Par Marie-Thérèse Labossière Thomas*
Soumis à AlterPresse
L’auteure tient à souligner que les idées exprimées dans le texte ne visent en rien les programmes conçus et exécutés selon les exigences de la déontologie médicale.
Face à des situations prioritaires, le développement touristique de l’Ile-à-Vache s’est, jusqu’à récemment, poursuivi avec acharnement et à coups de millions, ce qui a suscité nombre de questions concernant la construction d’un aéroport sur l’île à quelques kilomètres seulement de celui des Cayes. Après que le Président de la République eut à déclarer vides les caisses de l’État, notre pays - pourtant choisi par acclamation - dut aussi renoncer à accueillir la 45ème Assemblée Générale de l’Organisation des États Américains, à cause de contraintes d’ordre économique et logistique évoquées par lettre datée du 2 février 2015 du ministère des Affaires Étrangères et des Cultes au Secrétaire Général de L’OEA [1].
Dans ce contexte, les élections financées de l’extérieur et maintenant encore à court de ressources ne cessent de soulever de troublantes questions concernant notre souveraineté nationale, alors que le sous-emploi et l’insécurité alimentaire croissante poussent nombre de nos compatriotes à une migration désespérée et souvent tragique. Il est donc difficile de comprendre l’apparente indifférence d’un pouvoir qui a fait du secteur touristique, pourtant tertiaire, l’axe principal de l’économie nationale.
« Ainsi, durant ces quatre dernières années, le Gouvernement Haïtien a supporté et accompagné un ensemble de projets d’investissement dans le tourisme et services associés... » dit le ministère du Tourisme et des Industries Créatives sur le site de la Primature ; et toujours dans le même document, « A la faveur d’un ensemble de mesures adoptées au cours de ces dernières années, l’administration a insufflé au tourisme haïtien une nouvelle dynamique favorable à l’émergence d’une économie basée sur les services. ... Ces projets touristiques représentent un montant total d’investissement de 345 423 867 USD » [2].
Dans le cadre des services sus-cités, on se demande dans quelle mesure on ne nous aurait pas tout dit concernant l’important investissement que représente l’aéroport international de l’Ile-à-Vache.
Tourisme de santé, gérontologie et soins spécifiques
Le manque d’organes à transplanter a non seulement incité de nombreux pays à mettre en place des procédures et des systèmes pour accroître l’offre, mais a aussi entraîné une augmentation du commerce d’organes humains, notamment d’organes provenant de donneurs vivants sans lien de parenté avec les receveurs. Des preuves de ce commerce qui s’apparente à un trafic d’êtres humains sont apparues de plus en plus clairement au cours des dernières décennies. En outre, la facilité croissante des communications et des voyages internationaux a conduit de nombreux patients à se rendre à l’étranger dans des centres médicaux qui déclarent pouvoir pratiquer des transplantations et fournir des organes prélevés chez des donneurs pour un coût forfaitaire.
(Organisation Mondiale de la Santé, Principes directeurs de l’OMS sur la transplantation de cellules, de tissus et d’organe humains, Préambule, #2)
Le « Plan de développement touristique de l’Ile-à-Vache » prévoit un programme médical dirigé vers le tourisme de santé, ainsi qu’un « volet de gérontologie et de soins spécifiques à cette classe d’âge », de même qu’un complexe éducatif de santé afin de créer « une image de marque/notoriété, et d’avoir une clientèle étudiante permanente ». (Ile-à-Vache, Plan directeur de développement touristique, p. 42). En page 47 du même document : « ...certaines formations médicales et paramédicales pourraient être dispensées sur l’île en fonction des besoins et des possibilités », et en page 30, sous la rubrique « Touristes en quête de jouvence » il est aussi question d’une nouvelle catégorie de « médecins touristes » qui viendraient étudier de nouveaux traitements avant-gardistes en combinaison avec la médecine à base de plantes trouvées sur l’île. À noter que les références aux formations médicales et médecins touristes ont été omises de certains documents abrégés.
