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Haïti-Technologie : La Foire E2Tech 2015 s’essouffle

Par Jean-Gerard Anis*

Soumis à AlterPresse le 23 mai 2015

La grande foire technologique d’Haïti E2Tech 2015, qui s’est tenue du 15 au 17 mai 2015 à l’institution Saint-Louis de Gonzague à Delmas 31, n’a pas atteint sa vitesse de croisière cette année. Cette manifestation commerciale, qui ambitionne d’être un rendez-vous incontournable biannuel du tout Port-au-Prince, s’apparentait effectivement plus à une simple expo davantage qu’à une vitrine technologique excitante.

À travers cette foire, les organisateurs visaient la promotion et la vulgarisation des technologies de l’information et de la communication, mais aussi les technologies de l’énergie et de l’environnement et à exposer les principaux enjeux et opportunités découlant de ces technologies. Ils ont raté malheureusement le coche, tant la réalité était en décalage avec l’envie et la curiosité suscitées chez le public, avide de découvrir de nouveautés.

Le passé mieux que le présent

La foire a soulevé un paradoxe temporel : les éditions passées étaient mieux et mieux préparées que celle du présent. Il y avait davantage d’innovations dans les éditions antérieures. Lors de la 2e édition, E2Tech 2011 au Karibe, une jeune entreprise, PaperlessHaiti, avait développé une véritable idée innovante, « le bureau sans papier » qui consistait à faire disparaitre les imprimés dans les bureaux après les avoir scannés, indexés, archivés et stockés dans une base de données qui leur assure une protection accrue et une disponibilité en tout temps, en tout lieu et sur tout support..

À E2Tech 2014 a été présenté et discuté, dans 2 conférences consécutives le projet visionnaire et stratégique de Plateforme Intégrée du Gouvernement Haïtien (PIGH), pour dire tout simplement e-gouvernance, qui ambitionne de faire entrer l’Etat haïtien dans la modernité, et de transformer complètement la façon dont les administrations publiques et le gouvernement vont servir et interagir avec le contribuable et le citoyen lambda, par le biais de la technologie et du web. [1]

Cette édition a été décevante à bien des égards car le mélange de créativité, de science et de technologie que les organisateurs promettaient n’a pas pris !

Le défi d’organisation de l’événement

Quatre grands problèmes ont miné la réussite de la 4ème édition de cette foire :

- le manque d’innovation. En effet, peu d’exposants, peu d’appareils réellement attractifs et innovants ont été présentés. La foire était tournée vers la promotion et la vente d’appareils plutôt que vers la proposition et la démonstration de solutions technologiques pour les entreprises (PME-PMI), les industries, les métiers, les administrations, et toutes sortes d’organisations et de firmes faisant usage de technologies ;

- le déficit d’organisation. Le site du lycée Saint-Louis de Gonzague était mal exploité : la chaleur insupportable sur la cour repoussait le visiteur vers les expos à l’ombre ou dans les salles, la circulation embouteillée à l’extérieur sur Delmas 31 a été un calvaire pour trouver une place de parking. La foire s’est ouverte en plein chantier et accusait un bon retard au démarrage. La communication a été approximative, car les visiteurs étaient mal informées : l’entrée était-elle payante ou pas ? Le programme était indisponible sur place et même avant l’ouverture ;

- l’absence d’articulation entre les 3 piliers porteurs. La foire prenait corps autour de ces 3 axes : la technologie, l’énergie et l’environnement. Or, il n’y a pas eu d’équilibre dans la promotion de ces 3 piliers, l’énergie (un stand exposait un four à cuisson solaire, celui de TOTAL (sic !) vendait des lampes solaires) et l’environnement (une conférence sur le phénomène tsunami) ont été injustement réduits à une portion congrue. Aucun matériel ou produit exposé n’établissait un pont entre les 3 thèmes.

- le décalage entre la nature de l’événement et la motivation des organisateurs : vendre ou sensibiliser ; exposer ou démontrer ; proposer ou éduquer ; promouvoir ou vulgariser. Le premier prenait le pas sur le second. Quel public les organisateurs ciblaient-ils ? Les professionnels ou les jeunes ? Ou bien le tout public ? Finalement c’est un public jeune, et même adolescent qui a eu leur faveur, au grand dam des fournisseurs à la recherche de clients, et de conférenciers dont le jargon technique laissait leur jeune public largué.

ESIH, Haiti Tech, le Centre canado-technique, les 3 champions de la foire

La foire a donné une visibilité aux entreprises-exposants certes, mais pas aux innovations technologiques, aux solutions pouvant booster le travail, les opérations des entreprises et la productivité de leurs ressources humaines. Heureusement, il y avait l’ESIH, HaitiTech et le Centre canado-technique, trois établissements d’enseignement supérieur qui ont tiré leur épingle du jeu.

