Español English French Kwéyol

Haïti-Assainissement : La gestion des excréta, un immense problème qui semble être négligé (II)

« Yon kay, yon twalèt », tel est le slogan, inscrit sur des banderoles, placées dans la zone métropolitaine de la capitale Port-au-Prince, dans le cadre de la journée mondiale des toilettes, le mercredi 19 novembre 2014. En février 2015, aucune information publique n’est disponible sur les résultats de ladite campagne en Haïti, ni sur le suivi qui serait en cours pour aboutir à au moins une toilette dans chaque maison sur le territoire national. La Direction nationale d’eau potable et d’assainissement (Dinepa) était impliquée dans cette campagne « yon kay, yon twalèt ».

En plus de la transmission du choléra, une mauvaise gestion d’excréta risque de charrier des complications d’ordre environnemental et sanitaire, comme la circulation des mouches, vectrices de nombreuses maladies, la croissance de cafards, des rats, etc.

En Haïti, la gestion des excréta est assurée par des vidangeurs, appelés « bayakou informels » (unité d’entreprises individuelles chargées de nettoyer les latrines et fosses septiques) et les « bayakou formels » (que sont les compagnies privées de vidange, disposant de moyens techniques sophistiqués et utilisant également l’apport de bayakou informels).

Le deuxième volet de cette enquête insiste sur la disponibilité des stations de traitement d’excréta sur le territoire national.

Enquête [2 de 2]

P-au-P, 28 févr. 2015 [Ayiti Kale Je / AlterPresse] --- Une personne sur deux en Haïti n’a pas accès à un système d’assainissement de base, consistant en l’évacuation hygiénique des excréments, des eaux usées, ainsi qu’en un milieu de vie propre et sain, tant à domicile que dans le voisinage [1], selon les données recueillies par Ayiti kale je (Akj).

Le système d’assainissement d’Haïti serait en-dessous de 30% de ce que l’on appelle l’assainissement de base, alors que les pays voisins d’Haïti atteignent entre 92 à 98% de couverture en assainissement de base.

Apparemment consciente de la situation, la Direction nationale de l’eau potable et de l’assainissement (Dinepa) souhaite une mobilisation nationale en faveur de l’assainissement approprié, dont la promotion du traitement des eaux usées et des boues de vidange sur le territoire.

Au regard des Objectifs du millénaire pour le développement (Omd), fixés par l’Organisation des Nations Unies (Onu), la république d’Haïti semble encore très éloignée de la perspective de réduire de moitié, en 2015, le nombre de personnes n’ayant pas accès à un assainissement de base.

Un seul centre de traitement d’excrétas en fonctionnement pour 27,750 km2

Dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince, il est possible, en longeant une rue, de tomber sur des sacs de matières fécales, abandonnés par des vidangeurs [2], surpris par la lueur du jour.

Des spécialistes s’inquiètent des conséquences irrémédiables, possibles, de l’existence de milliers de latrines, construites dans des sols, où la nappe phréatique est menacée de pollution, particulièrement dans la plaine du Cul de Sac, au nord de Port-au-Prince, et dans la plaine de Léogane, au sud de la capitale.

40% des Haïtiennes et Haïtiens pratiquent la défécation à ciel ouvert, estime le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (Ocha) [3]

Pour une zone métropolitaine (de la capitale Port-au-Prince), produisant plus de 900 tonnes d’excréments humains chaque jour, il n’existe qu’un seul centre de traitement d’excrétas, dont la capacité est de 500m3 par jour, relève United nations office for project services (Unops).

Ce centre ne reçoit pas plus de 120 m3 d’eaux noires (la matière fécale avec l’urine).

L’unique centre, qui fonctionne, jusqu’en février 2015 pour toute la république d’Haïti, est la Station de traitement d’excrétas (Ste) établie à Morne à Cabris, au nord-est de la capitale.

Avant le tremblement de terre du 12 janvier 2010, il n’existait aucun site légal pour vider les excrétas. Grâce aux travaux de la Dinepa, de nouveaux sites de décharge et de traitement d’excrétas sont construits.

