Par Castro Desroches *
Soumis à AlterPresse le 8 juin 2015
Je t’aurais suivi n’importe où. Peut-être même dans une guérilla suicidaire contre les troupes de choc de Baby Doc Duvalier. Tu avais ce degré d’influence sur les jeunes de la Cité. Aujourd’hui, tu es parti laissant derrière toi tant de rêves inassouvis.
C’était le temps longtemps. Le temps des émois et des années de jeunesse impétueuse. Le temps des Lilas. Nos têtes de jeunes turcs étaient pleines d’illusions, de lendemains qui chantent. Nous écoutions en chœur les poèmes de Phelps, « C’est un joli nom, Camarade » de Jean Ferrat et « Quand on a que l’amour pour parler aux canons » de Jacques Brel. Qu’avons-nous fait aux dieux tutélaires pour mériter aujourd’hui cette chanson…obscène et funèbre ? Il ne nous reste rien sinon que « Dey o, m ap chante dey o, Ayiti o » de Toto Bissainthe.
Tu fus en ce temps-là notre guide suprême. Tu avais choisi toi-même ton code de militant clandestin. Ton nom de guerre : Bèk Fè ! La pintade bleue n’avait aucune chance de salut dans notre gaguère en gestation.
Pourtant, il n’y eut point de combats épiques au Morne L’Hôpital. Ni sur les hauteurs de Jacmel. La guerre de Toi n’a pas eu lieu. Seulement de longues séances d’étude, à décoder à la loupe les mystères de l’Evangile selon St Karl. Ta modeste maison de Martissant était devenue notre temple du savoir. C’était le temps de Roumain, de Jacques Soleil, de Gorki et de Lénine.
Je te suivis pas à pas, lorsque tu pris la route de l’Ecole Normale. Tu avais tout pour « arriver » : l’éloquence, l’Encyclopédie, la passion pour la parole libératrice. Faut-il mentionner impudemment un sens de l’humour que j’ai peut-être hérité de toi…sur le tard ?
Tu étais tout pour nous. Toujours et partout, le plus brillant. L’acteur. Le poète. Le diseur. Le dialecticien. Et même le calligraphe superbe !
Autres temps, autres plans. Il fallait, disais-tu, créer les conditions « subjectives » avec les armes miraculeuses des idées rebelles. Il fallait aller aux jeunes pour assurer la relève.
Les années passèrent. Nous prîmes nos distances. J’avais grandi. Je m’étais affranchi de la tutelle des Chefs. Je suis parti, dépité. Pourtant, je n’ai point oublié tes préceptes.
Au commencement, il y avait Toi. Tu multiplias à ta façon le pain de l’instruction. Tu apportas une lumière radieuse sur mon siècle des ténèbres d’adolescent rêveur du grand Soir de la Révolution.
Dans mon cahier d’écolier, je garderai à jamais ton nom !
* Enseignant