Déclaration du Conseil des Sages
Soumis à AlterPresse le 19 octobre 2004
Depuis le mois de septembre 2004, la situation politique ne cesse de se dégrader. A la catastrophe naturelle, qui a coûté la vie à des milliers de nos compatriotes dans l’Artibonite et le Nord Ouest, s’ajoutent les actions criminelles des bandes armées qui sévissent en particulier dans les quartiers populaires de la capitale.
Face à cette situation, le Conseil des Sages considère que tous les secteurs de la vie nationale, soucieux de la réussite de la Transition, doivent rechercher un consensus, au moins sur deux (2) points essentiels : les causes de l’insécurité et les moyens de la combattre. Sur base des informations recueillies et des analyses effectuées, le Conseil est convaincu que l’insécurité résulte fondamentalement de deux (2) facteurs : l’absence de gestion politique de la part de l’Exécutif, notamment du Gouvernement, et les actions des partisans-es et sbires de l’ancien régime Lavalas.
Cette insécurité savamment fabriquée a notamment pour objectif de faire échouer la Transition, en tant que processus potentiellement porteur pour l’avenir du pays. Elle entend également poser le retour d’Aristide comme la solution alternative. Les secteurs organisés qui s’accordent sur ce diagnostic doivent, d’une voix commune et si possible sur la base de propositions, appuyer le Conseil des Sages pour exiger du Gouvernement de Transition une stratégie et des actions spécifiques, en vue d’apporter les réponses appropriées et stopper cette violence spécifique.
L’exclusion est une réalité marquante et dramatique de notre paysage social ; Une exclusion qui s’est exacerbée durant cette dernière décennie. Cependant, en aucun cas, l’équation Misère = Violence n’est recevable car, la grande majorité des populations démunies et délaissées n’a jamais fait choix de la violence pour résoudre ses problèmes.
La violence actuelle est éminemment politique et est orchestrée par différentes factions de la mouvance Lavalas, avides de pouvoir et qui tentent d’imposer à la nation leur logique déshumanisante. Le Conseil des Sages appelle au refus catégorique de l’amalgame Misère/Insécurité qui contribue à alimenter la confusion, risque de paralyser la recherche de solutions concrètes, et surtout laisse l’initiative au camp de la violence et de la peur. En aucun cas, la peur ne doit conduire à accepter, comme solution miracle, que de quelconques groupes d’individus en arme prennent l’initiative d’intervenir en dehors de tout cadre institutionnel étatique et fonctionnel.
Depuis le mois de mai, le Conseil des Sages a entrepris un ensemble de démarches d’interpellation et de consultation auprès de l’Exécutif (Présidence et Primature) et du Conseil Supérieur de la Police Nationale (CSPN). Plus particulièrement, depuis le mois d’août, le Conseil a multiplié ses interventions, formulé et soumis, le 22 septembre, des propositions visant à porter les autorités à élaborer et adopter un Plan National de Sécurité. Dans cette optique, le Conseil s’est attaché à promouvoir la notion d’amélioration continue de la Sécurité Publique, qui implique de freiner l’insécurité et de construire un ordre favorisant la reconstruction nationale.
Le Conseil des Sages réitère sa proposition d’articuler la lutte contre l’insécurité autour de cinq (5) axes clés :
1. La nécessité, pour le pouvoir en place, d’avoir un discours politique clair sur le contexte de l’actuelle Transition ; Un discours systématique qui prend l’offensive contre les commanditaires de la violence politique ; Un discours qui dénonce en particulier d’une part, l’utilisation démagogique de l’exclusion sociale qui n’a jamais été véritablement combattue sous le régime Lavalas et, d’autre part, l’utilisation de la violence comme stratégie politique.
2. Organiser une Unité Centrale de Renseignements et de Planification des Opérations. Cette Unité aurait une triple mission de service d’intelligence, de service de planification et de coordination des opérations et de service de recrutement des agents-es d’information.
3. Accroître les moyens d’intervention de la Police Nationale d’Haïti (PNH) par : le recrutement de nouveaux policiers/nouvelles policières, l’augmentation des équipements et notamment des armes, le respect des règlements de l’institution pour éviter la confusion dans les opérations. Cela nécessite, entre autre, que des dispositions soient prises en vue de lever formellement l’embargo sur les armes et réglementer leur vente et leur circulation.
4. Régler définitivement la question du mandat de la MINUSTHA (Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en Haïti) et formuler des demandes explicites, de telle sorte à ce que les termes de la collaboration soient clairement établis avec la PNH, qui reste et demeure l’institution nationale sous l’autorité de laquelle les interventions doivent être réalisées.
5. Opérer des changements au sein de la PNH et de l’Administration Publique, gangrenées par le mercenariat sous Lavalas, de sorte que les moyens mis à leur disposition servent bien à combattre l’insécurité et non à l’alimenter, comme c’est encore le cas aujourd’hui. Cet indispensable nettoyage n’a de sens que s’il divorce des pratiques de clientélisme et permet, grâce à des critères de choix préétablis, de placer des responsables qui s’engagent et sont astreints à respecter et à faire respecter les normes établies et les intérêts de la nation.
Le Conseil des Sages croit qu’une telle articulation permettrait au Gouvernement de Transition de marquer des points significatifs contre l’insécurité et, par là même, de gagner la confiance des populations, de leur redonner espoir et, ainsi, favoriser la nécessaire participation à la lutte contre cette violence aveugle qui empoisonne la vie quotidienne.
Le Conseil des Sages insiste sur le fait que la réussite d’une telle démarche passe avant tout par l’engagement non seulement du Président Provisoire de la République et du Premier Ministre, mais aussi de tous les membres du Gouvernement. L’ensemble des membres du Gouvernement doit, en ce moment critique, assumer sa responsabilité collective sur la question de l’insécurité qui, si elle n’est pas n’est pas résolue, rendra inopérante tous les projets sectoriels envisagés. Ce sera ainsi l’occasion de se comporter en équipe gouvernementale qui reconnaît l’absolue nécessité de se doter d’un Programme d’Action Gouvernementale, prenant dûment en compte le contexte politique. Ainsi, le Gouvernement de Transition pourra clairement exprimer ses positions et rendre intelligible ses actions pour les populations.
Port-au-Prince, le 14 octobre 2004
Pour le Conseil des Sages
Danièle Magloire, Porte-parole