Dans le plan de lutte contre le choléra, qui s’étend de 2013 à 2022, il est prévu la construction d’une station de traitement des excrétas dans chacune des dix principales villes du pays (Port-au-Prince, Cap-Haïtien, Cayes, Gonaïves, Jacmel, Port-de-Paix, Miragoane, Jérémie, Hinche, Fort Liberté).

D’un coût de 2,5 millions de dollars américains, la Station de traitement d’excrétas (Ste) à Morne à Cabris a été inaugurée en septembre 2011. L’installation possède une capacité de recevoir 500 m3 d’excrétas par jour, soit l’équivalent de ce que produiraient 500,000 personnes, d’après la Dinepa.

Cette station compte plusieurs types de bassins : deux bassins anaérobiques devant recevoir 500m3 par jour d’eaux usées brutes, un bassin mixte, un bassin de maturation qui contrôle le processus de traitement et un bassin de contrôle, dernière étape après laquelle les excréments peuvent être lâchés dans la nature.

La Ste de Morne à Cabris utiliserait également des moyens techniques pour empêcher l’infiltration de l’excréta dans la nappe phréatique, selon ses responsables.

La séparation des fractions solides et liquides, l’opération mixte de décomposition et le mûrissement ou la finalisation sont les trois actions fondamentales de cette structure de traitement d’excréments.

Financé exclusivement par la Banque interaméricaine de développement (Bid), le site de Morne à Cabris n’aurait pas de budget de fonctionnement, encore moins d’investissement. Y sont affectés plus d’une vingtaine de fonctionnaires : superviseurs, chefs d’équipe, manœuvres, concierges (réceptionnistes), teneurs de registre (qui enregistrent les donnés de vidange du jour) et agents de décontamination (lavant les camions avec une solution chlorée), entre autres.

« Nous n’avons pas de budget. Nous sommes à la merci des frais, prélevés sur les institutions et particuliers qui utilisent le site pour décharger leurs excréta. La Ste s’auto finance. Ce n’est qu’à partir de décembre 2012 que les compagnies ont commencé à payer des frais pour chaque décharge dans la Ste. Il y a des compagnies qui nous doivent de l’argent, mais qui n’existent plus », fait savoir à Ayiti kale je un responsable d’un Office régional d’eau potable et d’assainissement (Orepa), qui gère la question des eaux usées et des sites de traitement d’excrétas construits par la Dinepa.

En 2013, la Ste à Morne à Cabris était fermée, après avoir été bloquée par des excréta comportant des tonnes d’ordures. Les excréments n’arrivaient pas, les portes étaient verrouillées.

En plus du fait que les frais, pris des entreprises privées de camionnage d’excréments, ne génèrent pas assez de revenus, le manque de financement pour le nettoyage était l’une des raisons évoquées.

Aux entreprises et particuliers, utilisant la Ste à Morne à Cabris, il est demandé des frais de 170.00 gourdes (US $ 1.00 = 48.00 gourdes ; 1 euro = 60.00 gourdes aujourd’hui) par m3 pour la vidange mécanique, 35.00 gourdes pour la vidange manuelle.

En février 2015, environ 5 compagnies privées fréquentent la Ste à Morne à Cabris, à côté des camions de la force onusienne déployée en Haïti et des autres unités individuelles de bayakou informels.

Dans le temps, une unité individuelle de bayakou pouvait nettoyer une latrine ordinaire pour un montant de mille gourdes.

En février 2015, une unité individuelle de bayakou peut réclamer entre 7,500 à 10 mille gourdes pour assurer le nettoyage d’une latrine, dépendant de sa dimension et d’autres critères.

Quoi qu’il en soit, il est difficile, aujourd’hui, de savoir les prix rééllement pratiqués, tant les bayakou informels tendent à cacher leur métier, de peur d’être ridiculisés ou de venir l’objet de moqueries de certains habitants.

