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Haïti-Retour sur le drame du carnaval : Confusion et impunité

Par Marc-Arthur Fils-Aimé *

Soumis à AlterPresse le 24 février 2015

Dans la nuit du 16 au17 février, vers les deux heures du matin, une catastrophe a mis fin aux festivités carnavalesques qui devaient durer trois jours, appelés les trois jours gras. En Haïti, comme dans la plupart des pays sous influence des religions chrétiennes, notamment catholique, le carnaval est devenu une pièce importante de la culture populaire. L’Haïtien et l’Haïtienne vibrent généralement spontanément au son du tambour, cet héritage de l’Afrique dont nous sommes fiers. En plus de cet élément culturel, il y a d’autres paramètres qui ajoutent à cette festivité son caractère attractif et particulier. S’il est vrai que ce moment ouvre une parenthèse où sont mêlées ou entremêlées les différentes classes sociales pendant le parcours des groupes artistiques et musicaux, cette parenthèse est vite refermée. C’est le mercredi des cendres qui emboîte le pas aux dernières notes mettant fin à ces festivités..

Mais qu’est-il arrivé enfin cette nuit là ?

Le carnaval joue un rôle palliatif aux grandes masses populaires qui en profitent pour noyer quitte momentanément leur faim, leur misère et toutes sortes de tribulations. Au paroxysme d’une grande liesse, le chanteur vedette de Barikad Crew, un groupe très prisé par la jeunesse, se serait électrocuté. Il performait au sein de sa bande quand il s’est heurté - dit-on- à un câble de haute tension. Cet artiste qui est sorti de l’évènement avec des chocs qui l’ont conduit à l’hôpital aurait-il pu survivre à un tel contact ? Que s’est-il passé en réalité ? Le gouvernement haïtien n’a jamais donné une explication du fait, préférant laisser courir des versions et des interprétations diverses, même celles des plus cocasses d’un sacrifice mystique concocté par le chef de l’Etat pour perpétuer son pouvoir.

Paradoxalement, de tels discours profitent aux principaux dirigeants, car ils leur enlèvent toute la responsabilité d’un fait prévisible. C’est pourquoi nous avons préféré parler de catastrophe au lieu d’accident qui a en soi un caractère inéluctable. Avec des mesures d’inspection de l’état du système électrique sur le parcours prévu, de celles de la construction des chars qui deviennent de plus en plus des mastodontes dans des rues encombrées par des foules immenses avec des couloirs de secours qui se réduisent au fil des ans, le malheur ne serait pas arrivé ou n’aurait pas eu cette ampleur. D’aucuns ne croient pas au chiffre de 17 personnes décédées dont 15 hommes et 2 femmes confirmés par les deux branches de l’Exécutif qui souffre d’un grand déficit de confiance dans la population. D’autres chiffres plus inquiétants circulent sur toutes les lèvres et même dans certains médiats. Le fait évident est que la plupart des victimes sont mortes piétinées, étouffés par des gens paniqués qui ont déclenché un sauve qui peut dans toutes les directions. Le président de la République et son premier ministre Evans Paul, qui est devenu méconnaissable par son attitude effacée, leur a donné des funérailles nationales et œcuméniques en voulant profiter de leur propre erreur et retourner le désastre en leur faveur.

Il est vrai que l’actuel gouvernement n’est pas le seul responsable de cette situation. Michel Martelly a failli être victime d’une électrocution, quelques années déjà, à une même époque de carnaval, alors que comme Sweet Micky, il animait son groupe musical. C’ est devenu une habitude de soulever les cables lors du passage des chars avec un poteau en bois. Si la leçon n’a pas été tirée au cours des années précédentes, cette situation restera-t-elle ainsi jusqu’à ce que les victimes ne soient plus de simples inconnues venant des fractions populaires ?

Pour le moment, les différentes instances étatiques responsables de l’organisation et de la réussite du carnaval doivent être identifiées et jugées pour leur négligence et accusées d’homicides involontaires. N’est-ce pas une bonne occasion d’ initier une attaque de front contre l’impunité qui alimente la corruption dans tous les pores de notre société ?

* Directeur de l’Institut Culturel Karl Lévêque