Communiqué de l’OPL
Transmis à AlterPresse le 26 février 2015
Depuis la publication de l’Arrêt TC/0168/13, en date du 23 septembre 2013, de la Cour constitutionnelle de la République dominicaine, les élites haïtiennes, toujours amnésiques par rapport au passé et insoucieuse de la réalité présente, ont soudainement retrouvé la mémoire. Elles semblent enfin admettre que le racisme dont sont victimes les Dominicains noirs -descendants d’Haïtiens et d’autres peuples noirs de la Caraïbe-, les concerne aussi. Quand dans un pays le pouvoir d’État décide de donner une base constitutionnelle ou légale au racisme, c’est-à-dire à l’exclusion d’une partie de ses citoyennes et citoyens, on est en présence d’un système d’apartheid, comme ce fut le cas en Afrique du Sud. Et l’apartheid, dans un pays où a déjà eu lieu le massacre de 1937, implique la poursuite ou la réédition du travail d’épuration ethnique.
À l’approche des élections en République dominicaine (2016), on va assister à une montée en puissance des idées néoconservatrices et l’anti-haïtianisme, en tant qu’idéologie dominante, va se radicaliser, donnant lieu ainsi à tous les excès et débordements. Les actes de barbarie perpétrés récemment à l’encontre de certains compatriotes de l’autre côté de la frontière, s’inscrivent dans cette logique. Et la pendaison d’Henry Claude Jean sur une place publique à Santiago de los Caballeros, n’est que l’arbre qui cache la forêt.
L’OPL est scandalisée par les dernières atrocités exercées sur nos compatriotes, d’autant plus qu’elles pourraient se multiplier dans les semaines et les mois à venir. À cet égard, l’OPL attire l’attention de la classe politique et de la société civile haïtiennes sur le fait que l’anti-haïtianisme constitue l’idéologie dominante en République dominicaine. Dans cette optique, l’anti-haïtianisme est une attitude raciste jouant un rôle important dans la sécurisation mentale et la légitimation du mulâtre dominicain. La sociologue dominicaine Lil Despradel l’explique parfaitement lorsqu’elle écrit : « L’attitude raciste des mulâtres dominicains dénonçait leur aliénation culturelle, leur incapacité d’exprimer leur particularité. Par la discrimination à l’encontre du Noir d’origine esclave, et par conséquent, à l’encontre de l’Haïtien, il tentait d’oublier ses origines traumatisantes, source de honte et d’infériorité. C’est pourquoi, lorsque la couleur foncée de sa peau trahissait ses origines, le mulâtre dominicain, par le biais d’un mécanisme de défense social face au Blanc « supérieur », se créa une identité basée sur ses ancêtres exterminés au XVIe siècle » [1].
Comme la construction de l’État-Nation repose toujours sur des mythes fondateurs et l’existence d’un ennemi réel ou imaginaire, le massacre des Haïtiens en 1937 dans les zones frontalières s’inscrit dans le projet politique d’emboîtement du territoire du dictateur Tujillo. Ainsi, l’Arrêt TC/0168/13 est la continuation de la politique d’épuration ethnique de Trujillo par un artifice politico-légal dépossédant quelque 300.000 citoyens dominicains de leurs droits civils et politiques : une aberration dans le monde du XXIe siècle.
L’Arrêt TC/0168/13 de la Cour constitutionnelle de la République dominicaine exprime la volonté manifeste des autorités dominicaines d’instaurer un système d’apartheid dans la partie orientale de l’île. Le caractère chimérique de ce projet traduit la paranoïa anti-haïtienne affectant les élites dirigeantes dominicaines. L’impuissance des élites haïtiennes et leur incapacité à penser l’État, à penser la nation, et le développement économique et social, jointes à l’effondrement de l’État haïtien et à la crise sociétale affectant notre pays depuis plusieurs décennies, ne font qu’apporter de l’eau au moulin des néoconservateurs dominicains. Seule l’émergence de nouvelles élites haïtiennes dynamiques et éclairées, capables de concevoir le projet de Refondation de l’État-Nation, permettra de rectifier le cours des événements. Ce projet doit établir clairement les voies et moyens pour refonder l’État, réaliser la modernisation politique, économique et sociale, développer la sphère commune de citoyenneté, favoriser le vivre-ensemble, construire la Nation, restaurer le capital environnemental et équiper le pays des infrastructures matérielles et immatérielles dont toute Nation a besoin pour assurer son développement et s’épanouir.
Que faire et comment le faire pour mettre en branle cette dynamique permettant de hisser Haïti au diapason des autres pays de la Caraïbe ? Cela passe obligatoirement par une révolution culturelle, un véritable changement de mentalité. Mais sommes-nous capables de nous atteler à cette tâche titanesque quand nous acceptons de confier à la République dominicaine la formation de nos élites (environ 20 000 jeunes Haïtiennes et Haïtiens fréquentent les universités dominicaines) ? C’est là le hic…
Port-au-Prince, le 26 février 2015
Pour le Comité Exécutif de l’OPL :
Sauveur Pierre ÉTIENNE, Coordonnateur Général
François Anick JOSEPH, Porte-Parole
[1] DESPRADEL Lil, « Les étapes de l’antihaïtianisme en République dominicaine », dans Nouvelle Optique, no. 8, Montréal, octobre-décembre 1972, p. 67.