Par Maguet Delva
Soumis à AlterPresse le 23 avril 2015
Le séisme du 12 janvier 2010 en Haïti est une source d’inspiration pour de nombreux écrivains, haïtiens ou étrangers. Cette catastrophe qui n’a pas son équivalent dans l’histoire du pays fertilise l’imaginaire des créateurs qui se penchent allègrement sur l’après-séisme. Plus d’une vingtaine d’ouvrages, dont des essais, des romans, des recueils de poésie, des pièces de théâtre, ont tenté de cerner ce qui s’est passé. Une manière de rendre hommage à ce peuple courageux et de l’aider à conjurer le sort que la nature lui a fait.
Évidemment, une fois de plus, c’est le genre romanesque qui remporte le plus de succès, car tout en divertissant il donne matière à réfléchir en élargissant le champ social haïtien. La fiction a ceci de bon dans la mesure où elle écarte des polémiques vaines en mettant en relief les multiples facettes des problèmes qui tourmentent notre multitude. Souvent les romanciers décryptent mieux, avec plus de brio et de clarté, les réalités, que ceux qui font de cette discipline leur profession.
L’engouement des auteurs pour parler de ce séisme fait penser à la destruction de Pompéi, en Italie en l’an 79, ou la catastrophe survenue le 26 avril 1986 dans la centrale nucléaire de l’ex-Union soviétique. Tchernobyl avait déclenché une vague de réactions au niveau international, en même temps qu’une ferveur littéraire.
Il peint l’espoir au milieu du désespoir
Parmi les ouvrages consacrés au séisme de janvier 2010, nous en avons retenu deux : une pièce de théâtre et un roman. Les deux décrivent avec des précisions littéraires et linguistiques les réalités de ce que sont devenus les êtres, les victimes, après une telle catastrophe. Le premier, « Maudit cas de Jacques, journal d’une putain violée » [1], d’Emmanuel Vilsaint, commence à avoir un certain succès auprès de la communauté haïtienne de France — Je vous avais déjà entretenu de son contenu lors d’une précédente chronique —. Le deuxième, « Ballade d’un amour inachevé » [2].
Attardons-nous sur ce roman, le quinzième livre de Louis- Philipe Dalembert, qui a pour toile de fond deux séismes : l’Aquila en Italie, en 2009, et Haïti en 2010. L’auteur a survécu aux deux catastrophes et en a fait un récit convaincant où il peint l’espoir au milieu du désespoir. Il nous entraîne pas à pas dans les destins des survivants, avec son humour habituel. Il brosse les portraits d’hommes et de femmes confrontés à la colère de la terre et qui n’échappent point à leur funeste destin. Il revisite les deux séismes avec enthousiasme en mettant en exergue des personnages qui arrivent à surmonter bien des épreuves, guidés uniquement par leur force de vie.
Comme souvent chez Dalembert, les protagonistes vont au bout d’eux-mêmes à l’instar d’Azaka, véritable héros, qui n’est pas à un subterfuge, prêt à lutter pour sa survie au milieu des hostilités de toutes sortes et d’embûches dressées sur son parcours. Dalembert redonne une seconde vie aux morts, aux survivants des deux catastrophes. Celle survenue en Italie à l’Aquila, où la secousse de magnitude 6,7 était ressentie jusqu’à Rome. En Haïti, le tremblement de terre, d’une magnitude 7 sur l’échelle de Richter, a causé plus de 200.000 morts.
Le parallèle entre ces deux événements revient comme un leitmotiv tout au long du roman. L’auteur imagine l’avant et l’après séisme, se livrant à une rétrospection, où les vivants cherchent les morts parmi les décombres. La mort et le deuil sont deux termes universels et Dalembert a su habilement glisser dans l’un comme dans l’autre pour camper des individus dont on ne sait pas s’ils sont haïtiens ou italiens mais en proie aux mêmes angoisses au même stress, aux mêmes rumeurs.