Par ailleurs, la Direction européenne de la qualité du médicament et soins de santé (DEQM) attribue l’augmentation des cas de défaillance rénale terminale « au vieillissement croissant de la population et à l’augmentation des maladies liées au mode de vie (comme l’obésité, le diabète, l’hypertension et les maladies cardiovasculaires) » [3]. La transplantation de rein serait aussi la plus répandue et, d’après l’anthropogue Nancy Scheper-Hughes, co-fondatrice du programme Organs Watch, « La circulation des reins suit des voies de transfert de capital biologique toutes tracées, qui mènent massivement du Sud au Nord, de l’Est à l’Ouest, des corps des pauvres vers ceux plus fortunés, des corps bruns ou noirs vers des corps blancs, des corps de femmes vers des corps d’hommes, ou des corps d’hommes à statut subalterne vers des corps d’hommes à statut social plus élevé. » (Lancet, 2003, cité par ARTE, 2011) [4]
Un article publié en juillet 2014 faisait aussi état de quatre greffes rénales réussies en Haiti en collaboration avec des spécialistes de l’Université de Miami. Il s’agissait alors de « donneurs vivants apparentés et non apparentés, et ce avec le même taux de succès. La compatiblité entre donneur et receveur reste seule incontournable », continuait le texte. Dans le domaine du tourisme, on y lisait que la République Dominicaine, Cuba, Trinidad et Tobago voudraient « s’insérer dans le circuit international de la greffe rénale qui non seulement améliore la santé de la population, mais aussi et surtout enclenche la dynamique du tourisme médical dans le mouvement des affaires ». Et d’après le même article, par sympathie pour le chirurgien-spécialiste en question (foie, pancréas, rein et intestin) « Haïti a été choisie pour que s’essaient les premiers envols caribéens de cette branche de pointe » (Greffe rénale : du nouveau à l’hôpital du Canapé-Vert, Le Nouvelliste, 11 juillet 2014). Il est donc à se demander pourquoi, dans un pays où les soins adéquats font si cruellement défaut, le secteur touristique vient ici en si bonne place [5].
Transplantation : une dimension internationale
Le voyage pour transplantation se définit par le déplacement d’organes, de donneurs, de receveurs ou de professionnels de la transplantation au delà de frontières juridictionnelles, dans un objectif de transplantation. Ce voyage pour transplantation devient du tourisme de transplantation s’il implique du trafic d’organes et/ou du commerce de transplantation, ou si les ressources utilisées pour la transplantation de patients venant de l’extérieur d’un pays (qu’il s’agisse d’organes, de professionnels ou de centres de transplantation) réduisent les capacités de ce pays à répondre aux besoins de transplantation de sa propre population.
(Déclaration d’Istanbul contre le trafic d’organes et le tourisme de transplantation – Définitions) [6]
Dans le cadre des transplantations rénales à vocation touristique effectuées à Port-au-Prince et citées plus haut, examinons à titre d’exemple certains rapports entre l’Université de Miami et Haïti. Au Centre Haïtien de Greffe lié à ces interventions, s’ajoutent le projet Medishare de l’Hôpital Bernard Mevs, de même que d’hôpitaux à Hinche (en partenariat avec l’Université Emory) et à Thomonde, ainsi que d’autres initiatives dans le Plateau Central. Des infirmières de l’université sus-citée ont aussi éffectué une enquête concernant la santé maternelle et infantile sur la côte sud d’Haïti, y compris l’Ile-à-Vache [7].
L’Hôpital Bernard Mevs (ou Hôpital de la communauté haïtienne) sus-cité, sis à Pétionville, est aussi régi par la Fondation haïtienne de santé et d’éducation (FHASE), une organisation à but non-lucratif, enregistrée par ailleurs en Floride, aux Etats-Unis, et qui semble actuellement éprouver de graves difficultés financières. Cet hôpital accueillerait aussi des étudiants participant à un programme d’apprentissage médical lié à la promotion du tourisme en Haiti et à l’Ile-à-Vache [8]. La nouvelle initiative du ministère du Tourisme de développement de gites touristiques et de soins sanitaires dans les lakou vodou se situe aussi dans la boucle Centre-Artibonite, à proximité des centres Medishare, ainsi que de l’hôpital Justinien du Cap qu’assiste l’Université de Miami [9].
