P-au-P., 7 juin 2015 [AlterPresse] --- Plus de 20 ans après sa mort, l’actrice et chanteuse haïtienne Toto Bissainthe, décédée à Port-au-Prince à l’âge de 60 ans, continue d’interpeller la société haïtienne par son œuvre et des propos qui demeurent d’une grande actualité.
C’est la conclusion à laquelle on parvient à l’écoute d’une interview exclusive accordée au journaliste Gotson Pierre, il y a exactement 30 ans, et programmée pour être diffusée ce dimanche 7 juin à 21:00 (heure d’Hait) à l’émission Déclic (avec reprise le jeudi 11 juin à 22:00), sur la station privée Radio Kiskeya à Port-au-Prince.
« Je souhaite que toutes les terres deviennent fraternelles », confie l’emblématique voix haïtienne, viscéralement attachée à son pays, malgré de nombreuses années passées en exil. Pour elle, c’est de cette terre qu’on peut faire un apport à l’universel.
Elle est alors dans une démarche de production qui puise dans la chanson populaire haïtienne. « Si j’ai quelque chose à apporter, c’est à partir de ma propre culture », souligne-t-elle. La célèbre interprète de la chanson « Dèy » (deuil) ajoute qu’elle doit s’enrichir de cette culture pour pouvoir enrichir les autres.
En décembre 1985, Toto Bissainthe revenait célébrer 24 ans de chanson en Haïti. C’est « un pays totalement bâillonné depuis 5 ans », rappelle Gotson Pierre, à l’époque très jeune journaliste de la génération d’après 1980.
En 1980, la dictature de Jean-Claude Duvalier a fermé tous les médias critiques, arrêté et exilé les journalistes qui tentaient de profiter d’un semblant d’ouverture démocratique.
Toto Bissainthe se produit au Rex Théâtre moins de 2 mois avant la chute de Duvalier, le 7 février 1986. Ovationné par un public totalement acquis, elle distille son message de liberté, d’amour, d’espoir, de vie, de justice et de révolte. « De toute façon, dans amour, il y a tout ca ! », renchérit-elle dans l’interview diffusée pour la première fois sur la station privée Radio Port-au-Prince (qui n’existe plus).
Elle explique le rapport bouleversant qu’elle entretient avec le public haïtien, qui provoque à la fois la joie et la peur. Comme un rendez-vous amoureux, souligne-t-elle. « Ici, le trac n’est rien face à ce que l’on ressent », insiste-t-elle.
Partie très jeune d’Haïti pour des études, elle mène plus tard, à partir de 1956, une carrière internationale, qui la conduit notamment en France, au Canada, à New-York, à Miami et en Martinique.
Rentrée définitivement en Haïti après la chute de la dictature, au bout de ce qu’elle appelle un « lent retour », elle poursuit son travail de création avec le support de son mari, le journaliste et parolier américain Michael Norton, la collaboration de musiciens et écrivains haïtiens comme Syto Cavé et Lyonel Trouillot.
Cependant, quelques années avant sa mort en 1994, elle écrit de ses mains la chanson intitulée « Ayiti, mwen pa renmen w ankò » (Haïti, je ne t’aime plus), où elle exprime son dégout de la situation créée durant la période dominée par l’autoritarisme militaire. Elle dénonce le chaos, la laideur, la bêtise, l’irresponsabilité et la lâcheté.
Mais au dernier couplet, elle salue « l’arc-en-ciel bleu et rouge » (couleurs nationales), « Haïti, l’espérance, Haïti, délivrance ». Elle chante « l’esprit dans la rue », « Haïti en colère » et s’exclame : « Haïti, quand tu te mets debout, mon petit pays, je t’aime ! ».
Les différents lieux fréquentés par Toto Bissainthe durant son exil constituent le parcours d’une exposition itinérante « An’n Alé, en avant Haïti ! », initiée l’année dernière à Miami pour le vingtième anniversaire de son décès.
Faisant actuellement escale à Paris (du 5 mai au 27 septembre), cette exposition a déjà été présentée au Musée du Panthéon National Haïtien à Port-au-Prince.
Les chanteurs et chanteuses d’aujourd’hui, ainsi que les jeunes en général, gagnerait beaucoup à revisiter l’oeuvre de Toto Bissainthe et à explorer le parcours de cette grande artiste, projetée définitivement dans la lumière. [apr 07/06/2015 15 :00]
Diffusion de l’interview de Toto Bissainthe sur Radio Kiskeya 88,5 FM, www.radiokiskeya.com et Tunein : dimanche 7 juin à 21 :00 et jeudi 11 juin à 22 :00