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Haïti-RD : « Retour volontaire » des immigrants haïtiens de la Rép. Dom., imposture et irresponsabilité des deux États

Par Smith Augustin*

Soumis à AlterPresse le 24 juin 2015

Peu de voix ont dénoncé, dans la presse haïtienne et dominicaine, l’imposture de la question des retours, dits volontaires, des immigrants haïtiens de provenance de la République Dominicaine.

Seuls les témoignages des concernés démontrent clairement le caractère forcé de ces retours, les dégâts que cela provoque déjà dans leur vie et les malheurs qui en résulteront, tels que l’abandon involontaire d’une partie de leur patrimoine, la confrontation en Haïti de l’inconnu et de l’incertitude, la séparation familiale, etc.

En réalité, la tendance à mettre en exergue le caractère volontaire de ces retours est clairement trompeuse. Elle cache, en fait, une double imposture haïtienne et dominicaine qui se définit à plusieurs niveaux.

La ruse dominicaine dans cette affaire

La principale astuce dominicaine dans cette affaire est de faire croire que les ressortissants haïtiens, qui fuient « volontairement » la République Dominicaine, sont des personnes qui y vivaient en situation irrégulière et qui n’ont pas été inscrits au Plan national de régularisation des étrangers (Pnre).

Rien n’est plus faux. Car, ces fugitifs proviennent de toutes les catégories confondues.

En général, ce sont surtout ceux - qui ont peur et qui n’ont aucune confiance dans les promesses dominicaines de respecter les droits des personnes - qui seront éventuellement rapatriées en Haïti. De plus, une vague de menaces pèse sur leur vie et leurs biens, et les dirigeants dominicains n’ont rien fait pour les mettre en confiance.

Parmi ceux qui sont revenus, quelques-uns ont même témoigné qu’il n’était plus possible pour eux de rester, car leur loyer n’était pas renouvelé et même leur crédit dans les épiceries avait été suspendu.

L’autre astuce dominicaine est de provoquer ces retours dits volontaires, en vue d’occulter la réalité des déportations massives et collectives.

En concentrant l’attention sur ces retours dits volontaires – plus de 7,000 en une journée, selon un communiqué du Ministre de l’intérieur et des collectivités territoriales, M. Ariel Henry – les dirigeants dominicains continuent, pourtant, de rapatrier quotidiennement les Haïtiens par centaines dans les zones de passage officielles et non officielles.

Ces cas ont déjà été rapportés par les organisations de droits humains, telles que le Groupe d’appui aux rapatriés et réfugiés (Garr), le Service jésuite aux migrants (Sjm) et le Réseau frontalier Jeannot Succès (Rfjs), qui assurent, en permanence, une vigilance sur la frontière.

De fait, en marge de l’article 38 du Décret 327-13 du Pnre, qui interdit les rapatriements au cours de la mise en œuvre du Plan, les déportations n’avaient jamais cessé.

Le Garr a, d’ailleurs, observé, dans une note rendue publique par AlterPresse, que « 2,420 personnes ont été rapatriées à la frontière de Belladère/Elias Piña, de janvier à mai 2015 ».

La République Dominicaine doit assumer que les rapatriements sont en train d’avoir lieu et que, derrière l’apparence volontaire du retour massif en Haïti des immigrants haïtiens, se cache une vraie « chasse aux sorcières », volontairement incontrôlée par l’État dominicain.

L’irresponsabilité renouvelée de l’État haïtien

Conforme à ses habitudes, l’État haïtien s’est, une fois de plus, comporté en amateur irresponsable dans le dossier des rapatriés haïtiens de la République Dominicaine. En plus d’être hâtifs, démagogiques et insignifiants, ses préparatifs pour l’accueil des rapatriés se limitent à une perspective d’intervention post factum.

En conséquence, les immigrants haïtiens doivent, une fois de plus, affronter, tout seuls, les menaces qui pèsent sur leur vie et leurs biens dans ce pays voisin qui leur devient de plus en plus hostile.

Face à une diplomatie haïtienne, en République Dominicaine, quasiment nulle, il a fallu encore que l’État dominicain établisse, en faveur de ces migrants délaissés, un « Programme d’assistance gratuite pour les retours volontaires des étrangers ».

À cet égard, faut-il rappeler que les missions diplomatiques sont des prolongements de l’État en territoire étranger.

Il est donc inacceptable que l’ambassade d’Haïti à Santo Domingo et ses différents consulats - à Dajabon, Higuey, Barahona et Santiago - soient aussi indifférents aux malheurs de ces citoyens qu’ils sont supposés défendre.

Les quelques déclarations de l’actuel ambassadeur Daniel Supplice, dans des medias dominicains, ne sauraient être la seule dimension de ce combat multifacétique et bien structuré que devrait mener l’État haïtien en réponse aux déportations actuelles.

De plus, il est déplorable que l’État haïtien n’apporte aucun soutien, en Haïti, à ces prétendus rapatriés volontaires sous prétexte qu’ils ne sont pas des rapatriés à proprement parler.

Prises dans le piège des Dominicains, les autorités haïtiennes semblent croire aussi que les rapatriements annoncés n’ont pas encore commencé. Sur cette base, ils justifient également le retard de leurs soi-disant préparatifs d’accueil des rapatriés.

Le peuple haïtien en paie les frais, victime de l’imposture de l’un et de l’irrémédiable insouciance de l’autre.

*Consultant, Doctorant en Sociologie
Secrétaire technique de N ap sove Ayiti (Napsa)