L’École de gestion de cette dernière institution offre par ailleurs le « Latin American Health Care Compliance Certificate Program (Programme de certification de conformité en matière de soins de santé pour l’Amérique Latine) » qui comprend une forte majorité d’entreprises pharmaceutiques dans son conseil consultatif, et où les participants apprennent à naviguer à travers les règlements étatiques complexes de la région. Situation loin d’être unique, car, d’après d’après David B. Resnick, bioéthicien à NIH et président du comité d’examen institutionnel (IRB) du National Institute of Environmental Health Sciences :
...[l]es compagnies privées parrainent les recherches effectuées sur le campus et font des dons aux universités, tels les immeubles et l’équipement, ou financent des chaires. Les universités et les fondations universitaires détiennent des parts dans des entreprises privées qui appuient la recherche universitaire. Les universités fournissent des capitaux en vue d’aider les chercheurs à créer des entreprises. Les chercheurs (professeurs, scientifiques) ont des ententes de consultation et des postes de leadership dans des compagnies privées qui soutiennent la recherche et possèdent aussi des actions dans ces compagnies. Les universités, les sociétés et les chercheurs sont détenteurs de droits de propriété intellectuelle, tels des brevets, associés à la recherche [10]. (Traduit de l’anglais par l’auteure)
La formation des collègues, à la fois hautement appréciée et grassement rémunérée, serait aussi importante pour un effet multiplicateur. Un article intitulé « How An Ethically Challenged Researcher Found A Home at the University of Miami » (Comment un chercheur en panne d’éthique trouva refuge à l’Université de Miami), publié par le journal Forbes en 2011, illustre ainsi les liens entre les universités Emory et de Miami, à travers l’industrie pharmaceutique [11].
Les essais cliniques relatifs à des médicaments en cours de développement, et qui font partie intégrante du processus ci-dessus décrit, sont donc délocalisés dans les pays pauvres du Sud [12]. Par ailleurs, des actions en justice concernant certains prélèvements d’organes ont été engagées aux États-Unis contre l’Université de Miami, notamment par des familles haïtiennes expatriées, de même que par des professionnels médicaux de cette institution dans le cadre de pressions exercées en ce domaine [13].
Les liens privilégiés entre l’industrie pharmaceutique et les universités se reflètent dans le tourisme de transplantation, causé non seulement par la pénurie d’organes, mais aussi et surtout par les médicaments nouveaux qui permettent d’éviter les rejets de greffe. Activité profitable autant que prestigieuse, la transplantation d’organes est une source de compétition de même que de collaboration tant à l’intérieur des pays que sur la scène internationale. En plus des institutions médicales, on y trouve toute une panoplie d’acteurs : gouvernements, agences de voyage, de même que trafiquants de toutes sortes qui recrutent les plus vulnérables particulièrement en Inde, en Thaïlande et en d’autres pays en voie de développement. Les forfaits de voyage tout compris qu’offrent les agences spécialisées englobent la totalité des frais relatifs à la procédure et au voyage [14], ce qui permet aussi de distancier les centres médicaux.
C’est ainsi qu’en 2010, Netcare, le principal groupe de santé privé d’Afrique du Sud, son PDG et cinq chirurgiens furent inculpés pour avoir acheté des reins d’Israéliens, puis de Brésiliens et de Roumains à bien moindre coût, qu’ils transplantèrent sur de riches Israéliens sous couvert de déclarations frauduleuses de liens de parenté entre donneurs et récipients afin de satisfaire aux exigences légales. Certains de leurs complices furent aussi traduits en justice au Brésil et en Afrique du Sud. Le cas célèbre d’un trafiquant israélien de New York, en 2009, suscita aussi des questions relatives au laxisme de prestigieux hôpitaux américains concernant le trafic illégal d’organes [15].
Dans ce contexte, la Déclaration d’Istanbul contre le trafic d’organes et le tourisme de transplantation, de même que les Principes directeurs de l’OMS sur la transplantation de cellules, de tissus et d’organes humains, ainsi que la Déclaration d’Helsinki de l’Association Médicale Mondiale : Principes éthiques applicables à la recherche médicale impliquant des êtres humains et d’autres conventions et traités internationaux fournissent aux pays signataires un encadrement éthique autant que légal à leurs politiques de santé.
Chez nous en Haiti, le Comité National de Bioéthique du Ministère de la Santé Publique et de la Population (MSPP) « a essentiellement pour mission de donner des avis et rapports sur les questions dont il est saisi ; il ne s’insère en général pas directement dans le processus décisionnel. C’est une instance de régulation » (MSPP, Comité National de la Bioéthique, Règlements intérieurs, 2010). Vu la pénurie de ressources qu’accuse le ministère en question de même que les difficultés de fonctionnement au sein de l’appareil d’État, il est à se demander dans quelle mesure peut s’opérer le contrôle des essais cliniques ou autres activités médicales entreprises sur le territoire Haïtien par des organismes de santé, approuvés ou non, d’après les procédures relatives au protocole de recherche établi [16].
