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Haïti : Manifestations de masse et révolution fiscale (3 de 3)

Par Leslie Péan *

Soumis à AlterPresse le 1er mars 2015

Le système politique criminel de gouvernance occulte et inculte [1], qui existe en Haïti, a encore manifesté sa voracité, en faisant couler le sang du peuple lors du carnaval de février 2015. L’organisation folklorique a accouché la mort et toutes sortes de majigridi.

Le gouvernement des Tèt Kale a vite récupéré le tragique événement, en badigeonnant les murs et en distribuant des T-shirts, sur lesquels sont écrits les slogans Kite peyi ’m mache, Bay Ayiti yon chans.

Les bandits légaux exploitent la « mentalité populaire primitive », dont parlait le Dr Louis Mars dans son texte sur « le «  délire mystique de type vaudouesque  », pour donner toutes sortes d’explications occultes et fantaisistes à un crime.

La gravité de la négligence, qui a causé la mort de 17 jeunes, devant le stand du cimetière de Port-au-Prince, est manifeste.

Dans tous les cas de figure, le gouvernement Martelly doit en porter la responsabilité. Qu’il s’agisse d’un rituel, comme certains le prétendent, ou qu’il soit le résultat de l’improvisation et de la gabegie de l’équipe au pouvoir.

Moralement, personne n’a le droit d’être neutre, dans le débat actuel, sur la nécessité de détruire ou de sauvegarder le système socio-économique et politique criminel, qui sévit en Haïti.

Il n’y a pas moyen de le rafistoler.

Dans un pays, où 60% de la population vit de l’agriculture et contribue, à hauteur de 25%, à la création du Produit intérieur brut (Pib), le budget ne consacre pas 10% d’investissements à l’agriculture.

Sous l’administration Préval 2006-2011, on a vu le montant du budget consacré à l’agriculture passer de 4% (en 2008), à 6% (en 2009), et à 9% (en 2010). Ces pourcentages, nettement inférieurs au minimum nécessaire pour sortir du système criminel en vigueur, ont nettement diminué sous le gouvernement Martelly.

En effet, ce pourcentage a été ramené à 6% en 2011-2012 et dans le dernier budget 2014-2015, il n’est que de 6.1%, soit 7,49 milliards de gourdes sur un budget de 122 milliards de gourdes.

Dans ce contexte, toute tentative de composer avec un État en décomposition est vouée à l’échec.

La pourriture actuelle, qui se veut être un État et qui gruge la population de taxes sur les carburants, afin de satisfaire les dépenses extravagantes de l’équipe au pouvoir, ne doit être tolérée sous aucun prétexte. La révolution, nécessaire et incontournable en Haïti, passe, entre autres, par une révolution fiscale pour mettre les pendules à l’heure.

Par-delà la dilapidation du fonds PetroCaribe, qui hypothèque l’avenir d’Haïti avec une dette de plus de 1,6 milliard de dollars américains, une économie criminelle s’est installée et a pris racine avec les « bandits légaux » de la bande à Martelly au pouvoir.

Suite à sa mission de novembre 2O12 en Haïti, un an et six mois après la prise du pouvoir par Martelly, Michael Forst, expert indépendant des Nations Unies déclarait : « Instaurer l’État de droit, c’est d’abord garantir un État légal, dans lequel les lois sont proposées par le gouvernement, votées par le parlement et mises en œuvre par l’exécutif sous le contrôle du parlement . [2] ».

Il a prêché dans le désert, car le gouvernement Martelly a persévéré dans sa volonté de ne pas faire des élections et de mener une politique aboutissant à la caducité du parlement. Reproduction d’une situation vécue, sous le gouvernement du président René Préval, avec la 46e Législature en 1999.

Une usine de fabrication de bandi legal

Les progressistes haïtiens ont, immédiatement, dénoncé la supercherie du gouvernement Martelly, consistant à ne pas organiser des élections en novembre 2011.

D’ailleurs, dès le 19 avril 2011, le constitutionnaliste Georges Michel [3], a agité la question électorale et rappelé au président « élu » Martelly l’obligation constitutionnelle d’organiser les élections de novembre 2011. Il sera suivi, trois mois plus tard, notamment par le sénateur Stevens Benoit [4], dans sa lettre du 9 août 2011 à l’Honorable Rodolphe Joazil, président du Sénat.

En soulignant cet héritage d’échec, le sénateur Benoit a, justement, évoqué ce moment de sa carrière politique, le 24 février 2015, au micro de Marie-Lucie Bonhomme à la radio Vison 2000. Mais, tête baissée, le président Martelly s’est engagé dans sa mission d’étrangler l’État de droit, persuadé qu’étant pernicieux, il arriverait à déstructurer toute la société.

Le président Martelly a préféré transgresser, au quotidien, toutes les règles établies et même procéder à l’arrestation du député en fonction Arnel Bélizaire, violant ainsi l’immunité parlementaire de ce dernier.

Dix organisations de la société civile ont vite rebondi et tenté de remonter les bretelles à Martelly, en signalant, au trait rouge, les violations de la Constitution et autre dérives de ce pouvoir macoute déguisé.

