. Il s’agit de féodalisme. Le seul moyen de combattre cet état de choses est , soit la mise en place par l’Etat de structures de protection afin de protéger les plus vulnérables, soit la maturité citoyenne de notre société. Ce n’est donc pas l’esprit de coumbite qui doit être mis en cause.

Dans le même ordre d’idées, puisque la coumbite se réalise entre pairs et historiquement parlant, elle a toujours été associée à la paysannerie, aux gens « d’en-dehors », la conclusion logique semble être qu’il ne peut avoir coumbite pour les « privilégiés », pour les « moun de bien ». Grave erreur.

Le professeur Louis-Juste, comme tant d’autres, accuse la Communauté Internationale de tirer profit de l’environnement d’Haïti. Ne s’agit-il pas de préférence de la trahison de nos dirigeants politiques d’alors ou de toujours qui ont préféré tirer un profit économique d’une situation, au détriment de leurs concitoyens auxquels ils portaient un immense préjudice ? Des impacts négatifs sur l’environnement se produisent un peu partout. Un peu moins actuellement. Au Guatemala, de grandes superficies de forêts ont été dévastées, déboisées pour lutter contre la guérilla. En Europe, des milliers d’hectares brûlent chaque année, parfois de façon cynique par des spéculateurs de l’industrie du papier, d’autres fois à cause de la spéculation immobilière ou parfois ce sont les pyromanes qui passent à l’attaque et enfin, des fois ce sont des accidents purs et simples où la nature prend sa revanche. Dans ces cas, les gouvernements de ces pays, ont suffisamment de ressources, l’opinion publique est suffisamment avertie et sensibilisée, pour forcer aux autorités compétentes d’agir promptement afin de réhabiliter ces espaces. La coumbite, pour eux, ce serait de la sensibilisation afin de développer l’esprit citoyen, et parallèlement, la mise en place d’un cadre légal de plus en plus contraignant.

La réhabilitation d’un environnement dégradé est chère. Le coût de réhabilitation d’un hectare de terrain dégradé, peut, suivant le cas, valoir entre 8.000 et 20.000$USD. Dans le cas d’une réhabilitation par reboisement diversifié, le coût peut être d’environ 8.000$ USD. C’est le cas d’une grande partie des terres dégradées en Haïti. D’où pourrait Haïti prélever une somme équivalente à 8.000$ par hectare afin de réhabiliter au moins 1.200.000 d’hectares à récupérer (Ce qui supposerait 9.600 $USD par habitant. Essayez de comparer avec notre revenu per capita).

Nous oublions souvent que l’environnement est un ensemble de conditions naturelles (physiques- chimiques , biologiques) et culturelles (sociologiques) dans lesquelles les organismes vivants (en particulier l’être humain) se développent. Dans ce cadre, on voit bien que la dégradation de l’environnement n’est pas seulement que le déboisement. On oublie trop souvent les problèmes de gestion de déchets et toute la séquelle de conséquences (Déchets sanitaires, Matières plastiques résiduelles, Déchets toxiques, Déchets agricoles, Déchets de la construction, Déchets Chimiques, Déchets radioactifs, etc.). On oublie aussi que tout ouvrage, toute activité productrice, extractrice réalisés par l’homme produisent des impacts sur l’environnement. Protéger l’environnement de toutes les agressions possibles et l’exploiter de façon adéquate, en minimisant les impacts négatifs, oblige à trouver l’équilibre entre les quatre paramètres majeurs de fonctionnement : l’àŠtre Humain et ses activités productives, L’Etat en tant que Mécanisme Régulateur, L’Opinion Publique en tant que facteur de Contrôle et l’Environnement en tant qu’objet d’exploitation.

Nous savons tous ce que l’exploitation abusive de l’environnement peut causer, nous n’en sommes qu’a la pointe de l’iceberg. Ne croyez-vous pas que l’esprit de Konbite peut aider à améliorer la situation environnementale ?

A mon humble avis, il est nécessaire, plus que jamais, de revendiquer cet esprit de coumbitisme pour récupérer nos valeurs, et, dans le cas de l’environnement, aboutir à une dimension citoyenne de valorisation de notre environnement et déboucher sur une dynamique régulatrice des relations Individus-Environnement-Etat-Société. C’est la seule voie de salut, celle qui nous conduira vers l’ECO-CITOYENNETE, matérialisation de l’esprit de « Coumbite pour l’environnement ».


[2Physicien Industriel, Eco-concepteur, Ex- Professeur à l’Université Autonome de Barcelona