Comme eut à le dire, en 2002, la vice-présidente de l’Union des Médecins Haïtiens (UMHA) dans le cadre du Forum latino-américain des Comités d’éthique, « ...la situation générale du pays (géographique, politique, économique) lui confère, dans ses relations avec l’extérieur, un statut de dominé qui le situe en champ d’expérimentation des firmes pharmaceutiques, laboratoires et universités du Nord. Dans ces conditions l’émergence d’un comité d’éthique pouvant valablement jouer son rôle s’avère particulièrement difficile. »17 Triste à constater que ce n’est maintenant que plus vrai.
L’OEA, de même que le Département d’État américain, ont dénoncé chez nous la traite des personnes. La « Loi sur la Lutte Contre la Traite des Personnes », promulgée en Haïti le 28 mai 2014, prohibe cette dernière de même que le trafic d’organes [17].
Un petit fief et son comité de pilotage
A l’Ile-à-Vache, il y a de grands problèmes d’écoles, d’hôpitaux, d’eau et d’autres services de base, mais ce n’est pas l’amélioration des conditions de vie de la population qui intéresse le pouvoir. Ce qu’il cherche c’est de gagner de l’argent et faciliter le pillage de l’ile.
(Initiative du Mouvement patriotique démocratique et populaire - Mpdp, cité par AlterPresse, 19 février 2014)
Au commencement, il y eut le Conseil Consultatif du Tourisme (CCT), créé « afin de recueillir des avis sur les politiques, programmes et projets du Ministère ». On n’en entendit plus parler. Puis vint le Comité de pilotage de l’Ile-à-Vache et, dans une note datée du 20 mars 2014, le ministère du Tourisme mentionna une intervention de « M. René Hubert, Coordonnateur du Comité de Pilotage et concepteur du plan de développement touristique de l’île ». D’après le journal La Presse, le coordonnateur en question serait aussi un « urbaniste associé principal chez Lemay », firme canadienne chargée d’exécuter d’autres projets, y compris la rénovation de l’aire du Champs de Mars. Cette filière canadienne se retrouve encore dans la FHASE citée plus haut, et dont le trésorier serait le président de la compagnie Caribbean Canadian U.S.A., Inc., basée en Floride [18].
Le « Plan directeur de développement touristique » de l’Ile-à-Vache, tel qu’initialement présenté, ne mentionne aucune participation du ministère de la Santé Publique et de la Population (MSPP) au programme médical de tourisme de santé, au volet de gérontologie, au complexe éducatif de santé devant assurer les formations médicales et paramédicales prévues, ni à des rapports quelconques avec les « médecins touristes » en quête de nouvelles connaissances. La présence de ce ministère ne fut guère remarquée au cours des nombreuses visites officielles effectuées dans l’île et, sur le site de ce ministère, on ne voit pour toute référence à l’Ile-à-Vache que les informations relatives au dispensaire de Kay Kòk figurant sur la liste des établissements de santé en existence.
Le plan de développement prévoyait cependant la construction d’un hôpital, sans pour autant considérer le dispensaire de Kay Kòk. Aucune mention n’y fut non plus faite sur les cartes décrivant le projet dans sa phase initiale. Plus tard, lorsqu’il fallut négocier avec la population en se gargarisant de « tourisme durable », les rapports de presse prêtèrent à confusion. S’agirait-il d’avoir un centre de santé élargi, ou un centre de santé et un hôpital ? L’interprétation variait du jour au lendemain, et lorsqu’il y eut lieu de discuter des modalités de l’hôpital « communautaire entièrement équipé » avec les coopérants cubains, ce fut la Ministre Déléguée pour la Lutte contre la Pauvreté Extrême qui s’en chargea [19].
Intervient donc ici la question du tourisme de transplantation, source potentielle d’immenses profits pour un petit nombre et de souffrances encore plus grandes pour tant d’autres. Le gaspillage que constitue la construction d’un aéroport international si proche de celui des Cayes, au mépris d’éventuelles conséquences écologiques, répondrait-il à des besoins d’urgence et de discrétion concernant des activités à venir ? Vu les plans de développement touristique de la côte sud, un tel manque à gagner pour la ville des Cayes défie la logique.