Selon Edouard Paultre, responsable du Conseil haïtien des acteurs non étatiques, « les élections, pour renouveler le tiers du Sénat, devraient avoir lieu depuis le mois de novembre de l’année dernière. Cependant, le pouvoir en place n’a rien fait en ce sens. Une situation, qui contribue à déstabiliser le pays [5] »…

L’empreinte de la volonté d’accaparement et de domination du chef d’État, se voulant omnipotent, éclate au grand jour.

Dès sa première année, le gouvernement Martelly s’et révélé un échec. L’attitude dictatoriale du président l’a mis en marge des démocrates.

En préférant le présidentialisme absolu au dialogue démocratique, Martelly n’a pas cessé de tirer la couverture à lui. La sonorité de sa musique n’a pas été bien reçue dans les oreilles de la classe politique en particulier et de la population en général. Les plus avisés ne sont guère étonnés de sa mauvaise pointure, car le président Martelly a dit, lui-même, qu’il ne connaît rien aux partitions.

Et, depuis lors, il n’y a aucun changement, dans son répertoire, que la population refuse d’écouter. Pas moyen d’avoir un récital agréable, dans un environnement délétère et mafieux, avec une acoustique qui veut faire, de chaque haïtien, un bandi legal et, d’Haïti, une usine de fabrication d’une telle engeance criminelle.

Ce contexte si particulier a été dénoncé par les démocrates, qui affirment qu’on ne peut rien essaimer en pareilles circonstances.

Ils appellent à un nouvel ordre en disant : « Il est nécessaire de construire un État de droit, en lieu et place de cet État mafieux qui encourage le développement d’une économie criminelle en tolérant, en son sein, des criminels et des violeurs . [6] ».

La forme électorale et le fonds mafieux

Aujourd’hui, les commanditaires internationaux du bluff Martelly sont à l’œuvre, pour lui confectionner une nouvelle stratégie d’ensemble de communication, basée sur le faux et la tricherie, afin qu’il puisse tromper le peuple haïtien à nouveau, comme il l’avait fait aux élections de 2010. Tel est l’objectif du Conseil éÉlectoral pProvisoire (Cep) qui cache, difficilement, sa finalité de conduire l’opération électorale de 2015, orchestrée pour « la présidence, dont les malsaines intentions concernant les élections sont un secret de polichinelle » [7].

Les avocats haïtiens ont déjà déclenché des poursuites légales contre la mafia haïtienne et internationale, qui veut maintenir le peuple haïtien dans la boue et la misère. Les délinquants, qui ont réalisé la plus grande prévarication de l’histoire d’Haïti, ne sauraient s’échapper.

L’objectif de la mystification électorale en gestation est de tromper la population et d’empêcher que le procès de Bautista en République Dominicaine n’ait pas d’incidences en Haïti.

En battant la grosse caisse, les bandi legalutilisent toutes les techniques de communication pour cacher leur véritable motivation. Les militants progressistes se doivent de lutter, de toutes leurs forces, pour empêcher que la forme électorale ne se substitue pas au fonds mafieux.

Aujourd’hui, le Cep n’affiche même pas une apparente neutralité avec, à sa direction, le même personnage qui a exécuté, avec solennité, la mascarade électorale de 2010.

La communication est utilisée pour tromper lourdement les citoyens, en bourrant leurs cranes avec une propagande ciblée.

Le mouvement de masse est la réponse à tous les communicateurs, qui croient pouvoir ainsi tromper les citoyens.

Le matraquage des esprits a ses limites. Les pressions de la rue doivent continuer pour mettre fin au système criminel, toujours prêt à sacrifier ses alliés et complices pour maintenir ses fondements d’exploitation et d’inégalité.

Le peuple haïtien doit prendre toutes les dispositions pour faire défiler, devant les juges, les bandi legal et les comparses internationaux qui les protègent.

Vive une opération « Mains Propres » en Haïti !

* Économiste, écrivain


[1Leslie Péan, « Gouvernance occulte, gouvernance inculte, gouvernance superficielle », texte en 4 parties, AlterPresse, 3, 5, 9 et 12 juin 2014.

[2Michel Forst, Rapport de l’Expert indépendant, op. cit., p. 4.

[3Georges Michel, Lettre ouverte au Président élu de la République Monsieur Michel Joseph Martelly, Le Nouvelliste, 25 avril 2011.

[4« Les dérives de Martelly » énumérées par le sénateur Steven Benoit, Le Nouvelliste, 4 octobre 2011.

[5Robenson Geffrard, « Le pouvoir dérive, la société civile sonne l’alarme », Le Nouvelliste, 28 février 2012.

[6Isabelle L. Papillon, « Martelly-Lamothe : Haïti en mauvaise posture ? Haiti-Liberté, Vol. 6, No. 22, 12 au 18 décembre 2012, p. 4.

[7Marvel Dandin, « K-PLIM “ POIDS PLUME “ ? », Radio Kiskeya, 1er février 2015.