L’Ecole Supérieure d’Infotronique d’Haiti avec son ‘maker lab’ a fait voir aux visiteurs un procédé révolutionnaire d’impression, l’imprimante 3D capable de reproduire en 3 dimensions n’importe quel objet en matériaux aux propriétés plastiques, et son laboratoire de réalité virtuelle qui a fait faire aux participants un plongeon dans un monde virtuel créé par ses propres étudiants .

Les étudiants de HaitiTech ont présenté un astucieux projet d’automatisation d’émission de contravention aux chauffeurs qui grillent les feux rouges, grâce à un système de caméras placées aux carrefours qui lisent les plaques des véhicules les traversant. Ces caméras, reliées à un serveur de la police, seront capables de détecter les infractions aux feux rouges, et d’émettre automatiquement l’amende correspondante à ce délit à l’automobiliste indélicat.

Le Centre canado-technique a fait la démonstration d’une technologie révolutionnaire : un système d’appareil à air comprimé permet de confectionner, à moindre frais, un large éventail de pièces et d’autres articles métalliques entrant dans la fabrication d’appareillages à assembler (boulons, écrous, vis…) pour un usage industriel, à partir d’une maquette réalisée sur ordinateur.
Ce sont là trois exemples qui véritablement ont satisfait ce mélange de créativité et de technologie et qui ont ravi particulièrement un jeune public. Innovation, créativité, démonstration : c’est cet esprit-là qui doit inspirer les éditions futures d’E2Tech.

Penser Salon plutôt que Foire

Une foire est un événement commercial où l’on se contente d’exposer et de vendre des produits mal connus ou inconnus des gens, issus d’un terroir, d’un pays, pour la consommation domestique, et visant le tout public ou une clientèle en quête de bonnes affaires : foire agricole, foire artisanale, foire à brocante, foire de distractions, foire du livre, foire de la gastronomie.

Un salon, par contre, va au-delà de la simple exposition de produits. Les représentants proposent de préférence des solutions alternatives, originales, inédites, à des secteurs professionnels, des PME, des PMI, pour se développer soit pour optimiser leur productivité grâce à des produits novateurs : le salon de l’automobile, du numérique et de l’informatique, de l’aéronautique, de l’habitat.

En clair, la foire vend des produits, des objets et des matériels utilitaires pour la consommation courante, tandis que le salon fait découvrir et met en relation des solutions innovantes, des produits et des équipements d’avant-garde avec des professionnels et des secteurs intéressés à leur transformation interne.

Vulgariser, éduquer, résoudre plutôt qu’exposer, attirer et vendre. La foire E2Tech a besoin d’évoluer vers un parc d’expositions technologiques thématiques, et de se détourner d’une manifestation à visée simplement commerciale. Elle doit faire rêver, les jeunes et les adultes, les étudiants et les professionnels, les femmes et les hommes.

Des idées pour l’avenir

Il serait plus intéressant par exemple que Surtab fasse connaitre sa prochaine génération de tablette ou incite des programmeurs haïtiens à créer des jeux pour enfants adaptés à son terminal ; les banques pourraient promouvoir un nouveau service révolutionnaire à leur clientèle par le biais de la technologie (le paiement par téléphone en était un) ; les compagnies cellulaires, de nouveaux produits ou services attractifs à venir, comme la communication 4G.

Les conférences devraient avoir pour objectifs de montrer aux jeunes les meilleurs usages des outils technologiques pour apprendre, créer, communiquer ; de faire découvrir les possibilités maintenant et à venir du web 3.0 ; s’intéresser aux avancées majeures des outils numériques et informatiques, ou bien aux nouvelles technologies au service de l’éducation, des médias, de la santé, de la maison, de l’environnement, de la démocratie…. Les possibilités sont infinies.

Les universités devraient montrer comment elles utilisent ou projettent d’utiliser les nouvelles technologies de l’information et de la communication dans l’enseignement et la formation (lab virtuel, cours en ligne, biblio virtuel, livre électronique, techno-cours avec tablette électronique et tableau numériques, logiciels et applications intelligentes au service de l’apprentissage…), etc.

…à ne pas répéter

Les organisateurs ont tout de même eu 3 succès à leur crédit, malheureusement limités dans leur élan : la délocalisation de la foire est une bonne idée…gâchée par un manque d’organisation manifeste ; les marchands de nourriture et de rafraichissements étaient bienvenus mais pas intégrés à la dynamique de la foire ; la présence des établissements universitaires était attendue mais inefficace.

Il manquait aux organisateurs de l’audace, de l’imagination. À quand les robots, les engins futuristes, les percées technologiques majeures, les dernières gadgets geek, les projets d’avenir en gestation dans les laboratoires de recherche, des outils numériques renversants ? Quels défis pour Haiti de s’approprier la technologie pour opérer son intégration dans le XXIe siècle ? La foire fait du surplace. Elle a été cette année une déception …à ne pas répéter.

* Professeur à l’université
jeangerard.anis@gmail.com

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Logo : photo originale extraite du site www.e2tech.ht