Le 22 septembre 2014, date à laquelle le chef de l’État annonça la formation du comité de consensus dans le cadre des récents troubles politiques, la ministre du Tourisme publia en ligne un document intitulé « Le Plan de Développement de l’Ile-à-Vache est en marche ». Dans le cadre du projet « Destination Ile-à-Vache », mis en oeuvre par le Ministère du Tourisme », ce document annonce la formation d’un Comité de Pilotage, présidé par la ministre du Tourisme et comprenant, en plus des titulaires d’autres ministères chargés de fournir des services sur l’île, les responsables d’organismes étatiques devant coopérer au projet, de même que les élus locaux et les propriétaires des deux principaux hôtels de l’île. En dernier paragraphe, il y est aussi dit que le ministère de la Santé Publique « a entrepris les démarches pour que la population de l’Ile-à-Vache soit dotée d’un premier hôpital communautaire de référence dans le pôle socioéconomique de Madame Bernard » [20].
C’est ainsi que s’opéra, au sein de la « République Touristique d’Haïti » [21], un changement cosmétique rapide dans un petit fief nommé Ile-à-Vache.
Château de cartes
Au cours de cette époque qui suivit aussi la débâcle de la réunion ratée de l’OEA, un barrage d’informations concernant la promotion d’Haïti par l’agence internationale de voyages Expedia.com parut vouloir redorer le blason du ministère du Tourisme. La réalité est que, dans le contexte caribéen, Expedia signalait plutôt une augmentation générale du tourisme, particulièrement dans des pays autres qu’Haïti, y compris la République Dominicaine. L’agence enregistra aussi une légère hausse pour Haïti ainsi que pour les Iles Turques et Caicos dans le cadre du tourisme de luxe [22]. Le ministère du Tourisme décida donc d’établir un bureau en République Dominicaine malgré la persécution de nos compatriotes, désavouant de ce fait les prises de position adoptées en notre faveur par les pays de l’hémisphère.
Les résultats récents du classement mondial du tourisme montrent qu’Haïti, bien qu’ayant progressé de 8 places, vient actuellement au 133e rang sur 144 pays et bon dernier dans la région. De même, en termes d’indice de développement humain, nous sommes aussi au 168e rang sur 187 pays, et là encore les derniers de la région, accusant une régression de 10 places en l’espace de deux ans (7 places en 2014 et 3 en 2013). Coïncidence ? Une étude conduite par l’Institut Igarape démontre de plus que le profil des touristes visitant Haïti est loin de se conformer au modèle de luxe que recherchent nos dirigeants avec tant d’obstination [23].
D’après le Financial Times, l’investisseur Marc-Antoine Acra dont la compagnie développe des boutiques-hôtels dans la zone de Kay Kòk, compterait aussi construire des villas lacustres sur deux petites îles voisines de l’Ile-à-Vache. D’autres rapports de presse font cependant état de la mise en veilleuse des plans spéciaux initiés au cours de la précédente primature et du manque d’intérêt de potentiels investisseurs par crainte de complications relatives au droit de propriété. Les travaux liés au développement touristique semblent aussi être en suspens [24].
Et maintenant
Les efforts du Ministère du Tourisme, en vue d’un projet de santé centré sur les lakou vodou, se déploient activement vers le Nord du pays et le Plateau Central, zones par excellence des ONG médicales. Y aura-t-il interaction entre les diverses entités engagées sur le terrain et quel sera, en la matière, le rôle du ministère de la Santé Publique et de la Population ? Une flotte de taxis flambant neufs attend à l’aéroport du Cap-Haïtien l’arrivée des touristes.
À l’Ile-à-Vache la situation est, pour le moment, incertaine. Les changements irréversibles forcés sur l’île demandent au minimum la protection des populations vulnérables, le dédommagement des personnes déplacées ou spoliées de leurs moyens d’existence, l’administration par les institutions étatiques des projets d’infrastructure déjà constitués ou en voie de développement, et ce, au bénéfice de la population.
Bovarysme, vedettariat, amateurisme, cupidité, tous fondements du projet de développement touristique de l’Ile-à-Vache et de son cortège de maux, ont déclenché un mouvement local de résistance populaire. Et, à l’intérieur du pays comme ailleurs, une vague de solidarité qui pousse à réfléchir sur le rôle du tourisme international dans un monde inégalitaire.
