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Jamaïque : Quand les homophobes font loi

Article paru dans le numéro d’octobre 2004 de « La Chronique », mensuel de l’organisation internationale de défense des droits humains Amnesty International (section francaise)

Repris par AlterPresse le 18 octobre 2004

Dans la petite île des Caraïbes, l’homosexualité est un délit. Toute personne présumée gay ou lesbienne est harcelée. Ces dernières années, plus de 30 personnes ont été assassinées. [1]

Il s’appelait Brian Williamson, Jamaïcain, gay, défenseur des droits de l’Homme. Sans doute le seul dans toute la Jamaïque à oser prendre la parole publiquement pour dénoncer les crimes homophobes, régulièrement perpétrés sur cette île.

Assassiné à Kingston, le 9 juin 2004. Membre fondateur du Jamaican Forum for Lesbians all-Sexual and Gays (J-FLAG), sa disparition laisse un grand vide au sein de la communauté homosexuelle jamaïcaine. Les autorités ont eu beau prétendre à un crime crapuleux, il ne fait pas de doute aujourd’hui que cet homme fut assassiné pour son homosexualité et son militantisme. [2]

Brian Williamson n’est pas un cas isolé. Les témoignages sont nombreux de coups, blessures, insultesÂ… comme le jeune David dont les cicatrices sont autant de marques laissées par des agresseurs jamais poursuivis, jamais punis. Entaille à la gorge, bras cassés, coup de machette sur la main droite, tympan perforé par des coups de bâtonÂ… David a fini par demander asile à la Grande- Bretagne pour sauver sa peau. Se réfugier dans un commissariat n’aurait rien changé pour lui puisque la police n’aime pas non plus les homosexuels. Pire ! Elle peut les insulter à son tour, les battre et les jeter en prison, protégée par des lois archaïques héritées de la morale victorienne de l’ancienne puissance coloniale britannique.

Si depuis les années soixante, la Grande-Bretagne a réformé ses textes de lois en faveur d’une plus grande tolérance vis-à -vis de l’homosexualité, rien n’a bougé en Jamaïque, indépendante depuis 1962. L’article 76 de la Loi sur les offenses contre la personne punit " le crime abominable de pédérastie " d’une peine de prison avec travaux forcés pouvant aller jusqu’à dix ans. Quant à l’article 79 de la même loi, il punit tout acte d’intimité physique entre hommes en public ou en privé d’une peine de prison pouvant aller jusqu’à deux ans, assortie de travaux forcés.

Si de telles lois indignent le réseau international militant et les ONG de défense des droits humains, elles ne semblent pas émouvoir la population jamaïcaine. P.J. Patterson, le Premier ministre, a même balayé d’un revers de main les pressions internationales déclarant qu’il ne toucherait pas à la législation anti-homosexualité malgré son inadéquation avec les standards internationaux.

Méprisés par les dirigeants du pays, les gay et lesbiennes de Jamaïque ne peuvent pas non plus compter sur la tolérance des artistes qui sont, au contraire, leur pire pourfendeurs. Chanteurs célèbres et groupes de reggae appellent régulièrement au meurtre, au lynchage et au viol des " batty boys " ou " chi chi man ", quolibets injurieux désignant les homosexuels. Des chansons entières sont consacrées à l’élimination de l’homosexualité comme celle dont le refrain est " Tuez-les, les gay doivent mourir, des balles dans la tête, ceux qui veulent les voir morts, levez la main ". Et le public d’applaudir et, pour certains, de s’exécuter. Elephant Man, Bounty Killer, Beenie Man, TOKÂ… autant de groupes et d’artistes flirtant avec le TOP 50 qui encouragent les agressions homophobes.

Des concerts en Europe ont été récemment annulés comme celui de Beenie Man à Londres pour des raisons de " sécurité publique ". En France, la commission lesbiennes, gays, bi et trans (LGBT) d’Amnesty a officiellement demandé à la direction de la salle de spectacle parisienne le Zénith, qui reçoit des groupes de reggae, de veiller à ce que des appels à la haine homophobe ne soient pas lancés sur sa scène. Le Zénith s’est engagé par courrier à rester vigilant sur ce thème mais n’a pas annulé de concert.

Du côté de Kingston, le J-FLAG, orphelin de Brian Williamson, essaie de continuer à lutter pour les droits des homosexuels mais l’association est très isolée et sans cesse menacée. Sans un soutien extérieur des ONG, elle risque de disparaître dans l’indifférence la plus totale. Amnesty s’est fortement engagée pour les soutenir. Pour le moment, face à tant d’obscurantisme, l’exil reste la meilleure façon de rester en vie pour les homosexuels de Jamaïque.


[1NDLR/Element de l’article original mis en note par Apr : Amnesty International soutient la mobilisation associative pour que les autorités jamaïcaines réforment leur législation.

[2NDLR/Element de l’article original mis en note par Apr : Amnesty International demande qu’une enquête approfondie soit menée sur cet homicide