A l’occasion de la tenue d’un premier festival de films haïtiens à Paris du 29 octobre au 1er novembre 2004 organisé par le Collectif 2004 Images*, AlterPresse dresse un tableau critique du cinéma haitien en soulevant des interrogations.
Par Giscard Bouchotte
Paris, 18 oct. 04 [AlterPresse] --- Le 14 décembre 1899, soit quatre ans après la première projection publique à Paris, Port-au-Prince bénéficiait de sa première séance de cinéma. Cependant, il aura fallu attendre le milieu du siècle dernier pour voir naître les premières productions haïtiennes.
Le premier long-métrage documentaire « Mais je suis belle » signé Edouard Guilbaud et Emmanuel Lafontant sortira en 1962, mais la première vraie fiction date de 1976 avec Olivia de Bob Lemoine, puis le moyen métrage Anita de Rassoul Labuchin. Depuis lors, les films haïtiens ont été présentés à de nombreux festivals internationaux.
Au gré des aléas politiques qu’a connus le pays, ce cinéma naissant n’a pu résister aux assauts de la répression dictatoriale, provoquant un silence forcé. Quelques cinéastes, tels qu’Arnold Antonin et Rassoul Labuchin, après avoir tenté de militer à travers quelques films, ont dû se résoudre à quitter le pays, ce qui aurait poussé sans doute ce cinéma à devenir un cinéma « de diaspora ».
Le plus célèbre des cinéastes de la diaspora, Raoul Peck, a plus d’une dizaine de films à son actif. C’est à Paris que l’on retrouve la plupart de ces réalisateurs : Elsie Haas, Michèle Lemoine, Maxence Denis, Michelange Quay, mais aussi à Montréal avec Frantz Voltaire, Didier Berry et l’écrivain scénariste devenu réalisateur Danny Laferriere.
Le cinéma d’Haiti est aussi un regard d’étrangers sur Haïti dès l’origine, de Rudy Berkhardt à Maya Deren, de Jonathan Demme à David Belle (réalisateur américain vivant en Haïti), en passant par Charles Najman ou Guillaume Pradère-Nicquet. Ce regard d’étrangers, surtout quand ce n’est pas l’exotisme qui l’emporte, est pertinent, car ces derniers proposent une autre vision de la réalité haïtienne et poussent par là -même les cinéastes haïtiens à se questionner sur la pratique de leur art.
Pourtant, d’inlassables réalisateurs locaux ont su surmonter certains obstacles. C’est le cas par exemple d’Arnold Antonin, de Richard Sénécal, Mario Délatour, Laurence et Rachèle Magloire, sans oublier l’émergence d’une nouvelle génération de très jeunes réalisateurs tels que Guy-Régis Junior, à suivre de près.
A Port-au-Prince, par les temps qui courent, place est faite à un cinéma de divertissement : un film sort presque chaque mois, mais ce n’est ni la qualité, ni le professionnalisme qui sont prioritairesÂ…Si on oublie certains pionniers, le cinéma haïtien trahit ses racines. Car sans un Raynald Delerme ou un Jean-Gardy Bien-Aimée à l’origine de cette pléiade de films qualifiés, selon les termes d’une certaine critique, de « populaire », parlerait-on d’un cinéma made in Haïti ?
Ces films « juste pour rire » tiennent pourtant compte des aspirations d’une grande majorité de spectateurs : les jeunes. Ces derniers, sans doute abrutis de clichés et lassés de voir que des images du misérabilisme haïtien à la télévision, semblent trouver dans un « Barikad » ou un « I love you Anne » de Richad Sénécal, des fragments de vie rêvée.
Mais qu’est-ce qui distinguerait un cinéma dit populaire d’un cinéma d’art et d’essai ou d’auteur ? L’originalité du sujet ? La qualité de l’œuvre ou les moyens mis en place ? Faudra-il encore longtemps, par une sorte de logique révélatrice de tendances sociales, établir ce qui fait partie de la culture et ce qui relèverait de la sous-culture ?
Au cinéma, comme c’est le cas pour l’art en général, toute oeuvre qui chercherait avant tout à se justifier devient vulgaire, étant par essence à vocation esthétique. Le « jeune » cinéma haïtien, ne devrait-il pas avant tout être à la quête de cette esthétique moderne sans perdre sa légitimité culturelle ?
Il pourrait « donner à voir », sans doute « toucher », « porter à réfléchir », mais la qualité artistique doit en être l’objectif premier pour pouvoir atteindre un public international. Par ailleurs, on aurait aimé voir la réalisation de plus de fictions.
Les efforts pour trouver du financement sur des projets cinématographiques sont tellement impressionnants. Comment s’y prendre pour Haïti dont l’instabilité sociale et politique reste encore d’actualité ? Heureusement, les moyens humains sont là et c’est essentiel.
Entre ces deux types de cinéma, les cloisons ne semblent pas étanches. Ce n’est qu’en co-produisant avec la France, les USA ou le Canada où l’industrie cinématographique est plus importante, on pourra réussir à professionnaliser cette production locale.
Là où la critique n’existe pas, on tombe dans le travers de la complaisance. Là où la caméra doit compter davantage avec l’électricité que l’image, on risque de tourner en rond et rester sans mémoire, sans rêve. Si le rêve manque, le découragement peut naître.
Tout en se défaisant des règles dictées par les commanditaires et du nombrilisme mal placé de certains créateurs, le 7e Art haïtien doit être avant tout l’affaire de professionnels et de vrais artistes. Le seul souhait qui nous anime pour ces réalisateurs et réalisatrices, c’est qu’ils aient conscience que le cinéma haïtien n’en est qu’à ses prémices aujourd’hui et qu’il reste encore beaucoup à faire avant d’être compétitif. [gb apr 18/10/2004 12:40]