En revanche, en 2015, une compagnie privée formelle chargerait un client, dans la zone métropolitaine de la capitale, au moins 20 mille gourdes (incluant une expertise-évaluation et l’enlèvement des excréta) pour le nettoyage d’une fosse septique de dimension régulière.

Globalement, 5 Ste sont déjà aménagées : une à Ti Tanyen (à l’angle de la wout nèf et de la route nationale No. 1) [4], une à Morne à Cabris, une à Limonade (Nord), une dans la ville des Cayes (Sud, un essai y aurait déjà été effectué), une à Saint-Marc (Artibonite).

Mais, à date, seule la Ste à Morne à Cabris est en fonction.

Les Ste à Morne à Cabris et Ti Tanyen ont été conçues pour recevoir, chacune, un volume de 500 m3 d’excréta, sortis des fosses septiques et latrines.

« La station de Ti Tanyen a été fermée pour des travaux de réparation et d’entretien. Le système à énergie solaire, qu’on utilise, est appelé lagunage. C’est un système naturel et peu coûteux, qui demande, néanmoins, beaucoup d’entretiens. La Ste à Morne à Cabris a été fermée, pendant 6 mois, pour les mêmes raisons », explique à Akj le responsable de l’Orepa.

Avantages et inconvénients du lagunage

Le lagunage représente un système naturel de traitements des eaux usées par les fonctions auto épuratives des écosystèmes aquatiques. Il est axé sur le principe, consistant à faire passer les eaux usées par écoulement gravitaire, dans une succession de bassins, où le métabolisme des organismes (bactéries, végétaux, etc.) garantit la dépollution des eaux, tandis que le substrat et les végétaux se chargent de la filtration.

L’intérêt du lagunage résiderait dans son faible coût économique et énergétique, son insertion dans les paysages et dans la biodiversité locale en tant que zone humide.

Par contre, cette technique présente des inconvénients, dont la nécessité d’avoir de grandes surfaces foncières.

Elle s’adapterait très mal à la variation saisonnière importante ainsi qu’aux pollutions importantes ponctuelles. De plus, elle ne produirait pas une eau purifiée à 100% de ses polluants. [http://www.futura sciences.com/magazines/environnement/infos/dico/d/developpement-durable-lagunage-7415/]

« Dans les autres villes, les entreprises se plaignent du manque de Ste. Notre problème majeur avec l’excrément, c’est la négligence et les risques de contamination … », soutient le responsable de l’Orepa, qui affirme visiter la Ste à Morne à Cabris au moins trois fois par semaine.

Selon les informations recueillies par Akj, il y avait, dans le passé, un centre de traitement d’excréta à Truitier.

Ce centre de traitement d’excréta, qui aurait fait partie d’un projet spécifique, n’existe plus en 2015.

Des déchets humains non traités – susceptibles de contenir la bactérie du choléra et de nombreuses autres maladies – auraient été déversés dans la fosse à ciel ouvert, qui se trouve à environ 2 km de Duvivier, très près du site de décharge normale des immondices. Ce qui constituerait la cause de sa fermeture.

« Nous avons utilisé un produit pour désinfecter le site. Nous avons extrait l’eau dans les excréta, pour les traiter. Après, nous l’avons remblayé. Il y a une autre institution (Ndlr : dont le nom n’a pas été révélé) qui travaille dans le même domaine, qui fonctionne encore sur une partie du site, utilisant les excréments pour la production du compost », déclare un cadre rencontré par Akj sur le terrain.

Dans le monde, près de deux milliards de personnes utiliseraient de l’eau contaminée, selon un rapport de l’Oms en novembre 2014.

L’assainissement écologique ou la transformation des excréta comme alternative pour l’environnement

Pour pallier les dommages sur l’environnement, des spécialistes recommandent l’assainissement écologique, un système qui valorise l’excréta humain dans la perspective de le transformer en un produit fini, le compost.

Pour être couronné de succès, tout système d’assainissement écologique devrait marcher de pair avec la sensibilisation et la formation.