Le romancier pose les jalons de sa démonstration comme une entrée en matière de l’avant-catastrophe : « Longtemps après lorsque les douleurs se seraient refermées, que les survivants raconteraient l’événement sans que l’émotion vint leur nouer la gorge, certains jureraient avoir senti la veille une forte odeur de soufre dans l’atmosphère. D’autres diraient l’avoir humée depuis trois jours, sans toutefois y avoir prêté attention. Les plus imaginatifs où les mythomanes c’est selon, ajouteraient qu’ils avaient senti par moments une boule de la taille d’un ballon de rugby se déplacer dans leur poitrine accompagné d’une sensation d’étouffement qui leur avait enlevé le sommeil. »
Au milieu du désespoir et de l’indescriptible chaos qui régnait tant à Port-au-Prince qu’à Aquila sur fond de détresses humaines, qui sont partout pareilles, Dalembert a su merveilleusement mettre en scène des personnages qui, grâce à leur courage, ont pu surmonter de nombreux aléas de l’après catastrophe, reprenant notamment goût à la vie : « Dans les jours qui suivront, Azaka n’aura de cesse de retrouver son père. Mort ou vif, peu importe. Plutôt vivant toutefois, même handicapé, mieux vaut un père diminué que pas de père du tout. Si c’est mort, et bien, ils lui donneront une sépulture à côté de celle de son aîné. Au moins, il saura où il est enterré. Et quand il en ressentira le besoin, il pourra toujours aller lui causer, lui raconter ses joies et ses peines, glaner des conseils. Qu’importe si les passants le croiront zinzin. »
Un éloquent voyage intérieur
Deux thèmes traversent ce roman : le courage dans l’épreuve et le destin des immigrés. Ce livre est un vibrant hommage rendu aux immigrés. Dalembert a su restituer avec beaucoup de talents, d’analyses comportementales, la vie d’Azaka. Il y a toujours des romanciers qui s’interrogent sur le pourquoi des immigrés, comment peuvent-ils abandonner leur pays en essayant de s’installer ailleurs même lorsque le nouveau pays d’accueil paraît hostile. Rares sont ceux qui associent les deux pour en démonter les mécanismes. Que ce soit chez Alain Mabanckou, écrivain congolais, prix Renaudot en 2006 pour son roman, « Mémoires de Porc-Epic » ou Louis-Philippe Dalembert, parler de l’immigration revient à un éloquent voyage intérieur. La phrase de l’écrivain Jean Prévost, qui a organisé la résistance dans le Vercors sous l’Occupation allemande, prend ici tout son sens : « Un écrivain doit parler de ce qu’il a vécu de l’intérieur. » Azaka est un immigré typique. Il a laissé son pays alors qu’il était en troisième année d’études universitaires mais ayant immigré, il s’est retrouvé à faire de petits boulots pour survivre. L’écrivain pose un regard plus qu’attendrissant sur les problèmes de l’immigration en général et la xénophobie en particulier. Azaka est tantôt en proie au racisme à la débrouillardise pour survivre et est passé maître dans l’art d’esquiver des affrontements avec les racistes patentés jusqu’à simuler le désir d’être comme eux.
L’itinéraire d’Azaka est somme toute compatible à celui de n’importe quel immigré. L’auteur ne manque pas de ressources imaginaires pour planter un décor qui en dit long sur le regard que les autochtones posent sur les immigrés. « Azaka vivait depuis une dizaine d’années dans les Abruzzes. Il était arrivé d’une ville du nord, située à la frontière avec la Slovénie. L’atmosphère de cette ville où il avait débarqué deux ans auparavant, après bien des péripéties sur lesquelles il n’aimait pas s’attarder était devenue périlleuse pour les extras communautaires, appellation dont on était affublé tout natif du Maghreb, d’Europe de l’Est de l’Asie ou tout Noir, non étasunien. »
Avec ce roman Dalembert démontre qu’il maîtrise parfaitement l’art de mettre en scène les drames les plus chaotiques pour les rendre palpables en les restituant avec infiniment de poésie ou de philosophie dont il a étudié les contours à l’université.