*Éducatrice, écrivain
Contact : thesydescayes@yahoo.com
www.ahaitianeperience.com
www.labossieretomas.blogspot.com
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Notes et Références
[1] Mission Permanente d’Haïti près l’Organisation des États Américains, MPH-OEA : 045/15, http://scm.oas.org/pdfs/2015/CP34149FNOTE.pdf
[2] Ministère du Tourisme et des Industries Créatives, Primature République d’Haïti, http://primature.gouv.ht/?p=6462
[3] Direction européenne de la qualité du médicament et soins de santé (DEQM), Exposé des motifs de la Résolution sur le développement et l’optimisation des programmes de don de rein de donneur vivant, 2013, https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?id=2118685&Site=CM
[4] World Health Organization : Transplantation GKT1 Activity and Practices, 2015, http://www.who.int/transplantation/gkt/statistics/en/ ; Lutter contre le trafic, don et transplantation d’organes, Arte, 9 septembre 2011, http://www.arte.tv/fr/lutter-contre-le-trafic/4120112,CmC=4120166.html
[5] Labossière, C., Greffe rénale : Du nouveau à l’hôpital du Canapé-Vert, Le Nouvelliste, 11 juillet 2014 ; Belfort, C., Les maladies du rein, des tueurs silencieux, Le Nouvelliste, 12 mars 2015.
[6] Déclaration d’Istanbul contre le trafic d’organes et le tourisme de transplantation, http://www.declarationofistanbul.org/about-the-declaration/structure-and-content (French pdf)
[7] Project Medishare for Haiti, http://www.projectmedishare.org/ ; Maternal-Child Needs Health Assessment in Haïti, International Journal of Applied Science and Technology, http://www.ijastnet.com/journals/Vol_4_No_5_October_2014/4.pdf
[8] The Haitian Health and Education Foundation (Fondation Haïtienne de la Santé et de l’Éducation Fhase) Inc., http://www.corporationwiki.com/Florida/Doral/the-haitian-health-and-education-foundation-fondation-haitie-5178919.aspx ; Alphonse, R., SOS de l’HCH : Florence Duperval Guillaume veut comprendre pour bien aider, Le Nouvelliste, 15 avril 2015 ; First Haiti International Clinical Apprenticeship Program -Colline Foundation, Experience Haiti, June 7, 2013, https://haititourisminc.wordpress.com/category/uncategorized/page/8/
[9] Le Ministère du Tourisme et le Bureau National d’Ethnologie s’engagent dans des projets ethno-touristiques, http://haitinews2000.net/le-ministere-du-tourisme-et-le-bureau-national-dethnologie-sengagent-dans-des-projets-ethno-touristiques/
[10] LATAM Health Care Compliance Certificate Program - Program Advisory Board, http://www.bus.miami.edu/executive-education/open-enrollment/compliance-certificate/board/index.html ;
Resnik, D., Ethical Problems Concerning Academic-Industry Collaborations, Delft University of Technology - Working Conference ’Science and Integrity in the Modern University’, 2013, http://www.tudelft.nl/fileadmin/UD/MenC/Support/Internet/TU_Website/TU_Delft_portal/Over_TU_Delft/Strategie/Integriteit/Resnik_Ethical_Problems_Concerning_Academic-Industry_Collaborations.pdf
[11] Thacker, P., How An Ethically Challenged Researcher Found A Home at the University of Miami, Forbes, 13 septembre 2011, http://www.forbes.com/sites/paulthacker/2011/09/13/how-an-ethically-challenged-researcher-found-a-home-at-the-university-of-miami/
[12] UNESCO, Le principe du respect de la vulnérabilité humaine et de l’intégrité personnelle - Rapport du comité international de bioéthique de l’UNESCO (CIB), 2015, http://unesdoc.unesco.org/images/0023/002323/232368f.pdf
[13] School to Pay $300,000 for Harvesting Organs, Los Angeles Times, 1998, http://articles.latimes.com/1998/jul/25/news/mn-7083 ; Lawsuit - Mother taken off life support without permission, wvsn.com 7news, 7 août, 2013, http://www.wsvn.com/story/23070245/lawsuit-mother-taken-off-life-support-without-permission ; Chang, D., Doctor, nurse : UM administrator assaulted us, Miami Herald, January 24, 2015, http://www.miamiherald.com/news/local/community/miami-dade/article8081760.html
