Par Roody Édmé *
Spécial pour AlterPresse
Les élections approchent et le landerneau politique bruisse de rumeurs concernant les candidatures à la présidence.
Certains voient, dans ce hit parade des candidatures, actualisé toutes les semaines, un témoignage de la santé brusquement revigorée de notre démocratie balbutiante et chétive.
D’autres croient, avec beaucoup d’optimisme, que cette fièvre pour la candidature est un indice du désir des citoyens à “participer” à la gestion de la chose publique.
Après tout, le besoin de s’engager n’est pas une mauvaise donne. Au contraire, ce pays a grand besoin de l’apport de tous pour faire face aux nouveaux défis qui l’accablent. Même que l’apparition de jeunes candidats semble donner, aux prochaines joutes, un air de jouvence et révéler que les gens sont loin d’être dégoutés de la politique.
Sauf que l’engagement ne suffit pas. Si le volontarisme est nécessaire, il est loin de constituer une condition suffisante pour changer les paradigmes d’une politique trop longtemps néfaste.
L’engagement doit s’accompagner de patriotisme et d’un sens certain des responsabilités, pour prétendre sortir ce pays des eaux tumultueuses et glaciales de son histoire deux fois centenaire. En plus, à la veille des compétitions électorales, les appétits sont si féroces qu’ils donnent froid dans le dos à plus d’un citoyen.
Les groupes, si assurés de leurs victoires, accepteront-ils le verdict des urnes, même en cas d’élections libres et transparentes ? Ne seront-ils pas tentés de faire claquer les fusils le soir des résultats ou d’utiliser le rouleau compresseur pour faire régner la peur sur la ville, comme aux dernières élections ?
La Communauté internationale saura-t-elle éviter la tentation interventionniste et ou paternaliste, qui, souvent, au lieu de régler les problèmes, soufle sur les braises ?
Il faudrait rappeler à tous les candidats, qui se bousculent au portillon, que c’est d’un pays qu’il s’agit, avec des millions de citoyens aux abois ; d’un peuple meurtri, pour lequel l’Histoire ne fait que repasser de vieilles recettes amères.
Un espace, tourmenté par de longues années de guerres civiles non révolutionnaires, de luttes sans merci pour le pouvoir, au risque de l’auto-destruction. Un Etat, déclaré failli par la Communauté internationale dans un élan de compassion mêlé de mépris !
Tout cet enthousiasme à participer peut augurer d’un nouveau printemps démocratique haïtien si et seulement si cette pléthore de candidatures correspond à un désir sincère de changer nos réalités quotidiennes.
Mais y croyez-vous vraiment ?
N’est-ce pas que la volonté de paraître au lieu de vouloir sortir l’être haïtien du néant du sous-développement ! Le besoin de réaliser en politique le mythe de Narcisse, en se concentrant sur sa propre image sans voir l’environnement qui se dégrade. Sans voir et comprendre les gens que l’on prétend vouloir diriger.
Comment prétendre diriger ce pays sans une profonde réflexion sur l’administration publique et ses ratées récurrentes, sa bureaucratie et son absence de services au citoyen lambda ? Comment faire l’économie d’une réflexion autour de l’inadéquation de nos ressources financières avec les programmes électoraux qui ne manqueront pas d’être célébrés ?
Que faire pour créer de l’emploi digne et fixer nos citoyens dans l’espace haïtien, au lieu de les voir sans cesse partir pour une humiliation certaine en terre voisine ?
Quel programme politique sera assez consensuel pour mettre une trêve au jeu de massacre, auquel on se livre chaque jour sur les ondes, sans que cela ne débouche sur aucune alternative viable ?
Tout ce bruit et cette fureur ne peuvent point remplacer un projet social, national et démocratique.
La démocratie "cathodique”, les libations médiatiques, les parties de poker menteur, la guerre des ondes ne sont que les appendices d’un délire verbal qui connote une absence de prise sur le réel.
Nous avons besoin d’écouter les offres politiques, des uns et des autres, autour des questions en rapport au budget de notre République ; à l’état d’urgence sanitaire ; au relèvement de notre système éducatif ; le développement de nos régions et surtout la gouvernabilité de notre pays traumatisé et marginalisé.
Une mobilisation patriotique et citoyenne doit s’organiser autour des prochaines élections.
Il importe que le débat s’ouvre autour de la nécessité, pour tout un chacun, de respecter les règles du jeu, pour contenir les dérapages violents et les pulsions destructrices saisonnières.
Pour, surtout, éviter les choix émotionnels, qui nous éloignent de la vraie politique et nous enfoncent dans la fange politicienne et la flibusterie politique.
Alors seulement, un peuple debout aura su transcender son passé.
*Éducateur, éditorialiste