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Emeline Michel : la consécration de notre Reine

Par Nancy Roc

Soumis à AlterPresse le 18 octobre 2004

Quatre ans après "Cordes et Ames", Emeline Michel vient de sortir son huitième album :’’Rasin Kreyol’’. Ce dernier constituait un double défi : d’abord, se surpasser et ne pas décevoir son public après la magnifique prière ’’Pè Létenel’’ figurant sur l’album précédent ; ensuite, trouver le temps, en tant que jeune mère, de rester une professionnelle de haut niveau et une chanteuse hors pair.

’’Rasin Kreyol’’ consacre le talent de celle qu’on appelle désormais, la reine de la chanson créole. Le journal La presse de Montréal qualifie ce CD de « plus mature, voire un des meilleurs disques de musiques du monde en 2004 » (1).

Emeline Michel a choisi Miami pour lancer son nouvel album au Guzman Theater for the Performing Arts avant de poursuivre sa tournée à New York et à Montréal. Elle a joué à guichets fermés et a été ovationnée par un public séduit par son charme et son professionnalisme.

Nous l’avons rencontrée à Miami, en exclusivité pour nos lecteurs. Interview retrouvailles entre la douleur du drame de Gonaïves, sa ville natale, et le plaisir de revoir notre ambassadrice de charme.

Sourire éblouissant, élégance, gentillesse, des yeux en amande qui pétillent : Emeline est toujours aussi belle et nous pouvons en être fiers. Nous la retrouvons après trois ans de séparation et c’est comme si l’on s’était quittées hier. C’est une des qualités que nous apprécions chez Emeline Michel : au-delà de sa célébrité elle demeure élégamment simple et surtout vraie. Car célèbre, elle l’est depuis longtemps et confirme son talent de reine de la chanson créole à travers son nouveau CD, ’’Rasin Kreyol’’.

Qualifiée de ’’Joni Mitchell de la chanson haïtienne’’ par le célèbre musicien Paul Simon, elle reste sereine et éclate de rire : ’’sé gwo non ki tué ti chien’’ nous répond-elle. Son visage s’assombrit lorsque nous évoquons la catastrophe humanitaire qui vient de frapper sa ville natale, Gonaïves. ’’Je suis née à l’Hôpital de la Providence et j’ai grandi près du Parc Vincent. Il n’y a pas de mots pour expliquer comment, émotionnellement, je suis détruite. Il y a quatre ans de cela, j’ai été aux Gonaïves avec un copain pour revisiter les lieux de mon enfance. Il y avait un grand arbre, un ’’bayaond’’ qui a marqué mon enfance car on allait y chercher de l’huile pour les lampes puisque je viens d’une famille très modeste. Je me rappelle qu’il me faisait toujours peur car il était gigantesque et on avait l’impression qu’il avait deux vies : une le matin, l’autre la nuit. Durant la journée, toutes les marchandes s’affairaient autour et j’ai fais le voyage du Cap haïtien pour revoir cet arbre. Quand je suis arrivée, l’arbre avait été rasé et c’était un désastre pour moi. J’ai pleuré comme si on avait déraciné mon enfance. C’est un exemple que je donne pour expliquer comment, lorsque j’ai appris ce qui était arrivé aux Gonaïves, j’ai été dévastée. Il n’y a pas de mots pour exprimer ma peine » nous confie-t-elle.

Ainsi, Emeline a décidé qu’une partie des bénéfices de tous ses concerts et de la vente de son nouvel album sera versée au profit des Gonaïves. Ainsi, les profits du concert magistral qu’elle a donné à Miami au Guzman Theater for The Performing Arts seront versés à la Croix Rouge et à une organisation à but non lucratif, basée à Miami, Fanm Ayiti nan Miami. Emeline refuse et refusera de faire de la publicité autour des dons qu’elle fera aux Gonaïves. « C’est ma ville natale et je ne me fais pas d’illusion. Il faudra beaucoup pour remettre la ville sur pied. Lorsque j’ai vu les images à la télévision, c’était pour moi une vision de fin du monde et ma tâche, en tant qu’artiste, est désormais encore plus lourde à porter. Il faudra tout faire pour pouvoir ne fusse qu’alléger la souffrance de mes compatriotes, car presque chaque famille des Gonaïves a été touchée par cette catastrophe. »

Rasin Kreyol, un hommage à la culture haïtienne

« Depuis longtemps nous luttons sur le front des Amériques/ Et nous tombons comme Toussaint Louverture, DelGres, Mackandal / Mais nous nous relevons avec la voix de Bob Marley, avec les poings de Mohamed Ali, avec la gloire du roi Pelé. » Ces paroles qui tiennent de propos d’ouverture à la chanson, Beniyo, choisie pour lancer son huitième album, illustrent bien la tragédie haïtienne qui secoue notre île depuis 200 ans. En cette année du Bicentenaire de notre pauvre république, Emeline Michel porte fièrement, et malgré toutes nos vicissitudes, l’héritage de la culture haïtienne. Son album est un véritable hommage à cette dernière.