[14] Scheper-Hughes, N., Organ trafficking : a protected crime, The Conversation, 3 septembre 2013, https://theconversation.com/organ-trafficking-a-protected-crime-16178
[15] Nair, N., Netcare charged in organs for cash scam, Times Live, 9 septembre 2010, http://www.timeslive.co.za/local/2010/09/15/netcare-charged-in-organs-for-cash-scam ; Do U.S. Hospitals Push Organ Black Market ? CBS News AP, 30 juillet, 2009, http://www.cbsnews.com/news/do-us-hospitals-push-organ-black-market/
[16] Haïti Ministère Santé Publique et Population, Comité National de Bioéthique Réglements Intérieurs 2010, http://www.unesco.org.uy/shs/red_cnb/fileadmin/shs/Red_CNB/Haiti/Reglements_interieurs_du_Comite_vers_10.pdf ;
Joachim, D., Santé : Comment passer de $ 5, 70 l’an par habitant à une moyenne plus élevée ? Le Nouvelliste, 28 avril 2015 ; République d’Haïti, Ministère de la SantéPublique et de la Population, Comité National de Bioéthique, Procédures du Comité National de Bioéthique pour approbation de protocole de recherche. http://mspp.gouv.ht/site/downloads/CNB%20Procedures%20pour%20soumission%20de%20protocole%20de%20recherche%20pour%20avis%20Dec%202014.pdf
[17] Comeau, D., Difficultés à mettre en place un comité d’éthique en Haïti et perspectives, Union des médecins Haïtiens, 21 mars 2002, http://www.survivreausida.net/a3303-difficultes-a-mettre-en-place-un-comite-d-et.html ; Pour une régulation effective des Ong, AlterPresse, 4 décembre 2014, http://www.alterpresse.org/spip.php?article17402#.VVQB-PlVikq
[18] Ministère du Tourisme, Conseil Consultatif du Tourisme (CCT), http://tourisme.gouv.ht/en/2012-12-08-15-52-21/cct ;
Le Ministère du Tourisme fait le point sur l’état d’avancement du projet « Destination Ile a Vache », 10 mars 2014, http://www.communication.gouv.ht/archives/4355 ; Bergeron, M., Le Groupe Lemay pilote un important projet en Haïti, La Presse, 13 mars 2015, http://affaires.lapresse.ca/economie/international/201503/13/01-4851775-le-groupe-lemay-pilote-un-important-projet-en-haiti.php ; The Haitian Health and Education Foundation (Fondation Haïtienne De La Sante Et De L’Education—Fhase), Inc., http://www.corporationwiki.com/Florida/Doral/the-haitian-health-and-education-foundation-fondation-haitie-5178919.aspx
[19] La Ministre déléguée Rose Anne Auguste en mission à Ile-à-Vache, Haiti Libre, 5 février 2014, http://www.haitilibre.com/article-11061-haiti-social-la-ministre-deleguee-rose-anne-auguste-en-mission-a-ile-a-vache.html
[20] Villedrouin, S., Le Plan de Développement de l’Ile-à-Vache est en marche. Cliquez ici pour visualiser les étapes déjà parcourues, 22 septembre 2014, http://www.slideshare.net/stephanievilledrouin/le-plan-de-dveloppement-de-lilevache-est-en-marche-cliquez-ici-pour-visualiser-les-tapes-dj-parcourues?related=1
[21] Thomas, T., Haïti libérée ? Cessons de faire semblant , 15 février 2013, http://pikliz.com/haiti-liberee-cessons-de-faire-semblant/
[22] Karlin, M., Expedia Caribbean director Demetrius Canton shares insights on current trends, from intra-island travel to impact of mobile, Caribbean News and Trends from Expedia, 4 février 2015, http://www.travelagewest.com/Travel/Caribbean/Caribbean-Travel-News-and-Trends-From-Expedia/#.VVGu5_lViko
[23] Cadet, C., Tourisme : Haïti classée 133e sur 141 pays, Le Nouvelliste, 7 mai 2015 ; Haiti Développement : 168e rang sur 187 pays et un Idh encore parmi les plus faibles, AlterPresse, 24 juillet 2014 ; Cyprien, L. Gary, IDH : Haïti régresse à la 161e place, Le Nouvelliste, 13 mars 2013 ; Kolbe A, Brooke K, Muggah R, Is Tourism Haiti’s Magic Bullet ? Igarapé Institute, June 2013, http://issuu.com/gcdp/docs/ne_9_is-tourism-haiti___s-magic-bul
[24] Schipani, A., Haiti has ambitions to become a vacation destination, Financial Times, 17 avril 2015 ; Kushner, J., Paradise Is Overbooked, Foreign Policy, 15 avril 2015.