« Si on ne travaille pas pour avoir un bon système d’assainissement dans ce pays, on risque de perdre Haïti, au point de vue environnemental et sanitaire », craint un spécialiste.

Le volet assainissement sur deux ans (2013-2015), contenu dans le plan opérationnel visant à réduire l’incidence du choléra en Haïti, prévoyait un coût de plus de 467 millions de dollars américains, durant la période considérée.

A quoi a servi véritablement ce fonds de 467 millions de dollars américains ?

En 2015, face aux risques, encore présents, de propagation de l’épidémie du choléra, face à l’insouciance et l’indifférence, chez les institutions nationales, affichant de la désinvolture dans différents domaines, notamment en ce qui a trait aux questions environnementales, la question est de savoir quelles dispositions seront adoptées en matière de disponibilité de latrines et d’autres toilettes plus écologiques (yon kay, yon twalèt), tout en travaillant à un changement réel de comportement en ce qui concerne la gestion des excréta en Haïti. [akj apr 28/02/2015 18:00]


Ayiti Kale Je » (http://www.ayitikaleje.org/) est un partenariat établi entre AlterPresse (http://www.alterpresse.org/), la Société d’Animation et de communication sociale (Saks -http://www.saks-haiti.org/), le Réseau des femmes animatrices des radios communautaires haïtiennes (Refraka), les radios communautaires et des étudiants de la Faculté des sciences humaines (Fasch)/Université d’État d’Haïti (Ueh).


[1L’assainissement de base est la technologie la moins coûteuse, qui assure l’évacuation hygiénique des excréments et des eaux ménagères ainsi qu’un milieu de vie propre et sain, tant à domicile que dans le voisinage des utilisateurs. L’accès aux services d’assainissement de base comprend la sécurité et l’intimité dans l’utilisation de ces services. La couverture indique la proportion de gens qui utilisent des services d’assainissement améliorés : connexion à un égout public ; connexion à une fosse septique ; latrine à chasse d’eau ; latrine à fosse simple ; latrine améliorée à fosse autoventilée, définissent l’Organisation mondiale de la santé (Oms) et le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (Unicef) / http://www.who.int/water_sanitation_health/mdg1/fr/.

Les systèmes, satisfaisant aux normes internationales, ne comporteraient pas les latrines à ciel ouvert, la défécation en plein air, dans des sachets en plastique, comme c’est la réalité dans certains endroits en plein cœur de la zone métropolitaine de la capitale et dans différents départements en Haïti.

Le premier des Objectifs du millénaire pour le développement (Omd), attendu pour l’année 2015, concerne « l’association des services d’approvisionnement en eau potable et d’assainissement hygiénique » comme « une condition préalable au succès de la lutte contre la pauvreté et la faim ».

[2Les vidangeurs portent le nom de bayakou en Haïti. Des années 1970 à date, les bayakou s’organisent pour travailler la nuit, en faisant la vidange des latrines, sur commande. Le lendemain matin, les locataires d’une maison constatent tout simplement que le nettoyage d’une latrine a été fait par des hommes, dont la valeur des travaux accomplis est souvent mal comprise, voire sous-estimée.

[3http://reliefweb.int/sites/ reliefweb.int/files/resources/Periodic Monitoring Report Haiti- 28 aout 2014-FINAL.pdf

[4Inaugurée en mai 2012, la Station de traitement des excréta à Ti Tanyen a été mise en service pendant 17 mois. Les réparations ont démarré, en décembre 2013, un mois après la fermeture de novembre 2013. Les études, pour compléter la structure, sont en partie finalisées en février 2015.

A la fin de l’année 2015, la Ste de Ti Tanyen devrait être rouverte, avec un laboratoire de traitement des eaux usées, des lits de séchage des boue qui seront suivis d’une plateforme de compostage et d’un jardin expérimental, indique la Dinepa.

L’objectif serait, à plus long terme, de fournir des intrants pour le reboisement des collines avoisinantes de Ti Tanyen.