Dans une note personnelle, inscrite à l’intérieur du CD, elle confie à son public : « Je suis endettée d’avoir reçu une culture si riche et d’hériter d’une histoire indiscutablement magnifique. Cet album est une expression personnelle de toute la fascination que j’éprouve face à la force et à la beauté de nos rythmes. Une révérence absolue pour cet outil luxurieux. Le créole haïtien, ses proverbes sublimement épicés, qui sont comme le sel et la lumière pour mes chansons. Je suis absolument fière d’être née de la première république noire. » Cette fierté, elle l’exprime comme jamais et avec maestria à travers les douze compositions offertes dans Rasin Kreyol.

Le critique, Alain Brunet du journal La presse de Montréal ne s’y est pas trompé : « La voilà qui surfe allègrement sur un nouveau CD, Rasin Kreyol, concentré de soleil, de larmes, de sable, de boue, de konpa direct, de rara, de rythmes profanes et sacrés. De ces racines créoles qui trouvent encore à se nourrir dans le sol désertifié de l’île Magique. Et voilà Rasin Kreyol, un disque encore mieux fagoté, plus mature, voire un des meilleurs disques de musiques du monde en 2004. Et pour cause. Non seulement la chanteuse fait preuve d’une grande maturité, mais encore ses collaborateurs, tels Daddy Beaubrun (ex Boukman Ekspéryans) et Makarios Césaire, témoignent d’une connaissance profonde des différents styles de musique haïtienne » , écrit-il dans son article paru le 9 octobre dernier (2). Et de fait, les morceaux sont les uns plus succulents que les autres.

A travers Beniyo, elle rend hommage à ceux qui sont tombés pour que les choses puissent changer : « Moun sa yo mete vi yo an danje/ Pou la pè, pou yon jou sa ka chanjé/ E lò minm atò non yo’n pa sonjé, lespwa donen/ pou sa yo konvksyon yo egzile/ki kampe king nan tout koze mele/ sa yo ki remete lonè kampé/ beniyo, beniyo ! » Une chanson superbe, agrémentée de la guitare rythmique africaine de Dominique Kanza, que tous ceux qui ont récemment lutté contre la dictature pourront s’approprier comme un cadeau personnel d’Emeline Michel. Car elle porte note drapeau bien haut en tant qu’ambassadrice de charme partout où elle va mais, de plus, elle le clame et nous le chante en nous invitant à nous unir et à nous mettre debout dans Nasyon Soley. Les mélomanes pourront apprécier toutes les variations de la voix de notre reine dans ce morceau en particulier qui démontre une maîtrise vocale étonnante.

Cet album prouve aussi que la femme ’’flanm’’ a mûri : si elle fait preuve encore de ses talents de séductrice à travers une chanson telle que non’m sa, elle encourage aussi son public à faire preuve de prudence et de responsabilité dans Zikap, chanson engagée contre le Sida pour laquelle elle a reçu la collaboration de Daniel Beaubrun, ex-guitariste et membre fondateur du groupe Boukman Eksperyans. Si elle réclame le bonheur dans Ban’m la jwa, c’est elle qui nous l’offre dans ce CD.

La Karidad, le cinquième morceau, est un véritable petit bijou qui vous transportera dans un autre temps, celui de la nostalgie des nuits tranquilles en Haïti, ponctuées de rires et non de tirs. Le piano de Elmyr Jean Pierre et le saxophone de Lisa Perott sont tout simplement envoûtants et les paroles d’Emeline arrivent toujours à nous faire oublier, l’espace d’un moment, la barbarie d’aujourd’hui pour nous transporter dans le tan lontan qu’on regrette tous, si amèrement.

L’achat de cet album est un ’’must’’. Rasin Kreyol consacre le talent de notre reine de la musique haïtienne. Emeline Michel devait venir en Haïti pour participer à l’événement Musiques en Folie les 23 et 24 octobre et souhaitait se rendre dans sa ville natale. Malheureusement, à cause des violences enregistrées ces deux dernières semaines, nous venons d’apprendre que Musiques en Folie a été reporté pour la fin du mois de novembre.

Il nous faudra donc, une fois de plus, faire preuve de patience pour revoir notre reine de la chanson créole. En attendant nous ne pouvons qu’encourager Emeline à continuer de nous représenter brillamment à travers le globe et la remercier de si bien le faire dans cette année douloureuse de notre Bicentenaire ! Bravo Emeline ! Nap toujou rété bò kote’w ! Nous promettons à nos lecteurs un autre article à paraître très bientôt autour de l’interview qu’elle nous a accordée à Miami.

(1) Alain Brunet, EMELINE MICHEL Briller, tomber, se relever, briller, La presse, Montréal le 9 octobre 2004

(2) Ibid

Pour tout contact avec Emeline Michel : www.emeline-michel.com ou chevalproductions@hotmail.com

La couverture du concert d’Emeline Michel à Miami a été rendu possible grace au support de Tarimex, les Vins Aromo et Portal del Alto