P-au-P, 04 mars 2015 [AlterPresse] --- En cette période de tension dans les relations haïtiano-dominicaines, une certaine colère, qui, dès fois, prend une forme violente, bouillonne chez des compatriotes, selon les témoignages recueillis par AlterPresse.
Cependant, le gouvernement d’Haïti paraît assez silencieux. Ce qui laisse la place à un flou et des doutes, qui ne rassurent pas, observe l’agence en ligne AlterPresse.
En dernière heure, le gouvernement annonce une prise de position publique, en conférence de presse avant la fin de la matinée de ce mercredi 4 mars 2015.
« Il faut donner des réponses fermes aux Dominicains qui maltraitent nos frères et sœurs chez eux »..., commente, le 3 mars 2015, dans un tap tap (véhicule de transport en commun en Haïti), une passagère, révulsée, qui n’hésite pas à préconiser des actions drastiques envers les ressortissants dominicains.
Dans l’après-midi du lundi 2 mars 2015, sous prétexte de léser des intérêts dominicains, des bandits ont mis le feu, à Petit-Goave (à 68 km au sud de la capitale), à un autobus de la compagnie privée Capital coach line, qui assurait le trajet Port-au-Prince / Cayes (troisième ville du pays, à environ 200 km au sud de Port-au-Prince).
« L’incendie de notre autobus, qui nous fait perdre 300 mille dollars américains, est l’oeuvre de concurrents déloyaux », souligne Roosevelt Jean-François, le président directeur général de la compagnie Capital coach line, démentant, d’emblée, que sa compagnie (haïtienne) soit liée à des intérêts dominicains.
Le gouvernement haïtien a vivement condamné l’acte de vandalisme, perpétré, le 2 mars 2015, sur l’un des véhicules de cette compagnie privée.
Après ce nouvel acte de vandalisme, la Compagnie Capital coach line annonce la suspension de ses opérations en Haïti, vu les menaces incessantes, dont est l’objet, depuis plusieurs années, cette entreprise haïtienne qui desservait également la République Dominicaine, par des autobus voyageant quotidiennement entre Port-au-Prince et Santo Domingo (et vice versa).
Sur les réseaux sociaux, circulent plusieurs clips vidéos montrant des Dominicains maltraitant des Haïtiens. L’un de ces clips vidéos met en exergue la flagellation publique d’un ressortissant haïtien, qui a été attaché à un pylône électrique.
Le silence haïtien
Saluant l’organisation de la « marche citoyenne » du mercredi 25 février 2015, le gouvernement, via une note du Ministère des affaires étrangères et des cultes (Maec), dit « non à la barbarie, non à la haine, respect et paix sur l’île » et condamne la violation et l’agression regrettable des locaux du Consulat général de la République Dominicaine à Pétionville.
Depuis lors, il n’y a pas de communication publique du gouvernement haïtien sur les relations haïtiano-dominicaines.
Certaines personnes parlent de silence du pouvoir, d’autres rajoutent « complice », au regard des contrats, passés par l’actuelle administration politique avec des entreprises dominicaines, pour la mise en oeuvre de divers travaux d’insfrastructures en Haïti.
Interrogée par AlterPresse, la sociologue et féministe Danièle Magloire évoque un silence à deux niveaux chez le gouvernement d’Evans Paul.
Le premier niveau est marqué par l’absence « d’une démarche communicationnelle, à visée pédagogique, en vue d’expliquer à la population la situation des relations entre les deux pays. Ce qui aurait pu prévenir des dérives, telles l’incendie du bus (de Capital coach line, dans l’après-midi du lundi 2 mars 2015) à Petit Goave, sous prétexte qu’il transportait des Dominicains ».
La communication des grandes lignes d’actions du pouvoir pourrait rassurer la population, quant au respect du droit à l’information de la population, estime Magloire.
C’est le deuxième niveau de silence du gouvernement, souligne la sociologue, comprenant, néanmoins, que le gouvernement « ne peut pas tout étaler sur la place publique, puisqu’on est en diplomatie ».
Pour un politique comme Christian Rousseau du parti Aksyon pou konstwi yon Ayiti Oganize (Akao), ce silence est plutôt « complice », car évocateur de « la véritable incapacité de ce gouvernement à défendre la dignité des citoyennes et citoyens. Ce qui est inhérent à sa nature ».
Pour Rousseau, questionné par AlterPresse, trop de liens affairistes unissent des tenants du pouvoir, des hommes d’affaires proches du pouvoir, à la République Dominicaine.
Ceci empêche de « se positionner clairement contre les agissements des éléments racistes de nos voisins ».
« Ce qui se passe avec les immigrants haïtiens en République Dominicaine est aussi la conséquence des préjugés nationaux, transportés ailleurs. Remarquez que les victimes sont des gens, issus des quartiers populaires et du milieu rural en Haïti », explique Joseph Joël Louis, ancien député de Savannette.
Réponses dominicaines
L’ambassadeur dominicain accrédité en Haïti, Rubén Sillie Valdes a été rappelé, dans son pays, pour consultation, la veille du 171 e anniversaire (27 février 1844 - 27 février 2015) de l’indépendance dominicaine.
Ce qui est « une routine diplomatique », concède l’ancien député, Joseph Joel Louis, membre du collectif du 4 décembre, qui qualifie les relations Haïti- République Dominicaine de « relations normales, avec des moments de tensions ».
Alors que le titulaire du Ministère des affaires étrangères dominicain, Andrés Navarro, taxe la marche du 25 février 2015 de tentative de salir l’image de son pays, en le qualifiant de « raciste et xénophobe », un mouvement d’ultranationalistes dominicains, en date du 27 février 2015, a brandi une pancarte portant l’inscription : « je ne suis pas raciste, mais je ne veux pas d’Haïtiens dans mon pays ».
Le président Danilo Médina, dans unn discours sur l’état de la Nation à l’occasion du 27 février 2015, soutient que le plan national de régularisation des étrangers (Pnre) ne connaîtra pas de prolongation au-delà de juin 2015.
En Haïti, le Programme d’identification et de documentation des immigrants haïtiens (Pidih), en République Dominicaine, est déjà considéré comme un échec par des observateurs.
De la représentation diplomatique d’Haïti en République Dominicaine
L’ancien député Louis est catégorique par rapport au remplacement de Fritz Cinéas, par Daniel Supplice, en République Dominicaine.
« Cela ne nous fait ni chaud ni froid. C’est la politique extérieure d’Haïti qui doit changer. C’est notre ventre qui ne doit plus être à la merci des Dominicains. Le gouvernement doit donc mettre en place une véritable politique de production nationale », martèle Louis.
Se référant à la filiation duvaliériste de Fritz Cinéas et de Daniel Supplice, comme ambassadeurs en République Dominicaine, Danièle Magloire se questionne sur la possibilité de se positionner clairement, en matière de droits humains, contre l’exploitation des compatriotes en territoire voisin d’Haïti.
Fritz Cinéas et Daniel Supplice ont, tous les deux, servi sous le régime des Duvalier.
Or, c’est sous le régime des Duvalier que la Zafra[périodes, durant lesquelles sont recrutés des Haïtiens pour aller récolter de la canne à sucre en République Dominicaine] a atteint son paroxysme.
« Tant qu’il n’y a pas de suivi continu et sérieux dans le dossier des relations haïtiano-dominicaines, les Dominicains se sentiront à l’aise de violer les droits des migrants haïtiens et d’organiser des déportations à relents racistes », avertit Magloire. [efd kft rc apr 04/03/2015 9:10]